AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de deuxquatredeux


Après la Coupe du monde de football 1990, Gary Lineker avait donné la définition suivante du football : "Le football est un jeu où 22 personnes courent, jouent avec un ballon et où un arbitre fait une quantité d'erreurs, et à la fin l'Allemagne gagne toujours ». À cette définition, il faudrait ajouter « et dont les écrivains Italiens parlent très bien ». Entre autres Alesandro Barricco dans Les barbares. Essai sur la mutation ou Une certaine vision du monde. Cinquante livres que j'ai lus et aimés, Erri de Luca et Roberto Saviano respectivement sur Giovanni Rivera et Roberto Baggio dans le cadre de l'exposition « Football de légende, une histoire européenne », et Gigi Riva dans Le dernier pénalty. Histoire de football et de guerre.

Le dernier pénalty dont il est question ici est le pénalty que Faruk Hadzibegic, Bosniaque de Sarajevo, a raté lors de la Coupe du monde de football 1990 - la même coupe du monde à l'issue de laquelle Lineker fait sa déclaration - en quart de finale face à l'équipe d'Argentine. Des pénaltys ratés fameux dans l'histoire de football et de la Coupe du monde de football, ce n'est pas ce qui manque comme Gigi Riva le rappelle : il y a eut ceux de Platini et Zico en 1986, de Baggio en 1994, de Trezeguet en 2006, … Mais celui d'Hadzibegic est particulier : au moment de la Coupe du monde de 1990, ce pénalty est juste un pénalty raté, mais, après coup, il va devenir le dernier pénalty de la Yougoslavie. En effet, quelques mois plus tard, les guerres de Yougoslavie vont éclater et la Yougoslavie lentement mais sûrement se désagréger avec l'issue que l'on connaît.

Et si Faruk Hadzibegic n'avait pas raté ce pénalty ? Comme il le signale, « huit fois sur dix, quand (il) rencontre un Yougoslave », Hadzibegic essuie une remarque du type « Si vous n'aviez pas manqué ce pénalty… » ou « Mon père me répète toujours qu'à cause de votre pénalty… » Après la Coupe du monde, le sélectionneur de l'époque, Ivica Osim, dira : « Je me demande ce qui serait arrivé si nous avions battu l'Argentine. Peut-être suis-je trop optimiste, mais dans mes rêves secrets je me demande ce qui serait arrivé si nous avions joué la demi-finale ou la finale. je veux dire : ce qui serait arrivé dans le pays. Peut-être que nous n'aurions pa eu la guerre, si nous avions gagné la Coupe du monde. Peut-être pas, mais je ne peux pas m'empêcher de l'imaginer. Et donc, quand je suis allongé dans mon lit et que je ne dors pas, je me dis que les choses auraient pu s'arranger, si nous avions gagné la Coupe du monde. »

Gigi Riva ne se lance pas dans une enquête de type « What if? ». Même en cas de victoire, il y aurait bien peu de chance que le résultat d'un match de football puisse « (inverser) le cours d'une histoire de guerre déjà écrite » - pas plus que, quelques mois plus tard, la victoire de l'équipe de Yougoslavie de basket-ball à la Coupe du monde 1990 n'aura d'impact sur le sort de la Yougoslavie. Pour autant, Gigi Riva, fin connaisseur des guerres des Balkans pour les avoir couvert en tant que grand reporter, ne laisse aucun doute sur l'issue de l'éclatement de la guerre. Ce que raconte Gigi Riva aux lecteurs, ce sont les liens entre le football et la guerre - le sous-titre du livre est ainsi Histoire de football et de guerre. Déjà, le football emprunte au champ lexical de la guerre - on tire des « missiles", on fait le "siège du camp adverse » au football et à la guerre, et un attaquant au football est parfois qualifié de « canonnier »*. Ensuite, « Dans les Balkans, dire que le sport est comme la guerre pas une métaphore. La guerre est la continuation du sport par d'autres moyens ».

Gigi Riva montre comment l'équipe de football de Yougoslavie va être traversée par les conflits entre les Slovènes, les Serbes, les Croates, les Monténégrins et les Macédoniens de l'équipe, poussant le sélectionneur à composer son équipe selon l'origine des joueurs plutot que leurs talents et qualités sportives, comment ceux-ci ne s'entendront pas entre eux pour des raisons « ethniques » ou refuseront de jouer en fonction des tensions entre les différentes républiques de la Yougoslavie, comment le match du 13 mai 1990 entre le Dianmo Zagreb et l'Etoile Rouge de Belgrade a dégénéré entre les supporters/miliciens des deux équipes, les Bad Blue Boys et les Delije (les Braves) du tristement célèbre Arkan,… Gigi Riva raconte aussi la vie de Faruk Hadzibegic : sa vie de footballeur en exil - il fera partie des premiers joueurs à être autorisés à aller jouer à l'étranger (en France et en Espagne) - qui modifie sa perception de la guerre en devenir par rapport à sa famille restée en Yougoslavie et des joueurs de l'équipe nationale restés au pays, son rapport différent à l'éclatement de la Yougoslavie par rapport aux joueurs plus jeunes de la sélection, sa décision de dissoudre l'équipe nationale après sa qualification pour l'Euro 1992.

Le dernier pénalty.Histoire de football et de guerre est une formidable histoire de football et de guerre par un bon connaisseur des deux domaines - parfait homonyme d'un grand buteur italien des années 1960 et 1970, Gigi Riva a été lui-même un footballeur correct et il a couvert la guerre des Balkans dans les années 1990**. Certes, le dernier pénalty parle de football mais ne s'adresse pas aux seuls amateurs de football : c'est aussi et surtout un grand livre sur l'histoire de l'ex-Yougoslavie et de l'Europe, de l'éclosion des récentes guerres de Yougoslavie, les dernières guerres européennes, et des liens entre le football et la guerre.

* Le surnom de l'équipe anglaise d'Arsenal est d'ailleurs les Gunners et un canon figure sur le blason de l'équipe.

** Il a écrit un J'accuse l'ONU avec Zlatko Dizdarevic.
Commenter  J’apprécie          130



Ont apprécié cette critique (9)voir plus




{* *}