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Critique de domi_troizarsouilles


Que d'avis plutôt négatifs, ou pour le moins mitigés, ai-je lus sur ce roman ! Il est vrai que, étant présenté comme « meilleur polar nordique 2010 », certains en attendaient peut-être une révélation, dans la veine (mais avec ses particularités) de ces polars scandinaves très à la mode qui inondent le genre depuis quelques années – et que j'apprécie, même si j'en lis assez peu à vrai dire, là n'est pas la question. Certes, on n'est pas dans un policier ou thriller trépidant, il y a très peu d'action, et la tension (bien présente pourtant) n'est pas insupportable. Mais aussi, il ne faut pas confondre nordique et scandinave…
Ainsi, je pense que mon avis, même si ce n'est pas de l'emballement, sera plus modéré que ceux évoqués ci-dessus. Il faut savoir, pour commencer, que j'ai lu ce livre dans le cadre de ce challenge que j'ai déjà évoqué, qui consiste à voyager autour du monde en lisant des auteurs de diverses nationalités, dont certaines assez peu « habituelles » - en effet, j'ai bien un peu galéré pour trouver des auteurs finlandais traduits en français, autres que le très connu Arto Paasilinna (et son Lièvre de Vatanen, que je ne connais pourtant pas et que, du coup, je n'ai même pas lu !).

Et je pense que, pour appréhender ce livre-ci en particulier, il faut se rappeler que la Finlande, toute membre de l'Union européenne qu'elle soit, est un pays un peu « à part » en Europe. D'abord, ce n'est pas un pays scandinave (la Scandinavie ne rassemblant que les trois royaumes norvégien, suédois et danois). Ensuite, elle partage une (très longue) frontière avec ses puissants voisins, la Russie et la Suède, envahisseurs à tour de rôle, ce qui n'a pas manqué de marquer son histoire : la Suède, d'ailleurs, reste très présente à travers, entre autres, les suédophones de Finlande (le suédois étant l'une des langues officielles de la Finlande, à côté du finnois). C'est l'un des pays les plus étendus de l'UE… mais aussi l'un des moins densément peuplés ; c'est le pays du Père Noël ! Et puis, en parlant de langues : c'est aussi l'un des rares pays (avec l'Estonie et la Hongrie) de l'Europe qui ne parle pas une langue indo-européenne, mais bien une de ces mystérieuses langues dites ouraliennes (on disait autrefois finno-ougriennes, mais apparemment la classification a été revue depuis mes dernières leçons sur le sujet), langues qui en plus ne sont pas mutuellement intelligibles – contrairement aux langues scandinaves par exemple, j'ai toujours été étonnée de voir des collègues suédois et danois parler ensemble chacun dans leur langue… et se comprendre suffisamment ; ou bien ma maman flamande, qui parvenait à communiquer de façon satisfaisante avec la famille germanophone de mon papa, chacun parlant son propre dialecte régional…
Or, je reste convaincue que la langue que l'on parle, cette fameuse « langue maternelle » (et ensuite, sans doute, l'intégration que l'on fait des éventuelles langues « étrangères » que l'on apprend) a un effet sur notre perception du monde, et notre façon de l'exprimer, même dans la fiction.

Si « j'étale » tout cela, ce n'est certainement pas pour paraître plus maligne que je ne suis… mais il se trouve que, par le hasard des rencontres de la vie, mon mari et moi avons autrefois été en contact proche avec une famille finlandaise finnophone, sans parler du fait que nous avons fait notre voyage de noces dans les pays baltes (donc pas la Finlande, mais bien l'Estonie, entre autres, dont il est aussi beaucoup question dans ce livre), ce qui fait que j'étais déjà sensibilisée à un certain nombre de choses.
Et c'est bien là mon plus gros regret envers ce livre, qui n'est pas lié au contenu même : si la traductrice a bien pris le soin d'expliquer un certain nombre de notions qui apparaissent çà et là dans la narration, j'ai beaucoup regretté qu'on ne trouve pas une introduction (ou une postface, comme ça avait été le cas pour le très beau mais très surprenant « L'homme qui savait la langue des serpents » de l'Estonien Andrus Kivirähk) qui nous présente ce pays, et particulièrement cette région qu'est la Carélie, sans cesse écartelée entre Finlande et Russie ; de même, une carte de cette région, représentant les diverses villes dans lesquelles le narrateur se rend pour une raison ou une autre, aurait été plus que bienvenue ! Certes, les moyens informatiques actuels permettent de les trouver très facilement… mais je ne lis pas forcément un bon livre avec mon ordinateur sous les yeux…
Mais voilà : l'Archipel n'a pas fait un tel choix éditorial, et c'est bien dommage, car il aurait indéniablement été un bonus très appréciable !

Venons-en maintenant à l'histoire même. Comme je disais plus haut, on n'a ici pas d'action folle, pas de tueur implacable à retrouver, pas de tension insoutenable. On accompagne tout simplement le narrateur : Viktor Kärppä de son nom finnois. Il est l'un de ces Russes originaires de Carélie, qui a bien effectué son service militaire en Russie (et ses qualités particulières ont fait qu'il a très vite intégré le KGB, échappant ainsi à la guerre en Afghanistan), mais a obtenu apparemment assez facilement (d'une façon qui n'est jamais tout à fait explicitée) la nationalité finlandaise. C'est là qu'il vit désormais, à Helsinki où il s'est installé comme détective privé. On comprend à demi-mot que ce seul boulot ne lui permet pas tout à fait de vivre, mais qu'il arrondit ses fins de mois en participant à quelques menus trafics qu'il considère comme « acceptables » (cigarettes et autres contrefaçons, tandis qu'il s'est donné pour limite de ne jamais tremper dans la drogue), sous les ordres de deux mafieux russes très stéréotypés, et qu'il assure sa tranquillité en collaborant quelquefois avec la police locale.
Mais un jour, un client vient lui demande de retrouver sa femme disparue : cette dernière, estonienne, est en plus la soeur d'un dangereux gangster de ce même pays, qui cherche à installer ses « affaires » en Finlande…

On suit ainsi la (non-)progression de Viktor Kärppä dans cette enquête improbable, à travers sa narration à la première personne du singulier, comme on lirait le journal intime de ce détective. Pas de grandes vagues, de la discrétion tranquille, une certaine introspection aussi parfois, mêlée de ses souvenirs d'enfance dans cette Carélie qui garde une place particulière dans son coeur, et d'une inquiétude constante pour sa mère âgée et à la santé fragile, qui a choisi de rester « au pays » quand elle a eu la possibilité d'obtenir pourtant elle aussi la nationalité finlandaise. Il trempe certes dans plus d'une affaire louche et est imprégné de cet esprit corruptif et corruptible que l'on imagine trop aisément lié à tout ce qui est au moins un peu russe, mais il a gardé une conscience vaguement idéaliste, à la limite de la naïveté parfois même, et reste fidèle à ses principes en tout temps.
Tout cela fait de lui une espèce de anti-héros presque gentil, à qui on ne s'attache pas tout à fait, mais pour qui on ressent quand même de l'inquiétude, dans cette tension faible mais constante qui sous-tend à cette intrigue. Il n'est pas assez « chevalier blanc » pour pouvoir porter le titre de héros, mais ses fameux principes, ses scrupules que l'on touche du doigt à chaque nouvelle opération que lui proposent ses pseudo-amis mafieux, le rendent sympathique malgré tout.

En même temps, ce roman explore le drame de cette région du monde, le contraste entre trois frontières pourtant si proches par la géographie et par l'histoire : on se trouve à un carrefour entre une certaine opulence en Finlande, une ouverture de plus en plus marquée en Estonie, mais la misère en Russie, les trois (la dernière en particulier) restant gangrénées par les mafias locales. C'est une véritable étude, certes fictive, de ce milieu particulier, et jusque dans la fiction on ressent le regret de l'auteur pour cette gangrène qui détruit jour après jour son pays natal qu'il chérit.
Et avec ça, on a un retournement final, à nouveau pas spectaculaire, mais inattendu, qui conforte l'impression globale plutôt positive que j'avais de ce livre depuis le début.

Tout cela n'en fait certes pas une réussite littéraire exceptionnelle, mais ce n'est pas ça non plus que je recherchais en commençant ce livre. En revanche, il a tout à fait répondu à mon premier souhait : voyager, découvrir un autre monde, une autre façon d'appréhender la vie, à travers une intrigue de type policier jamais réellement palpitante, mais maniant un suspense pas insoutenable mais toujours bien présent, dans un climat terriblement réaliste.
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