Haïkus alsaciens

En 1913, son nouveau drame historique, populaire (ein Volks-stück ils der elsässische Vergangenheit), Peter vu Hagebach, écrit en dialecte alémanique, est joué à Strasbourg, Colmar et Mulhouse, et l'année d'après, en juin, une représentation à laquelle participe la population des environs est donnée en plein air au château de Lichtenberg (dans les Vosges du Nord), les deux rôles principaux, celui du terrible bailli et celui de l'intrépide Annele, interprétés par les premiers acteurs du Théâtre alsacien de Strasbourg.

C'est, par son sens historique, sa tension dramatique et surtout la noblesse morale de son héroïne, un chef d'oeuvre significatif du répertoire alsacien. (La pièce a encore été mise en scène par une troupe de théâtre amateur d'Aspach, dans les carrières de la cimenterie d'Altkirch, en août 2001, à l'occasion du 20e anniversaire de la mort de l'auteur.) Sur un fond de réalité historique, la tyrannie de Peter von Hagenbach, bailli du duc de Bourgogne Charles le Téméraire, dont la cruelle domination provoque une révolte désespérée des paysans, qui ne pourra finir que dans un bain de sang, Annele, simple fille du peuple, ose s'interposer entre les rebelles et le dictateur. Elle va trouver celui-ci dans son camp armé et tente de le convertir par le seul pouvoir de la parole, la douceur, la non-violence, et une abnégation allant jusqu'au sacrifice.

On y entend des échos politiques, qui percent l'actualité de l'époque et même encore la nôtre aujourd'hui ! Tentative de dépasser les représentations manichéennes des uns et des autres. Postulat : nul n'est bête et méchant volontairement. Utopie d'un royaume de paix sur la terre. Appel au courage de la liberté et de la raison.

Dans les tempêtes de l'histoire

La vie, la personnalité, le destin de Lina Ritter, choisi et assumé, et son oeuvre littéraire multiforme éveillent naturellement sympathie et admiration. Une âme dans les tempêtes de l'histoire. Elle ne vacille pas. Elle se maintient, intègre, fidèle, et garde sa ligne.

Le jour où son destin s'est joué, où elle l'a de son chef engagé, c'est ce 27 décembre 1919, quand à Lörrach, à seulement 5 km. de Village-Neuf, son village natal, mais de l'autre côté du Rhin et maintenant de l'autre côté de la frontière, elle se marie avec l'allemand («le boche» !) Paul Potyka qui ne peut plus - à qui il est désormais défendu de - travailler et vivre dans une Alsace redevenue française. Il est bien né à Strasbourg - quoi du droit du sol ? - mais de parents allemands - application de la loi du sang. Sans hésiter, par amour, certes, et aussi par justice, Lina, qu'on appelle Line, a décidé de le «suivre», de marcher à ses côtés et d'avancer vers un avenir incertain, qui n'est pas dans l'axe du passé, qu'il s'agira de construire.

Quand elle accomplit cet acte, à 31 ans, elle n'est pas n'importe qui dans son pays, non seulement dans son coin de la frontière, non seulement dans tout le Sundgau ; son nom est connu de Bâle à Strasbourg, et plus loin même ! Elle a déjà publié, en 1911, Die Grafen von Pfirt (Les Comtes de Ferrette), qui a été joué à Bâle la même année, repris à Colmar.