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EAN : 9782203162815
168 pages
Casterman (01/05/2019)
4.14/5   124 notes
Résumé :
Six récits de vie étonnants qui interrogent sur des capacités trop rarement explorées de l'esprit humain.
Entre la fin du XIXe et le milieu du XXe siècle, femmes, pauvres, malades et fous n'ont aucun droit. Parmi eux, Augustin Lesage, Madge Gill, le Facteur Cheval, Aloïse, Marjan Gruzewski et Judith Scott sont enfermés dans une société qui les exclut. Ils vont pourtant transformer leur vie en destin fabuleux. Un jour, du fond de leur gouffre, une inspiration... >Voir plus
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Un vrai coup de coeur en lisant cette B.D, mettant à l'honneur six artistes, pas tout à fait comme les autres ; autodidactes, aucune formation artistique, des origines et des métiers très modestes… Des « quasi-invisibles »… des « exclus » de la société !

La découverte, hormis le Facteur Cheval, de cinq personnalités originales, artistes méconnus !...

Augustin Lesage (1876-1954), Madge Gill (1882-1961) Aloïse Corbaz (1886-1964), [ le facteur Cheval (1836-1924)], Marjan Gruzewski (1898-?) et Judith Scott (1943-2005),

Passionnée depuis fort longtemps par l'art brut… je remercie jamik qui m' a fait connaître cet album, pour enrichir ma sélection bibliographique sur « Les Outsiders de l'Art… « ...
J'ai eu le grand plaisir de découvrir que ma médiathèque le possédait, je l'ai réservé aussitôt , afin de le lire.

Introduction de Michel Thévoz, fondateur et conservateur honoraire de la collection de l'Art Brut à Lausanne, qui restitue la place complexe de l'Art Brut, trop vite catalogué « Art des Fous » !!!....

Six reconstitutions des vies de ces créateurs hors normes…accompagnées d'illustrations très vives, contrastées, de facture très éclectique…

Augustin Lesage , fils et petit-fils de mineur… sans formation artistique, entend un jour des voix lui apprenant qu'il va devenir un « artiste »… Son ami, Ambroise, l'invite un soir avec d'autres amis pour l'initier au spiritisme. « Une activité secrète très appréciée dans les milieux ouvriers du Nord « [p. 15 ]. On découvre très rapidement qu'Augustin est un medium hors pair… parallèlement, il se met à peindre , dans des sortes de transe !...

Augustin Lesage est mort à 78 ans… Il avait peint environ 800 toiles.

Madge Gill. (1882-1961), née dans un quartier très pauvre de Londres, en 1882…Elle se passionna pour le dessin, qui transfigura son existence…

Judith Scott (1943-2005), sourde et muette, avec des difficultés à comprendre son environnement. Une soeur, jumelle, qui, elle, va très bien. Judith sera mise dans une institution d'enfants attardés ; sa soeur, Joyce, dès qu'elle le pourra, se battra pour la retrouver et la prendre avec elle, deviendra sa tutrice. Elle la mettra en journée dans un endroit, avec des ateliers créatifs. Pendant deux années, il ne passa rien jusqu'à ce qu'une animatrice vienne faire un atelier d'art textile…Et un déclic se fera !

Aloïse (1886-1964)rêvait d'être cantatrice ; elle fut envoyée en Allemagne pour y travailler. Elle arrive à Postdam, à la cour de l'Empereur de Guillaume II. Elle y a trouvé une place de gouvernante auprès des enfants des filles du « chapelain » .Elle revint…et « durant des années, jusque vers 1940, Aloïse avait dépassé la cinquantaine, ses dessins finissaient invariablement à la corbeille ». Une étudiante, devenue docteur, rencontra Aloïse et lui rendit visite jusqu'à la fin, apporta ses dessins à Dubuffet, qui se mit à les collectionner. Il les exposa à Paris, mais le succès fut des plus mitigés !

Le texte est de qualité comme le dessin , très beau, très contrasté, avec des scènes du quotidien de chaque artiste, très vivantes et éloquentes… Une alternance de dessins par vignettes et bulles comme dans une BD classique et des dessins libres à pleine page… comme des envols !

Bravo aussi à la couverture, particulièrement réussie, pleine de couleurs, de poésie,de fantaisie, avec un dessin des plus évocateurs : des personnes attachées à un fil, évoluent dans le ciel, survolant très haut dans le ciel, la ville…au-delà du monde matériel , de la réalité commune !

Un album fort réussi, qui possède, outre la qualité de nous faire découvrir des artistes oubliés ou fort méconnus, une grande sensibilité qui nous fait toucher du doigt la difficulté de saisir ce que représente la Folie ou la normalité… ? Une part non négligeable est consacré au spiritisme, aux phénomènes paranormaux… dans lequels , au moins, deux de ses artistes sont largement immergés !

Je renouvelle mes remerciements à l'ami jamik… d'avoir attiré mon attention sur cette BD… passionnante ! Pris dans l'enthousiasme de cette lecture, j'ai aussi emprunté « La Lionne », une BD des mêmes auteure et dessinatrice, sur le parcours de la baronne karen Blixen…




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L'an passé, grâce au prix en bulles de la médiathèque, je découvrais Serena, le dernier ouvrage d'Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg, adapté d'un roman de Ron Rash. Cette fois, la bibliothèque m'a permis de découvrir un fabuleux ouvrage : Enferme-moi si tu peux !

Mais de quoi parle-t-il ? Eh bien, il s'agit de l'histoire atypique de six artistes : Augustin Lesage, Madge Gill, le facteur cheval, Aloïse, Marjan Gruzewski et Judith Scott. Ces personnes étaient soit des femmes, des malades, des ouvriers·ères, des fou·folles ou des pauvres et, par conséquent, à l'époque où elles ont existé (entre le 19 et le 20ème siècle), elles n'étaient pas censées créer de l'art aux yeux de la société.

Seulement, par un hasard, une révélation ou une voix qui leur a parlé, ses six personnes se sont mises à dessiner, à peindre, à sculpter... Puis, leur oeuvres ont été plus ou moins (re)connues, plus ou moins exposées au grand public... Et ce livre permet de les découvrir. Non seulement les oeuvres, superbement illustrées par Terkel Risbjerg, mais aussi les artistes.

En effet, chacun·e d'entre elleux va, tour à tour, raconter son histoire et, à la fin de ce récit, le prochain personnage prend le relai, ce qui permet une interaction entre les six protagonistes. J'ai beaucoup aimé cette narration singulière, menée par Anne-Caroline Pandolfo, qui amenait des discussions très intéressantes.

La réflexion autour de la folie et de l'art sont particulièrement pertinentes, selon moi. Ces six personnes relatent leur triste histoire, jusqu'à la découverte de l'art. Je ne connaissais aucun·e d'entre elleux, et cette découverte m'a fait apprécier encore plus ce livre.

Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé cette bande dessinée. Les illustrations sont très belles, et j'aime bien le style de Terkel Risbjerg, mais particulièrement l'utilisation qu'il a faite des couleurs, mettant en avant le triste récit, mais aussi les oeuvres représentées. Quant au scénario, comme je l'ai déjà signifié, il était passionnant, à la fois grâce aux histoires contées mais aussi à la façon dont l'autrice a narré les récits.
Lien : http://anais-lemillefeuilles..
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Ce tome contient un récit complet indépendant de tout autre. La première édition date de 2018. Il a été réalisé par Anne-Caroline Pandolfo (scénario) et Terkel Risbjerg (dessins) et comporte 145 pages de bande dessinée en couleurs. Il commence par une introduction de 2 pages rédigée par Michel Thévoz, fondateur et conservateur honoraire de la collection de l'Art Brut à Lausanne. Il se termine par 3 pages contenant chacune en vis-à-vis la photographie de 2 des artistes évoqués et leur représentation par Risbjerg.

Un texte d'introduction évoque la fin du dix-neuvième siècle et le début du vingtième siècle où il vaut mieux être un homme, blanc, cultivé et bourgeois, les autres (femmes, enfants, paysans, malades vieux) étant mal lotis. Augustin Lesage (1876-1954) travaille à la mine comme son père avant lui, et son grand-père encore avant lui. Il a commencé à travailler dès la fin de ses études, c'est-à-dire à la fin de l'école primaire. Un jour de 1911, alors qu'il est en train de travailler sous terre dans la mine, il entend une voix qui lui dit qu'un jour il sera artiste. Il n'a aucune formation artistique. Il a entendu une voix : le mineur à côté se moque de lui. Pour se distraire, Augustin Lesage décide de participer à des séances de spiritisme. Il continue à entendre des voix. Un jour la voix fit noter à Augustin une liste de matériaux à se procurer, la dimension de la toile, les nuances de couleurs, la taille des pinceaux, les liants, et même le nom et l'adresse du fournisseur. Madge Gill (1882-1961) raconte son histoire. Elle est née ans un quartier très pauvre de Londres, sans père. Elle a été cachée par sa famille pour éviter la honte. Quand sa famille s'est installée à la campagne, elle a été placée en orphelinat à l'âge 9 ans. Elle s'est mariée à 25 ans, a perdu ses enfants, un oeil. le 03 mars 1920, elle a ressenti quelque chose tout au fond d'elle, une sorte de grâce qui lui a donné la force de déployer ses ailes toutes chiffonnées, de composer au piano et de dessiner des fresques à l'encre et à la plume sur des rouleaux de calicots de onze mètres. le facteur Joseph Ferdinand Cheval (1836-1924) parcourait tous les jours 33 kilomètres à pied pour sa tournée. Un jour il trébucha sur une pierre au milieu du chemin. Il la mit de côté, et se mit à en sélectionner d'autres pendant ses tournées, qu'il revenait le soir pour récupérer. Puis il se mit à construire un palais.

En Suisse à Lausanne dans le comté de Vaud, Aloïse Corbaz (1886-1964) chantait d'une voix pure dans le choeur de l'église. C'était sa soeur Marguerite qui s'occupait des enfants, sa mère étant décédée alors qu'Aloïse avait 11 ans. La jeune fille entretenait une passion pour les fleurs et leurs couleurs. Quelques années plus tard, Aloïse entretient une relation amoureuse et charnelle avec Joseph un prêtre défroqué. Sa soeur l'envoie travailler en Allemagne à la cour de l'empereur Guillaume II, à Postdam. Au début de la guerre, elle revient en Suisse traumatisée, tenant des propos inintelligibles. Marjan Gruzewski (1898-?) est somnambule, médium et artiste. Mais au contraire des gens qui se promènent inconscient sur les toits, il s'est toujours senti dans un état d'éveil extrême où l'espace et le temps n'ont plus de limites, voyant toujours des choses que les autres ne voyaient pas. À l'âge de 8 ans, il a perdu le contrôle moteur de sa main qui lui semblait se mouvoir d'elle-même, sans sa volonté consciente. À l'âge de 17 ans, il a participé à sa première séance de spiritisme. Un jour c'est l'esprit de sa main qui se manifeste lors d'une séance. Judith (1943-2005) et Joyce Scott sont nées jumelles, dans l'Ohio en Amérique du Nord. Judith est atteinte du syndrome de Down, pas Joyce. Au cours de sa jeunesse, ses parents la place dans une institution pour enfants attardés, cas désespérés, considérés comme inéducables. Des années plus tard, Joyce Scott prend sa soeur en charge et l'inscrit dans un centre où sont organisés des ateliers d'expression.

Dans l'introduction, Michel Thévoz développe la position de l'Art Brut par rapport à la marchandisation, et sa place dans le monde de l'art. Il insiste sur son rejet par les cercles culturels officiels et le fait que la bande dessinée, elle-même considérée comme un art mineur, soit particulièrement adaptée pour établir une passerelle entre ces artistes et un public d'une nature différente. Les auteurs ont donc choisi de présenter 6 artistes dont la production a été classée dans le registre de l'Art Brut, voire dont les oeuvres ont contribué à la définition même de cette catégorie. La définition de l'Art Brut a été établie par Jean Dubuffet (1901-1985, peintre, sculpteur, plasticien) qui l'a retravaillée à plusieurs reprises pour aboutir à : Oeuvres ayant pour auteurs des personnes étrangères aux milieux intellectuels, le plus souvent indemne de toute éducation artistique, et chez qui l'invention s'exerce, de ce fait, sans qu'aucune incidence ne vienne altérer leur spontanéité. Cette définition ne se trouve pas dans cet ouvrage, car ce n'est pas l'objectif des auteurs. Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg s'attachent à décrire le parcours de vie des 6 artistes qu'ils ont retenus, plutôt que l'accueil de leurs oeuvres par les milieux institutionnels ou marchands, ou leur postérité.

Le lecteur est tout de suite emmené dans un ailleurs par les planches. Terkel Risbjerg réalise des dessins descriptifs avec un bon degré de simplification, tout en s'approchant de l'expressionnisme avec certains éléments. La première page montre les mineurs sortant de l'usine. le lecteur se fait tout de suite une idée de l'état d'esprit accablé des travailleurs avec les couleurs grises, et les masses noires des cheminées. L'artiste joue ainsi régulièrement sur la couleur pour instaurer une sensation ou un ressenti : les teintes verdâtres sur fond noir pour les ectoplasmes lors de la première séance de spiritisme, les longs bras avec mains, déformés et allongés noirs ou blancs lorsque Madge Gill ressent la présence de Myrninerest, le blanc du ciel quand elle se représente les individus attachés à un fil flottant dans le néant au-dessus de la ville, le rose beaucoup plus charnel lors de la séance spiritisme à laquelle participe Marjan Gruzewski, le blanc vierge dans lequel Judith Scott semble créer ses cocons de couleur. D'une manière générale, Risbjerg ne s'attache aux décors que dans la mesure où ils permettent de comprendre où se déroule la scène. Il peut les représenter de manière détaillée (palais du facteur Cheval, Institut Métapsychique International, orgue dans l'église de Lausanne, etc.), comme juste les évoquer de quelques taches de couleurs ou de noir en fond de case (les galeries de la mine, les chemins parcourus par le facteur Cheval, la chambre d'Aloïse à l'Institut, la campagne pluvieuse où vit la famille Guzewski).

Les personnages sont représentés par des silhouettes un peu simplifiées, mais présentant des différences entre elles, et par des visages dont les traits sont également simplifiés. Pour ces derniers, le lecteur peut faire la comparaison avec les photographies qui se trouvent en fin d'ouvrage, et voir les caractéristiques structurantes que l'artiste a retenues (et donc celles qu'il n'a pas retenues) pour représenter les 6 artistes. Ces choix graphiques conduisent à une narration visuelle douce qui sait montrer les horreurs subies par les individus (de la guerre aux conditions de l'internement) sans donner l'impression d'agresser le lecteur avec des images choc, sans non plus gommer les privations, les conditions d'internement, le mal être des individus. le lecteur est également frappé par l'importance donnée aux pages sur fond noir ou sur fond blanc, dépourvues de décors, 45 pages dans l'ouvrage. Par cette mise en scène, les auteurs attirent l'attention soit sur le mal être de l'individu (majoritairement les pages sur fond noir), soit sur une forme de conquête d'un espace vierge par l'acte de création (les pages sur fond blanc), soit enfin sur les personnages (les discussions en fin de chapitre sur fond blanc). La narration visuelle recèle de nombreuses surprises, avec des subtiles variations de registre graphique et des images splendides. Les auteurs ont choisi ne pas intégrer de photographie des oeuvres de ces artistes, préférant une représentation s'intégrant mieux dans la narration visuelle de Risbjerg.

Les auteurs présentent donc des pans de la vie de ces 6 artistes : leur milieu socio-culturel, leur statut dans la société, la nature de leurs oeuvres. le lecteur observe à chaque fois comment le carcan de la société pèse sur leur vie et impose des contraintes plus ou moins castratrices ou traumatisantes : la vie de la mine pour Lesage, le statut de fille naturelle pour Gill, le métier solitaire et physique du facteur Cheval, le traumatisme de la guerre pour Aloïse, un handicap physique pour Gruzemski, une déficience génétique pour Scott. le lecteur observe donc comment la société intègre ces individus différents, ou au contraire les met à l'écart des individus normaux. Il constate que les auteurs présentent ces faits en portant un jugement de valeur, ce qui est normal, mais avec la connaissance de ce qui est arrivé par la suite, plus qu'avec les éléments connus aux moments de ces décisions. Cela n'entame en rien la sympathie que le lecteur leur porte spontanément. le titre indique clairement que l'objet de l'ouvrage est de montrer comment il n'est pas possible d'enfermer un esprit quand il a la possibilité de s'exprimer de manière artistique, et l'objectif est atteint. Il aborde aussi la question de l'Art Brut, mais sans en donner de définition. Les dialogues entre les artistes et les commentaires de leur entourage précisent bien qu'aucun de ces individus n'a disposé d'une éducation artistique, ou d'un apprentissage des techniques de dessins, de peinture, ou d'architecture. Il est évoqué brièvement qu'Augustin Lesage a pu simuler pour partie le fait qu'un spectre lui parle, que le facteur Cheval a pu s'inspirer de nombreuses photographies touristiques contenues dans les catalogues qu'il acheminait vers leurs destinataires. Mais finalement, les auteurs ne s'intéressent pas tant que ça au processus créatif, à la réception des oeuvres, à leur reconnaissance et à leur marchandisation. Il n'y a pas de réflexion sur la nature artistique de leur production, sur l'universalité de ce qu'ils communiquent ou expriment, sur le processus créatif qui peut sembler magique.

Terkel Risbjerg et Anne-Caroline Pandolfo proposent au lecteur de découvrir le parcours de vie de 6 créateurs dont les oeuvres relèvent de l'Art Brut. Ils les mettent en scène avec douceur et respect, sans porter de jugement de valeur, sans les réduire à l'état de victime d'un système dans lequel ils n'ont pas leur place. La narration visuelle rend ces vies supportables pour le lecteur qui ne se sent ni agressé, ni culpabilisé, et le scénario rend bien compte de qui ils étaient dans la société dans laquelle ils évoluaient. le lecteur peut regretter que les auteurs ne se soient pas aventurés un peu plus dans la question de l'art et des techniques d'expression.
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Le facteur Cheval (1836-1924), Augustin Lesage (1876-1954), Madge Gill (1882-1961) Aloïse Corbaz (1886-1964), Marjan Gruzewski (1898-?) et Judith Scott (1943-2005), sont des artistes de l'Art brut. L'Art Brut, c'est l'art des fous, des simples, c'est un art introverti, un art qui n'a que faire des modes et du marché, un art totalement affranchi des règles de la société. Plusieurs de ces artistes ont d'ailleurs été internés, d'où le titre de l'album. Je m'intéresse depuis longtemps à l'Art Brut, découvert par l'intermédiaire de l'oeuvre picturale et les écrits de Jean Dubuffet. Et cette bande dessinée rend un très bel hommage à ces artistes. C'est très difficile de parler d'eux sans tomber dans le pathos sur la folie, ou l'explication psychologique ou de la critique d'art, Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg évitent ces écueils*. Ce qui caractérise ces artistes, c'est leur évasion au monde réel, leur fuite volontaire ou non de la réalité, analyser ne servirait à rien, ils ne créent pas pour nous, pour un public, et ça c'est bien montré dans l'histoire, mais au contraire pour nous échapper, pour échapper aux gens “normaux”. On voit bien que leurs méthodes diffèrent, certains sont très mystiques, ou adeptes du surnaturels, mais ce n'est pas une règle. de toutes façons, on n'enferme pas l'Art Brut dans des cases.

Le graphisme est en adéquation avec les créations de ces artistes, déstructuré, brut, dynamique, un peu fou, émancipé des carcans de la bande dessinée classique, certaines planches sont de véritables merveilles. Terkel Risbjerg a su y mettre leurs forces, leurs convictions et leurs errances dans ses illustrations.

On pourrait suivre six biographies à la suite, mais les auteurs, par la mise en scène judicieuse les ont liées entre elles, leur ont donné une unité de traitement avec en toile de fond cette défiance du monde réel, Ils nous raconte un surréalisme qui n'a pas besoin de manifeste, des images qui n'ont pas besoin de mots, l'Art Brut quoi… On peut déjà considérer cette bande dessinée comme une référence sur le sujet.

* Là dessus, je suis bien moins convaincu par la préface de Michel Thévoz.

à la manière de ninonairose, un texte qui a trottiné dans ma tête pendant cette lecture :

Vous êtes extrêmement prévenant de penser à moi ici
Et je vous suis très obligé de montrer clairement
Que je ne suis pas ici.
Et je ne savais pas que la lune pût être si grosse
Et je ne savais pas que la lune pût être si triste
Et je vous suis très reconnaissant d'avoir balancé mes vieilles godasses
Et de m'avoir, en échange, amené ici tout de rouge vêtu
Et je me demande qui peut bien écrire cette chanson.
Je m'en fous si le soleil ne brille pas
Et je m'en fous si rien n'est à moi
Et je m'en fous d'être fébrile avec vous
Je ferai l'amour en hiver.
Et la mer n'est pas verte
Et j'aime la reine
Et qu'est-ce qu'un rêve exactement
Et qu'est-ce qu'une blague exactement.

Syd Barret, Jugband Blues (1967, dernière contribution avec Pink Floyd)
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Une couverture magnifique a attiré mon regard, l'album de Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg. E route vers l'imaginaire, vers la création, à la découverte de six artistes hors du commun : Augustin Lesage, Magda Gill, le Facteur Cheval, Aloïse, Marjan Grozewski et Judith Scott.

Tous ces noms ne vous évoqueront pas toujours quelque chose mais ils ont une chose en commun, l'art brut.

6 personnes qui deviendront de vrais artistes.

6 personnes enfermées dans une certaine solitude, dans leur bulle, dans leur folie peut-être, qui poussées le plus souvent par une voix intérieure vont se mettre à créer.

Création, monde intérieur, renaissance le plus souvent, une évasion. Leurs oeuvres interpellent, nous questionnent.

"La création c'est une bénédiction, tout devient plus grand n'est-ce pas ? Il y a plus d'espace, plus de temps."

Des artistes qui vivent leur rêve, dans leur monde, dans leur tête.

"Le corps est là, l'esprit s'évade"

L'album est une réussite, les dessins sont captivants, magnifiques, les textes interpellants. On apprend beaucoup de choses en passant un excellent moment de lecture.

La liberté, la "normalité" qu'en est-il vraiment?

"Les gens sont bizarres. Ils ont peur de ce qui est libre ou sauvage. Si la folie c'est de réussir à ne pas s'adapter à une vie de rien, alors la folie c'est normal"

Une belle découverte, à lire cet été.

Un coup de coeur de plus ; ♥
Lien : https://nathavh49.blogspot.c..
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critiques presse (5)
ActuaBD
01 octobre 2019
Anonymes touchés par la fièvre de créer : en six portraits gracieusement imagés, un voyage étonnant parmi des artistes atypiques, pour la plupart restés inconnus.
Lire la critique sur le site : ActuaBD
BDGest
20 août 2019
Enferme-moi si tu peux donne à découvrir un autre pan de l’Art, à mille lieues des chemins habituels. Fascinant autant que surprenant !
Lire la critique sur le site : BDGest
BoDoi
31 juillet 2019
Les chapitres sont contés avec grâce et légèreté, par un dessin sans cesse mouvant, s’adaptant aux époques et aux personnages, toujours en recherche de l’image évocatrice plutôt que du cliché réaliste. Passionnant et poignant.
Lire la critique sur le site : BoDoi
Actualitte
03 juillet 2019
Quand on lit cet album, on ne se contente pas d'apprendre comme on le ferait devant un documentaire, ni de voir, comme dans un musée, on se surprend à rêvasser, à imaginer l'aspect que peuvent prendre, en réalité, les œuvres ici représentées par le dessin. Et quel dessin !
Lire la critique sur le site : Actualitte
Auracan
09 mai 2019
Pleins d'humanité et d'humour, les échanges qui s'y déroulent ouvrent à une belle réflexion sur les notions de normalité, de folie ou de différence et de la peur qu'elle engendre...
Lire la critique sur le site : Auracan
Citations et extraits (40) Voir plus Ajouter une citation
Marjan Gruzewski

Sur la valeur artistique de l'oeuvre de M. Gruzewski, je me garderai d'émettre une appréciation... Elle outrepasserait ma compétence.
Mais je me permettrai de dire que son imagination est d'une promptitude remarquable.
Sa connaissance des attitudes, des mouvements, de l'anatomie est prodigieuses.
Techniquement et psychologiquement, cet étrange peintre est en fait un document psychologique d'une espèce rare * [*Revue Métapsychique,Année 1928-N°2 ]
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Les histoires que je vais vous raconter se déroulent entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Il vaut mieux, en ce temps-là, être un homme, blanc, cultivé et bourgeois. Les femmes et les enfants n'ont aucun droit. Les paysans n'ont plus de terre, ils deviennent pauvres et ouvriers. Les vieux et les malades gênent, on les préfère isolés et enfermés. Ils sont toute une population d'exclus : négligeables, corvéables, insignifiants. Pourtant certains d'entre eux, du fond de leur gouffre, ont été touchés par la grâce.
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Les femmes brodaient aussi pour prendre le large. Elles étaient mises en cage comme de petits oiseaux, enfermées seules ou à plusieurs dans leurs maisons pleines de silence. Toutes brodaient, tricotaient, tissaient, ornaient, les pauvres pour gagner de l'argent et les riches pour passer le temps. Comme leur seul avenir, c'était de se marier et d'avoir des enfants, il fallait un trousseau avec du linge brodé. Et puis il valait mieux rester à la maison en attendant son mari, pensaient les maris, ou les enfants, pensaient les maris aussi. Ne pas sortir seule. Ne pas sortir du tout, c'était encore mieux. Ne pas prendre de risques, ne pas se faire mal, ne pas être tentée de partir. Les hommes pensaient que la broderie retenait les femmes à la maison, que c'était une belle invention. Mais quand elles piquaient, tiraient, piquaient, au rythme du balancier de la pendule, étaient-elles vraiment là ?
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Le facteur Cheval

C'était la misère à l'époque.
Après toutes sortes de petits boulots, j'ai eu la chance d'obtenir un poste de facteur rural. (...)
Quelquefois, je m'autorisais une petite pause
pour lire "Le Magasin pittoresque"...
J'admirais les illustrations touristiques...
ça me faisait voyager : les Indes, l'Asie, l'Afrique...

Les cartes postales aussi !
Dans la réalité, je n'ai jamais quitté
ma Drôme natale...

Mais en rêve, combien de fois me suis-je trouvé émerveillé devant des paysages ou des monuments, d'autres continents...

Le métier était dur,
mais je ne pouvais pas me plaindre,
j'aimais rêvasser ! (p. 50)
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Les histoires que je vais vous raconter se déroulent
entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle.
Il vaut mieux, en ce temps-là, être un homme, blanc, cultivé et bourgeois.

Les femmes et les enfants n'ont aucun droit.
Les paysans n'ont plus de terre, ils deviennent pauvres et ouvriers.
Les vieux et les malades gênent, on les préfère isolés et enfermés.
Ils sont toute une population d'exclus : négligeables, corvéables, insignifiants.
Pourtant certains d'entre eux, du fond de leur gouffre,
ont été touchés par la grâce.
Un jour le déclic s'est produit.
Ils s'en souviennent comme si c'était hier.

Ils ont entendu une voix, celle d'un esprit,
d'un fantôme ou d'un ancêtre.
Ils ont su , alors, qu'il y avait un ailleurs pour eux,
et qu'il était intérieur.

Notez bien que toutes ces personnes ont existé [p. 8]
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