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Acclamée dès son premier roman, l'excellent L'incivilité des fantômes, Rivers Solomon avait enfoncé le clou un an plus tard avec Les Abysses. Comme toujours en France, ce sont les éditions des Forges Vulcain qui nous offrent aujourd'hui son troisième ouvrage avec l'ambitieux Sorrowland, pavé de plus de 500 pages où Solomon convoque une fois de plus ses fantômes et les fait remonter du plus profond des abysses humains. Coup de génie ou déception ? Dans la forêt Une jeune femme court dans la forêt. On ne sait ni où elle se trouve ni ce qu'elle fuit, mais Vern doit bientôt marquer le pas pour mettre au monde son premier enfant. Hurlant est né. Viendra ensuite Farouche… puis les loups… et le Démon qui la poursuit. Vern recommence immédiatement à fuir dans la nuit, elle fuit une communauté où elle a vécu une grande partie de sa vie : le domaine de Caïn. Femme du gourou Sherman, Vern a décidé de ne pas se laisser maintenir en servitude, elle a décidé de désobéir et de se révolter toujours. On apprend rapidement que le domaine de Caïn est une communauté noire séparatiste qui rejette toute influence du monde blanc extérieur. Caïn est un nouveau paradis pour les Noirs et leurs enfants. du moins, il est censé l'être. Sous son vernis racial, la secte n'en reste pas moins une secte. Ses membres sont ligotés la nuit pour d'obscures raisons, on pratique le mariage forcé et le gourou a bien entendu les pleins pouvoirs. N'oublions pas non plus certaines tortures et autres joyeusetés afin de punir vices et péchés à l'encontre de certains adeptes forcément pervertit par les Blancs. Vern, elle, n'est pas comme les autres. Et pas seulement parce qu'elle est une femme intersexe noire et albinos, non. Mais parce que Vern ne veut plus subir, elle ne veut plus être dominée par qui que ce soit. Elle souhaite mettre au monde des enfants véritablement libres, loin des contraintes et des châtiments. Malheureusement, après quelques années passées dans la forêt, Vern doit se rendre à l'évidence, elle doit retrouver le monde extérieur pour mettre de la distance entre elle et le culte de Caïn…et tenter de trouver des réponses aux terribles changements corporels qui l'affligent ! Elle fait alors la connaissance d'une autochtone, Gogo, qui va à la fois l'aider à survivre mais également à accepter qui elle est vraiment. Rivers Solomon parle dans son introduction d' « États-Unis imaginaires » mais, soyons clairs d'emblée, Sorrowland se déroule bel et bien dans notre monde réel, à quelques complots près. de ce fait, Sorrowland est certainement le roman le plus ancré dans le réel comparativement à ses éminents prédécesseurs. Solomon retrouve son penchant science-fictif de L'incivilité des fantômes et le mixe avec le fantastique des Abysses. Le résultat est pour le moins surprenant et tout à fait passionnant dans son premier tiers, porté par la plume incisive et revendicatrice de son autrice. Mais dès la seconde partie et l'irruption de Vern dans le monde extérieur, les choses se gâtent… Overdose intersectionnelle Si vous avez suivi la carrière de Rivers Solomon jusque là, vous savez à quel point ses romans sont engagés et puissants. C'est naturellement le cas de ce Sorrowland. Malheureusement, Solomon se laisse déborder et, à force, loupe la plupart des thématiques qu'elle tente de défendre. En effet, le roman parle bien évidemment de la cause Noire et de liberté sexuelle, notamment confrontée à l'homophobie presque traditionnelle du domaine de Caïn. Mais l'histoire ne s'arrête pas là et l'autrice tente de parler dans le même temps d'acceptation de son propre corps, de « coming of age », de colonisation, des peuples autochtones, de parentalité, d'altérité, de révolte, de misogynie et de patriarcat, d'abus sexuels et même de la question du VIH… C'est l'overdose ! En voulant parler d'autant de choses dans une intrigue aussi fine et bancale, Solomon étouffe une bonne partie de ce dont elle veut parler. Ainsi, le sous-texte sur le passif colonial des États-Unis et la souffrance des autochtones à travers le personnage de Gogo passe très mal. Cette dernière semble davantage là pour faire office de faire valoir aux revendications de Vern que pour parler des véritables malheurs qui accablent son peuple. Il en résulte un propos superficiel et maladroit, pour ne pas dire opportuniste, et qui sonne totalement faux et creux après la lecture d'un grand roman comme Les Femmes de North End de Katherena Vermette. Il en sera de même d'ailleurs pour les rapports entretenus par Vern et ses deux enfants, Hurlant et Farouche, qui sont souvent sacrifiés sur l'autel d'une histoire complotiste mal amenée. Après 250 pages plutôt réussies, Rivers Solomon révèle que la transformation mycélienne de son héroïne ne doit rien au hasard mais cette révélation qui arrive comme un cheveu sur la soupe ne repose très longtemps sur rien d'autres que la parole de Gogo. Mal exploitée et mal mise en place, cette idée avait pourtant énormément de choses pour plaire, notamment dans ce qu'elle permet d'établir comme lien entre les ancêtres de Vern et elle-même, et cette écho tendu entre le monde humain et le monde végétal. Tout se passe comme si Solomon n'arrivait pas à cadrer ses idées et que le tout bouillonnait tant et si bien que le récit lui-même finissait par s'y brûler. Une déception au regard de ce premier tiers aussi envoûtant que fascinant et qui promettait beaucoup plus au lecteur, dans une atmosphère quasi-horrifique capable de réutiliser à merveille des mythes sinistres comme celui des Docteurs de la Nuit. Accepter qui l'on est Si l'on arrive cependant à passer outre un récit souvent trop facile qui se repose beaucoup trop sur des ressorts fantastiques peu crédibles pour asseoir son complotisme science-fictif, Sorrowland offre encore pas mal de belles choses de la part de son autrice. À commencer par le personnage de Vern elle-même, magnifique figure de jeune fille qui ne sait plus qui elle est. Au cours de l'histoire, Solomon charge le poids du fait religieux et la culpabilité qui s'implante inconsciemment en Vern. C'est le chemin de l'acceptation de sa propre sexualité et, au-delà, de sa propre identité qui s'avère la plus grande réussite de ce roman et qui permet aussi de redorer le blason terni de Gogo qui, cette fois, trouve une véritable existence dans cet amour libérateur. De même, Sorrowland incite à se méfier des faux-prophètes et montre de façon intelligente que la manipulation de causes nobles peut finir dans l'extrémisme et le fanatisme le plus total. Que parfois, sous les oripeaux du nouveau monde se cache le retour dans les ténèbres du passé. Le passé occupe toujours une très large place dans le récit de Solomon. La figure du fantôme, omniprésente chez la britannique, s'incarne même ici littéralement par les « hallucinations » de Vern. Des hallucinations qui blessent mais qui épaulent aussi, qui soignent et qui effraient. En un sens, c'est aussi le message sur le poids du passé qui sauve Sorrowland. Si l'expérience mycélienne semble tirée par les cheveux, elle permet de mettre en lumière les atrocités commises sur des femmes noires par le passé, faisant écho elles-mêmes aux autres expérimentations médicales abominables de l'Histoire récente de l'humanité. le corps, motif récurrent pour ne pas dire primordial chez Solomon, est un enjeu central. C'est son bouleversement ou sa profanation qui transfigure l'être, en bien ou en mal. C'est aussi lui qui, souvent, devient un enjeu politique et religieux. Dommage que Rivers Solomon ne s'applique pas mieux dans ces thématiques et qu'elle préfère s'investir à fond dans une intrigue bancale et trop superficielle. Sorrowland avait le potentiel d'être tellement plus s'il choisissait d'en faire moins (et mieux). Affaibli par un cheminement narratif bancal et souvent grossier, le roman de Rivers Solomon peine à trouver ses marques et se noie dans ses multiples revendications intersectionnelles qui, à force de s'empiler les unes sur les autres, finissent par s'étouffer mutuellement. Reste le talent de l'autrice pour les personnages marquants et meurtris, mais cela est-il suffisant ? Lien : https://justaword.fr/sorrowl.. + Lire la suite |
« C'est un roman qui ne laisse pas indifférent. C'est un texte passionnant, aux dimensions sociologiques très troublantes. Et c'est une pièce de plus dans une oeuvre qui fera date en ce début de XXIème siècle, j'en suis persuadé, l'oeuvre de Rivers Solomon, quelqu'un de pas comme les autres – comme ce roman. » – Gorian Delpâture – RTBF
Emission du 16 juin 2022
Copyright © 2022 RTBF
Vern est enceinte de sept mois et décide de s'échapper de la secte où elle a été élevée. Cachée dans une forêt, elle donne naissance à des jumeaux, et prévoit de les élever loin de l'influence du monde extérieur. Mais, même dans la forêt, Vern reste une proie. Forcée de se battre contre la communauté qui refuse son départ, elle montre une brutalité terrifiante, résultat de changements inexplicables et étranges que son corps traverse.Pour comprendre sa métamorphose et protéger sa petite famille, Vern doit affronter le passé…
Informations
Genre : Roman
512 pages
Format : 14 x 20,5 cm
ISBN : 978-2-373-05634-1
Date de parution : 13 Mai 2022
ActuSF annonce Sorrowland comme finaliste du Ray Bradbury Prize 2022.
« Les Ignyte Awards qui récompensent les oeuvres de science-fiction, de fantasy et d'horreur qui mettent en avant la diversité, reviennent pour la troisième année consécutive avec une jolie sélection. (…) Sorrowland de Rivers Solomon, publié en version originale chez MCD et à paraître en français aux Forges de Vulcain » – ActuSF
« Ce livre est puissant. Il est plus qu'un classique instantané des littératures dites « de genre ». Il impose Rivers Solomon comme une des plus brillantes plumes de la littérature contemporaine. » – Hugo – Librairie Des Livres et Nous
« Comme la plupart des bons romans, on repense à ce livre encore plusieurs jours avoir l'avoir refermé… » – Gillossen – Elbakin.net
« Rivers Solomon mène son récit de manière viscérale, envoutante et complexe, produisant un livre absolument impossible à poser avant la fin. » – Lectures LGBT+
« Rivers Solomon conteste, condamne et désapprouve, elle ne se contente pas d'interroger et c'est sans doute ce qui rebute ses détracteurs. (…) On peut peut-être aussi lire Sorrowland sans se sentir envahi par ce questionnement, mais qu'il est bon d'avoir les yeux grands ouverts ! » – Christophe Gelé – Ce que j'en dis…
« Un uppercut, une oeuvre plus viscérale encore que ses précédents textes. » – Librairie Critic
« Un roman queer et antiraciste puissant qui mêle fantastique et science-fiction qui dénonce l'histoire violente des États-Unis. » – Librairie le Monte-en-l'air
« Sorrowland nous rappelle les titres d'Octavia Butler, il est dérangeant, engagé, original et surtour terriblement efficace. » – Librairie Lilosimages
« Un livre d'une rare intensité tant par l'intrigue que par les sujets abordés : l'emprise, le libre-arbitre, l'homosexualité, le racisme. Une critique acerbe de l'histoire des Etats Unis. Subtil et âpre. Une belle pépite! » – Librairie Les Jolis Mots
« Un texte étonnant et puissant, une héroïne inoubliable dont l'épopée douloureuse m'a bien bousculé. C'est remarquablement écrit et rythmé et c'est typiquement le genre de roman qui me séduit parce qu'irréductible aux étiquettes de genre. » – Elias, Librairie le Chameau Sauvage
« Un récit dur et juste sur la transformation. Énorme coup de coeur ! » – Librairie Au Librius, à Voiron
« Sorrowland parle de résistance. Résistance à l'oppression bien sûr mais aussi de résistance à la normalité, aux cases assignées. Rivers Solomon donne l'impression de partager avec nous, au travers de ses textes un cheminement de pensée qui va au-delà de ses personnages et qui læ fait progresser dans comment iel envisage et habite le monde. » – Tigger Lilly – le Dragon Galactique
« Un roman passionnant et intéressant, une course pour la vie, pour donner un avenir à ses enfants. » – Allan – Fantastinet