Esclaves chrétiens, Maîtres musulmans ou l'Esclavage blanc en méditerranée (1500-1800)/
Robert C. Davis/ Éditions Babel
Cet ouvrage extrêmement documenté est le fruit de dix années de travail de la part de l'auteur qui explique d'entrée que l'étude de cette forme d'esclavage a de tout temps été plutôt négligée, voire dédaignée, au profit de celle de l'esclavage noir transatlantique.
Cet esclavage blanc a débuté au terme de la Reconquista espagnole qui a en 1492 mis dehors du pays les derniers musulmans après sept siècles de pugnace résistance. Ce fut en quelque sorte une revanche des « Maures » chassés d'Espagne et qui dès lors construisirent des galères, attaquèrent les navires marchands européens, razzièrent les populations côtières et capturèrent les hommes et les femmes.
À cela il faut ajouter les attaques terrestres qui dévastèrent notamment la côte espagnole, les Baléares, la côte italienne, la Sardaigne et la Sicile à tel point que la population abandonna les côtes pour gagner l'intérieur et les montagnes. Ces raids terrestres se déroulèrent jusqu'aux portes de Rome en 1727 où sur 29 captifs, 21 étaient des femmes et des fillettes.
Cette forme d'esclavage avait un côté passionnel en plus d'être économique, la vengeance, alors que l'esclavage transatlantique eut une motivation essentiellement commerciale.
Les destinations des capturés allèrent de Salé (Rabat) à Tunis en passant par Tripoli, Fez, Constantinople, et Alger, le principal marché d'esclaves du Maghreb, où transitèrent jusqu'à 40 000 esclaves entre 1580 et 1680. Par la suite, l'esclavage corsaire s'effondra en raison de la présence d'une flotte armée impressionnante essentiellement britannique ; en 1830, on ne comptait plus que 122 esclaves à Alger.
Au total de 1530 à 1780, on peut estimer à trois millions le nombre des esclaves de diverses nations chrétiennes : Italie, Grèce, Espagne, France principalement. Ce qui représente à peu près le nombre d'esclaves transatlantiques déportés au XVIé et XVIIé siècle.
Les captifs étaient destinés à divers tâches : domestiques, galériens, ouvriers de carrières de pierres, mines de sel, coupe du bois, ouvriers agricoles. Ou bien ils étaient destinés à la revente ou l'échange contre une rançon. Cela dépendait des capacités physiques des sujets.
Il n'est pas douteux que les galériens furent ceux qui eurent le plus à souffrir, ramant du matin au soir et nuit et jour par équipes. Lors de la célèbre bataille de Lépante en 1571, sans doute la plus grande bataille navale de tous les temps, 80 000 rameurs des deux camps en plus des guerriers se firent front. Lépante, situé non loin du golfe de Patras en Grèce, marqua la fin de l'expansionnisme ottoman dominée par la flotte chrétienne réunissant les vénitiens, espagnols, génois, maltais et savoyards. le désastre ottoman fut total et 30 000 combattants turcs perdirent la vie ce jour là (7 octobre).
Le rachat contre rançon effectué par les missionnaires et les prêtres fut un des effets pervers de la rédemption : « non seulement ils louaient par la suite les esclaves chrétiens pour les servir, mais également c'est de leur propre chef que les prêtres rédempteurs se rendaient au batistan et participaient aux enchères avec les marchands d'esclaves turcs et maures pour les captifs de fraîche date qu'ils souhaitaient racheter, en particulier les jeunes garçons et filles, car ils craignaient que leurs maîtres musulmans ne les séduisent sexuellement ou religieusement… Ces hommes et ces femmes passaient donc de la propriété d'un maître musulman à la tutelle des prêtres et de l'État. »
Une fois libérés, les asservis de retour au pays étaient conviés à des processions pour compenser le traumatisme et la profonde aliénation qu'ils avaient subis et réintégrer le tissu social.
Ce n'est qu'avec l'époque des conquêtes coloniales que l'esclavage des chrétiens en Barbarie prit fin.
Un essai, comme je le disais au début, très complet et très instructif sur un sujet peu connu. La lecture en est aisée toutefois avec quelques longueurs. Davis a traité le sujet non pas comme un exposé scientifique, mais comme une épopée..