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Critique de Babelcoyo


Passons tout de suite sur le fait que tout cela se lit très bien, comme un polar. La forme est donc d'une efficacité redoutable... à première vue. Connaissant en partie le milieu et la société dans lesquels Denis Robert a mené ses investigations, j'ai toujours eu un à priori positif sur ce journaliste et sur l'enquête en question qui ne me semblait rien moins que légitime. Car oui, les milieux financiers sont opaques et proposent, comme unique source de régulation, la "main invisible des marchés", ce dont une démocratie ne saurait se contenter. Mais en même temps, je suspectais ce côté grandiloquent et "seul-contre-tous" sans vraiment m'en émouvoir, car tel Albert Londres, le journaliste doit aussi savoir gratter, dénoncer, quitte parfois à énerver. Cependant, à la lecture de cet ouvrage, je comprends pourquoi Denis Robert s'est effectivement retrouvé en rupture de ban : la démarche est salvatrice mais les moyens sont parfois contestables (notamment ces lettres qu'il échange pour menacer indirectement ces interlocuteurs capricieux) et les intentions, qui manquent de nuance, ne semblent pas si désintéressées que cela. Cette mise en scène permanente de lui-même, ce manque de sobriété finissent par agacer en plaçant le sujet (les chambres de compensation) en second plan, sujet qui devrait en toute logique rester plus important que l'enquêteur se présentant bien trop souvent comme le seul personnage omniscient de l'affaire, celui qui aurait (presque) tout compris à ses aspects politico-mediatico-financiers (sans pourtant les formuler clairement). On est donc finalement bien loin d'une noble distanciation et d'une analyse objective (si ce mot a encore un sens) telles qu'on peut les retrouver dans les reportages de Joe Sacco, qui lui aussi se met pourtant en scène mais par petites touches, pour donner plus de légèreté au récit. de fait, Denis Robert lui, avance à pas d'éléphant et parle beaucoup mais ne dit pas toujours grand chose. Il faut donc attendre 300 pages pour commencer à entrer dans le dossier technique de l'affaire, et encore sous la forme de formules chocs à la limite du slogan publicitaire, si bien que tout cela semble survolé : ni les produits financiers, ni les acteurs, ni les procédés (pourtant pas si compliqués) de ces back-offices n'étant décrits (réglement/livraison, courtage, appels de marge, etc). La recherche de sensationnel est trop visible, notamment dans la façon dont les protagonistes politiques sont caricaturés (Sarkozy éructant éternellement, par exemple, comme une image éculée). Et alors que l'on pense enfin aborder le coeur du système financier, la "machination" débute avec l'apparition d'Imad Lahoud, et ce second volet de l'affaire n'a dès lors plus rien à voir avec les banques et leur fonctionnement, chose sur laquelle malheureusement les journalistes semblent ne pas enquêter suffisamment. Si bien que cette première affaire, qui relève pourtant du plus pur journalisme, n'est plus qu'un détail de l'histoire (une note de bas de page dirait Sacco), et si l'auteur semble s'en désoler lui-même, il devient pourtant le complice passif de cette dérive. Cette histoire se transforme alors en un vaudeville confus où les coupables de cette manipulation sont trouvés par défaut et pour des raisons qui nous échappent toujours, le mensonge de Lahoud n'étant que la conséquence inexpliquée de la volonté d'un commanditaire non identifié (la DGSE, de Villepin, un personnage n'apparaissant pas dans l'affaire, etc). La dernière page laisse finalement place à un sentiment d'incrédulité et de fascination devant ce feu de paille à l'origine de tant d'énergie dépensée, devant tant de procédures judiciaires menées sur la base de ce qui semblait être des faits mais qui ce sont révélés être des fantasmes ou des demi-vérités assénées par un individu ayant accès à suffisamment d'espace éditorial pour faire naître le doute chez ces confrères (ce qui ne surprend pas vraiment) mais aussi dans la classe politique (ce qui surprend de moins en moins dans les dossiers techniques) et dans l'institution judiciaire (ce qui inquiète davantage) et donc dans l'opinion publique. Peut-être Denis Robert a-t-il raison, mais le procédé est trop bancal pour rendre cette enquête crédible et honnête, au-dessus de tout soupçon et la forme se retourne contre l'auteur qu'on suspecte de se réjouir d'être devenu le poil à gratter éphémère de la République. Tout ceci finit par le décrédibiliser et explique que la réaction de ces confrères n'est pas exactement sans fondement. Si cet ouvrage est intéressant, c'est davantage dans le sens de ce qu'a formulé, entre autres oeuvres, le récent film de David Fincher, Gone Girl : une critique des dérives de l'emballement médiatique, de ce story-telling abusif dont les médias sont prisonniers et dont Denis Robert devient malheureusement la caricature, même (surtout ?) quand il cherche à s'en défendre.
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