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Critique de Herve-Lionel


N°964– Septembre 2015

ULTRA VIOLETTE – Raphaëlle Riol – Le Rouergue.

D'emblée, l'auteure donne le ton, c’est « une fiction librement inspirée de faits réels ». Même si on veut ramener cette affaire à un fait divers comme on a été tenté de le faire, il n'en reste pas moins que le nom de Violette Nozière reste attaché dans la mémoire collective à un parricide particulièrement atroce : empoissonnement de ses parents par une fille encore mineure avec décès du père. Nous sommes en 1933 et la presse se déchaîne, dénonçant les amants d'origine étrangère de la jeune fille avant que la politique ne s'en mêle, la droite voyant en Violette une enfant de l'après-guerre en manque de repères et friande de liberté mais qui accuse son père d'inceste, la gauche en faisant la victime d'un ordre social dépassé. Les intellectuels s'en emparent, les surréalistes y voit une garçonne aux cheveux courts, l'image même de la révolte et même une muse, mais ceux qui en profite le plus, ce sont les journaliste car cette affaire nourrit leurs ventes. Comme les grandes affaires judiciaires, son procès a un retentissement national et l'opinion est divisée. Condamnée à mort, sa peine est commuée en travaux forcés, puis réduite par trois chefs d’État successifs. Violette est finalement libérée en 1945, elle a alors 30 ans. Elle se mariera, aura 5 enfants et sera réhabilitée trois ans avant la mort en 1963. Cela c'est pour les faits qui n'apparaissent d'ailleurs qu'en filigrane dans ce roman, l'auteur préférant Violette à sa biographie. Elle s'attache en effet à la personnalité de cette jeune fille de 17 ans qui sort de l'enfance et qui doit choisir ce que sera sa vie entre la recherche de l'argent et celle de l'amour, entre le vice et la vertu, entre l'ennui du jour et l'ivresse de la nuit, souvent décevante. L'auteure choisit d'y voir une rebelle, en rupture avec sa famille et avec l'école auxquelles elle préfère la recherche du plaisir et de la vie facile, entre passades et prostitution. Elle évoque les relations difficiles avec ses parents, une défloration sans joie, l'inceste, la syphilis, un lent parcours vers le meurtre ... Puis ce seront douze années d'emprisonnement, une repentance aux accents mystiques, la bonne conduite et la promesse d'entrer dans les ordres qui lui vaudront sa libération, mais tout cela lui importe peu.
C’est effectivement une fiction puisque l'auteur invite Violette, en fait son fantôme, chez elle. Comme lecteur j'ai été d'abord dubitatif devant cette sorte de fiction d'outre-tombe mais je suis entré dans ce jeu. J'ai assez dit dans cette chronique et ailleurs combien j'aime la fiction, alors pourquoi pas ? L'auteur choisit donc une intimité avec Violette, ainsi se tisse une sorte de monologue où elle la tutoie comme si elle la connaissait de longue date, lui assène des vérités sur sa vie, sur sa manière de la conduire, « touille dans son passé » comme elle le dit , dénonce sa mythomanie qui va m’entraîner dans un tourbillon malsain, loin de la réalité. Mais cette invitation de la romancière n'est pas sans risque « Je savais que j'allais devoir régler des comptes avec la vie et avec l'écriture » avoue-t-elle puisque cette femme irréelle, immatérielle prend bientôt corps, s'installe dans la vie de la romancière, l'observe en silence, impose sa présence, l'intimide même. Elle veut revoir les lieux qu'elle hantait de son vivant et qui l'avaient fait vibrer mais du temps avait passé et elle n'y avait plus sa place, elle n'était plus qu'un spectre...Cette dimension qu'elle prend par rapport à l'auteur, j'y vois, pour l'avoir maintes fois éprouvé dans l'exercice de la création littéraire, la marque de la liberté intrinsèque du personnage par rapport à son créateur. On pense que c'est l'auteur qui tire les ficelles de son roman, qui en contrôle le scénario, mais la réalité est bien différente qui voit, au fil des pages, la créature de papier lui imposer sa volonté. Cela suppose que l'auteur accepte d'assumer un rôle auquel elle n'avait pas forcément pensé, même si ce dernier devient une sorte de supplice au terme duquel Violette échappe à Raphaëlle, l'occasion d'une analyse du processus même de l'écriture qui est ici mise en œuvre. Ainsi y a-t-il non pas un mais deux personnages dans cette fiction, Violette bien sûr mais aussi la narratrice qui la regarde vivre tout en retraçant son histoire. Elles deviennent peu à peu comme complices, pire même Violette usurpe l'identité de Raphaëlle pour la suite des événements ce qui rend le lecteur plus attentif au déroulé de ce récit alternativement émouvant et violent.

Ce roman est divisé en deux parties bien distinctes « Violette face A » qui évoque les faits, la personnalité de l'accusée mais pas le procès ni l'incarcération, en insistant sur cette complicité entre les deux protagonistes de cette fiction. Après tout c'est une façon originale et personnelle de présenter une affaire. De plus l'analyse du principe créatif et du phénomène de l'écriture, qui est le matériau du roman et la genèse de la création littéraire, ont emporté ma totale adhésion. Dans « Violette face B » on l'imagine en 1945 sortant de prison attendue par un mystérieux visiteur, le début d'une deuxième vie, romancée, imaginée, conclue par Violette elle-même, devenue à sa manière une sorte de romancière. Pourtant si la première partie du roman évoque les années d'errance de Violette, la deuxième est une somme de scénarios fictifs qui s'attache non plus à la criminelle mais à la femme maintenant libre, devenue un personnage de roman. Si j'ai complètement marché dans le jeu du personnage qui prend le pas de son créateur, le manipule et même le malmène au point que cette cohabitation doit se terminer[Après tout s'il peut exister une liberté du personnage, celle de l'auteur reste entière et il peut, à tout moment interrompre le processus d'écriture et donc la fiction.], les ratiocinations de la deuxième partie, avec l'usage de Facebook pour faire plus moderne, m'ont laissé indifférent. J'ai même eu l'impression que l'auteur non seulement se détache de son sujet mais souhaite s'en débarrasser comme si elle regrettait cette démarche créatrice qui s'était muée en une manière de la phagocyter. C'est un peu comme si cette fiction faisait écho à la « Violette Nozières » censurée des surréalistes, une façon de s'inscrire dans un phénomène de résurrection ou de deuxième réhabilitation, la revisite d'un mythe. Après Tout la réalité prend le pas sur la fiction et les choses, un moment bousculées par l'imagination de l'auteure, reprennent leur vraie place, la vie de Violette Nozière devenue Germaine Hezard fait valoir sa réalité, comme une victoire sur tout cela.
C'est un roman riche en vocabulaire, bien documenté qui, découpé en courts chapitres, a l'avantage de se lire facilement. Pour autant il laisse place, en ce qui me concerne, à une sorte de déception.

Hervé GAUTIER – Septembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com
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