Alexandre est un écrivain dans la cinquantaine. Il voyage à Paris pour tenter de renouer avec son inspiration. Il attend Clara, sa dernière amoureuse, qui l'a quitté pour un autre. Avant Clara, il vivait avec Françoise, sa femme, et sa fille Alice. Grâce à Alice, il est le grand-père de Jeanne, qu'il adore. À Paris, il reçoit un appel; Clara a tenté de s'enlever la vie et il doit se rendre à son chevet car elle réclame sa présence. L'homme qu'elle aime l'a quittée car il est tombé amoureux de la meilleure amie de cette dernière.
Durant quelque temps, il prend soin de Clara puis, lorsqu'il se rend compte qu'elle ne l'aime plus et il décide de louer un chalet dans la Baie des chaleurs au Nouveau-Brunswick. Il s'y rend en compagnie de sa chatte Charlotte.
Mes impressions
Lire
Yvon Rivard, c'est toujours une expérience à la fois métaphysique et existentielle et c'est pourquoi j'aime tant l'écriture de l'illustre auteur. Il place la lectrice ou le lecteur devant l'énigme de sa condition. Il ne faut pas avoir peur de se lancer dans un questionnement avec lui sur «pourquoi vivre?» ou «pourquoi mourir?». Sa façon de raconter une histoire s'avère intelligente, paradoxale et elle amène l'instance lectrice à se questionner sur sa perception de la vie, de la mort, de l'écriture, des origines. Nous méditons avec lui, nous réfléchissons, nous essayons de comprendre notre vérité. Il faut savoir aussi écouter. À cet égard, Alexandre nous entraîne dans le processus tortueux de sa pensée.
Dans
le siècle de Jeanne, c'est une relation qui est proposée comme salut et comme prise de conscience, celle d'un grand-père et de sa petite-fille. Après ses échecs amoureux, Alexandre développe un amour absolu et libre pour Jeanne. Comme il le mentionne dans la partie «L'Ancien monde» lorsqu'il est à Paris et qu'il écrit des cartes postales à Jeanne :
«Jeanne existe, et désormais mon coeur est une chambre dans laquelle je ne suis plus jamais seul, Jeanne existe, et il n'y a plus de grandes questions que je ne puisse contenir, ma pensée est désormais un coeur dans lequel le temps s'arrête et commence mille fois par jour. Jeanne existe, et lorsqu'elle décrète que c'est l'heure du spectacle, tous les champs autour de la balançoire convergent vers sa petite robe rouge, comme la procession des siècles vers ce seul et unique instant.» (p. 15)
Grâce à Jeanne, Alexandre vit l'instant présent, vit l'amour dans le moment. Et c'est beau…le lien à l'enfant apparaît comme la meilleure part de notre humanité. Pour Alexandre, l'enfant est l'oeuvre parfaite et Jeanne lui permet de retrouver ce temps perdu, cette joie de l'enfance où tout est simple, lumineux. Il pense au petit garçon qu'il a été, celui qui jouait dans les bois, celui qui grimpait aux arbres, à sa mère, et à son père dans son camp de bûcherons. Il s'amuse avec Jeanne. Il se permet d'être dans l'imaginaire de l'enfant, d'ouvrir les pouvoirs de son imagination. Mais encore, avec Jeanne, Alexandre découvre la puissance du verbe aimer :
«Aimer, je l'avais découvert avec Jeanne, c'est vouloir que l'autre vive même sans nous, c'est être heureux à la seule pensée que l'autre existe, ressentir qu'il manquerait quelque chose à ce monde si cette personne n'existait pas. Aimer quelqu'un, bien sûr, c'est ne pas vouloir qu'il nous quitte ou qu'il meure, mais c'est aussi accepter de vivre si cela se produit, surmonter notre peine pour qu'il puisse se sentir libre de partir ou de rester et éprouver ainsi peut-être que, quoi qu'il fasse, mort ou vivant, il ne sera jamais seul. Mais cela était au-dessus de mes forces. » (p.295)
Par le biais de Jeanne, il se réconcilie un peu avec la paternité alors qu'il a, il me semble, raté sa relation avec sa fille.
Un des thèmes principaux de ce livre est la relation à l'instant. Apprendre de l'instant. Et, pour ce faire, Alexandre se réfère à cette magnifique citation de
Virginia Woolf : «L'extrême fixité des choses qui passent». Je me retrouve dans cette admiration que voue Alexandre à
Virginia Woolf. Ainsi, les personnages de la promenade au phare ou encore de
Mrs Dalloway et des Vagues l'accompagnent, l'aident à filtrer le réel et à le comprendre.
«La vie, à force d'être faite de ces petits incidents que l'on vit un à un, finit par faire un tout qui s'incurve comme une vague, nous emporte et, retombe, vous jette violemment sur la grève. »
Et ce qui m'amène à un autre thème : la relation à la beauté. Cette dernière peut être associée à la beauté d'une relation que l'on entretient avec une autrice ou un auteur ou encore avec les animaux, la chatte Charlotte dans le récit, ou encore avec la nature ou un enfant, Jeanne dans le texte.
«La beauté, c'est tantôt le temps qu'on change en éternité, tantôt l'éternité qu'on émiette dans l'instant. La beauté, c'est ce que nous raconte le temps avant de nous tuer.» (p. 91-92)
Et je termine ce billet avec le constat d'Alexandre, à propos de sa relation à la vie :
«L'erreur c'est de se croire l'auteur de sa propre vie alors que c'est la vie qui nous invente, c'est elle qu'on reconnaît lorsqu'on se regarde dans un miroir et qu'on ne se reconnaît plus, lorsqu'on devient pour soi-même un étranger, un ami qu'on croise en chemin, un caillou qui heurte notre pied, un chien qui nous suit, un chat qui nous fixe, un nuage qui nous absout, n'importe quoi qui nous tire de nous-mêmes et nous libère de la tentation d'être quelqu'un.» (p. 393)
J'espère que les membres de mon club de lecture n'auront pas trouvé cette lecture trop difficile.
De mon côté, ce livre fait partie de mes meilleures lectures de l'année.
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