En bonne gamine partagée entre ses vingt-trois ans d'âge physique et ses quatre ans d'âge mental que je suis, j'avoue honteusement avoir eu un petit sourire niais en lisant le titre. Les
Special K., c'est ces céréales fitness sur lesquels on se reporte quand on devient adulte, pour "faire raisonnable", alors qu'on n'a qu'une envie : se goinfrer de Chocapic sous un plaid devant les dessins animés. Faites pas genre...
Bref.
De prime abord, je me suis dit : "Quel titre bizarre pour un roman policier !" (j'apprendrai dans le roman que la
Spécial K. est une périphrase pour désigner la kétamine, ce qui rend le nom de ces fameuses croquettes du matin encore plus étrange que ce que je pensais...).
Et puis j'ai lu le résumé, décortiqué la couverture.
Et puis je me suis souvenue de l'intransigeance de l'auteure dans ses chroniques de lecture, des qualités d'écriture déjà perceptibles dans ses avis (NB : intransigeance = valeur positive à mes yeux, gemme rare...).
Enfin, j'ai lu l'extrait disponible sur Amazon, et tout ça réuni a fait que j'ai subodoré que ce polar ne devait pas être un roman d'enquête comme les autres et qu'il fallait absolument que je prenne le temps de me plonger dedans.
Et c'est pas pour me jeter des couronnes mortuaires sur la tronche, mais une fois de plus, mon intuition ne m'a pas trompée...
Special K., tant dans sa construction que dans son écriture, est un roman policier profondément singulier. J'insiste sur le terme de roman policier en tant que polar, car pour moi, il ne s'agit pas réellement d'un thriller, sinon psychologique. le rythme y est plus lent que ce qu'on peut avoir l'habitude de lire, et si cela peut déstabiliser la plupart des lecteurs dans ce qu'ils recherchent en se tournant vers ce genre (du page-turner, de la simplicité, de la rapidité...), pour ma part c'est quelque chose que j'apprécie dans mes lectures noires. La noirceur, la tension, ce n'est pas que de l'hémoglobine et de l'action à gogo, c'est aussi une ambiance, une pesanteur, une atmosphère tout en retenue pour mieux contenir le mystère...
L'atmosphère, c'est la première chose qui m'a marquée dans
Special K. J'ai ressenti cette singularité dans l'ambiance, ce brouillard fait de différentes nuances de gris qui plane au-dessus des personnages et des lieux ; cette pesanteur contrôlée, du début à la fin... J'adore ça, quand l'univers de ma lecture en cours me projette dans un reflet travesti de notre monde, comme si toutes les images se fardaient d'un filtre. C'est ce que j'ai ressenti ici, tout au long de ma lecture, et qui a contribué à m'immerger pleinement dans l'histoire.
Une histoire bien construite, et surtout animée par des personnages secondaires aux vies si justement décrites, aux psychologies creusées, sans survol ni surdose : la mesure est, pour le coup, parfaite. C'est le cas pour Anne, la victime, mais aussi l'ensemble de son entourage. Chaque personnage, au moment de son apparition, est traité à bon escient, toujours pour montrer quelque chose en lien avec Anne et nous la faire découvrir malgré son absence (bah ouais, les morts, à moins de faire usage de flash-backs, c'est un peu dur de les faire participer à l'intrigue, m'voyez...).
De ce côté-là, j'ai été cueillie. Résultat : je me suis sentie proche de ce personnage, pas dans le sens d'un effet miroir, mais j'ai vraiment eu l'impression de la connaître intimement et, logiquement, ai de plus en plus ardemment voulu que lui soit rendu justice pour sa mort au fur et à mesure que l'histoire avançait. J'ai beaucoup aimé sentir mon empathie qui se développait pour elle au fil des pages... à tort ou à raison, finalement ? Seule la fin peut le dire... D'ailleurs, je ne peux en dire plus sans spoiler (ce qui serait une hérésie !), mais j'ai vraiment adoré la fin du roman, comme cela m'arrive peu souvent dans un polar. Marquante, tranchante, mais pas abracadabrante ou tombée de nulle part...
La victime et les personnages qui gravitent dans son cercle de proches excellemment campés, donc... Malheureusement, cet effet surprenant a été à double tranchant, puisque, si je me suis sentie si proche des personnages du côté de la victime car ils m'ont parus infiniment vivants, cela n'a pas été le cas de l'équipe d'enquêteurs, et notamment de Céleste... Une Céleste que j'ai trouvée effacée, insaisissable. J'en attendais peut-être trop vu tout ce que j'avais lu sur ce personnage, mais j'ai senti une certaine distance dans la narration, une vraie difficulté à cerner sa personnalité ou à me la figurer, et donc immanquablement de m'y attacher malgré les horreurs qu'elle a vécues ou de m'y identifier. Or, lorsque j'ouvre un polar, c'est ce que j'attends : développer un certain attachement, une empathie pour l'équipe d'enquêteurs, au point de vouloir les retrouver dans une série. Et ici, j'ai eu du mal avec cet aspect-là... Ce qui ne m'a pas, assez étonnamment, empêchée de passer un bon moment de lecture, pour les raisons évoquées ci-dessus d'une part, mais également pour un point essentiel à mes yeux, si ce n'est là où se concentre plus de la moitié de mon esprit critique lorsque je lis un auteur pour la première fois : la qualité de la plume.
Et quelle qualité ! La plume de Céline de Roany est mesurée, gracile. Précise, douce et forte à la fois, elle est aussi et surtout porteuse d'une véritable sensibilité, animée par une psychologie très féminine et très complexe. Certaines réflexions sont très intéressantes et démontrent la capacité de l'auteur à s'être plongée dans son histoire et dans la psyché de ses personnages. le revers de cette plume dense est que, à certains moments, le récit peut s'éparpiller dans tous les sens, ou au contraire se focaliser trop longuement sur des détails mineurs (je n'emploierai pas le terme "insignifiant" car jamais rien n'est insignifiant...). Cela ne se sent pas tant dans le style que dans la façon dont la narration s'articule. Rien de bien méchant tout de même, parce qu'au-delà de cela, la plume est qualitative. Quelque chose me dit que l'auteure est quelqu'un qui réfléchit beaucoup, beaucoup, beaucoup, jusqu'à se perdre parfois dans ses pensées et prendre des détours pour parvenir à une idée simple...
Je suis persuadée que
Special K. est un de ces polars à mettre entre les mains des lectures de littérature blanche à convaincre d'une possible qualité de plume dans la littérature noire, qui, non, n'est pas qu'une littérature de gare. C'est un genre proche de la vie, au sein même de ce qu'elle porte de plus fort, de plus extrême. Et on peut y trouver de très très jolies écritures...
Amis lecteurs de littérature noire à la recherche d'un polar singulier, je vous conseille donc la lecture de ce roman. Avec ou sans
Special Kelloggs à côté, on s'en fout. Et puis si vous n'en avez pas en stock, mangez plutôt des Cookie Crisp ! C'est trop bon, les Cookie Crisp... 😁