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EAN : 9782890528208
Boréal (02/06/1999)
4.31/5   29 notes
Résumé :
« Soudain, dans les eaux grises du lac immobile, c’est l’irruption brutale de la vie, et la truite jaillit. Un bond inconsidéré de plusieurs pieds, une immense envolée vers le ciel. Au moment critique où il se saisit de la mouche, lorsqu’il atteint l’apogée de sa trajectoire, le poisson semble flotter dans l’air, et, tandis qu’il demeure ainsi figé dans l’espace, sur ses flancs ruisselants et cambrés, durant un bref instant, on peut voir se refléter l’image d’un mon... >Voir plus
Que lire après Le monde sur le flanc de la truiteVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Une lecture enchantée…

Il est des auteurs que nous voudrions avoir pour ami, des auteurs dont les livres, même ouverts au hasard, recèlent à chaque page des îles aux trésors sur lesquelles trouver refuge, un endroit où se blottir, une lumière venant éclairer nos noirceurs, réchauffer notre âme, atténuer nos angoisses, nous redonner foi en la vie et en l'espèce humaine. Des auteurs qui engendrent la joie avec leurs mots.
Robert Lalonde est de ceux-là. Il est de cette trempe-là. de cette humanité-là. Sincère et indomptable, il fait grandir son lecteur pour le rendre meilleur en lui réapprenant à voir, à entendre, à écrire et à lire. Il donne envie de murmurer avec émotion, parfois de lire à voix haute avec un large sourire, de noter frénétiquement des phrases en vue de les apprendre par coeur, de surligner des passages entiers, notamment des phrases d'une poésie éblouissante, tant il sait exprimer l'indicible, tant il sait décrire la beauté. Il nous donne envie de prendre stylo et feuille blanche pour gratter à notre tour, pointe de langue sortie et regard pétillant.
Oui, ce livre se déguste, le cheminement sur quelques pages mérite ensuite une pause tant il y a de richesses sur lesquelles méditer et revenir inlassablement. Il faut laisser infuser. Ce livre ne peut d'ailleurs pas être rangé et oublié entre deux livres, il doit rester sur la table de chevet, dans le sac, sur la table basse à côté de la tasse de café pour pouvoir être sans cesse ouvert, picoré, boulotté. Il n'est jamais fini. Il est et sera. Une lecture enchantée oui. Sur le point de révéler tout de la vie.

« La nuit est bleue et on voit toutes les étoiles, plus distinctement que des cailloux au creux d'un ruisseau clair. Au bruit de l'arroseuse, dans le verger voisin, répond le cri de l'engoulevent, couché sur le toit de la grange. Je suis posté, véritable sentinelle qui, à la veille d'une bataille, scrute les champs, l'horizon, le ciel. Ma présence est discrète, mais ardente : un peu plus et je m'enflamme et saute dans la nuit, où je laisserai, moi aussi, une trace brillante, mon égratignure ignée d'étoile filante : The line of words feels for cracks in the firmament (les mots alignés montent et se glissent dans les brèches entre les galaxies) écrit Annie Dillard ».

Dans son chalet à Oka au Canada, en compagnie de son chien et de sa chatte, Robert Lalonde nous partage ses observations, ses pensées, son quotidien durant quatre saisons, saisons bien marquées dans ce coin de nature canadien. Il écrit sur le temps qui fait, le temps qui passe, la nature qui l'entoure. « Ça parle d'oiseaux, de livres, de chevreuils…de désir, d'espérance, de lueurs aperçues…Ça parle de moi, en scribouilleur obsédé…». L'auteur convoque tous les auteurs qu'il aime, méditant sur la vie, la mort, le processus de création littéraire.
Entouré de Annie Dillard, de Flannery O'Connor, de Jean Giono, de Barry Lopez, d'Emily Dickinson, de Colette, de Montaigne, entre autres, il cite ses maitres, ce qui vient enrichir et approfondir ses propres pensées. Il s'en inspire tout en brodant notes, entretiens imaginaires, aphorismes, anecdotes, autour des maximes aimées. Et nous offre pour les auteurs anglophones sa propre traduction. Et que cet éloge à la littérature est bon, que cette boulimie de lecture et d'écriture donne envie, qu'il est étourdissant d'être littéralement submergé par les citations, cités avec un bel à-propos auréolé de respect et d'amour !

La plume de Robert Lalonde, vous l'aurez compris, est éminemment poétique, une poésie parfois mystique, animiste, fantastique, d'incroyables fulgurances où nous le voyons se donner entièrement à la nature, lâcher prise, nous livrant des passages d'une beauté étrange et surprenante où nous sentons confusément qu'il atteint un degré d'abandon suprême :

« Il y a des secrets à surprendre, la grande marche turbulente et tranquille de l'univers, sa déambulation nuiteuse de gros animal qui se tourne dans son sommeil et libère l'herbe, des milliers d'insectes, et tant de désirs reprennent à l'immense air libre. J'écris pendant que l'univers tourne, que Castor et Pollux virent sur leurs flancs, qu'une lueur monte, qui n'est pas le matin encore, déjà, mais cette espère d'incandescence de lait bleu, un clair de nuit, un gigantesque halo, une aurore boréale à la grandeur du ciel. J'imagine une navigation à peau nue, dans cette eau pâle qui coule dans la nuit sans fin, une sorte de descente galactique, bras et jambes écartés, une longue chute de côté, comme dans une rivière avec des cascades et des petits lacs, des remous et des grandes baies d'eau libre. J'écris mon désir d'abandon, mon besoin d'être emporté par une grande bête bienveillante, mon souhait d'enfant et d'adulte encore d'être enlevé dans les étoiles… ».

Que j'aime sa façon de plonger dans le cosmos, tous les cosmos depuis celui observé dans les yeux de son chat à cette étonnante descente galactique…de l'infiniment petit à l'infiniment grand, Robert Lalonde étreint toutes les dimensions, observe tous les éléments avec le même étonnement et la même sensibilité.

« La chatte est perchée sur le bras de la chaise de rotin. Elle ouvre, sur la table et le halo de lumière où j'écris, deux grands yeux couleur de thé fort et où je découvre un gisement inaperçu, encore, des dizaines de points d'or luisants, palpitants comme de petits astres vivants ».

Puis il redevient pour un moment plus terre à terre, sous ce grand ciel « bardassé » de nuages qui ne font rien, avec son chien qui fait le mort dans l'herbe, sa chatte qui joue au tigre dans la belle brousse effrayante qu'est le jardin et se contente d'admirer, de respirer, présence ancrée mais insignifiante, fragile existence… « A partir du moment où l'on cesse d'inventer le monde, être mort ou vivant, c'est presque la même chose… ».


Robert Lalonde écrit en incarnant, « en donnant chair et sueur, sang et effluves d'haleine », et nous le sentons à notre manière d'être plus vivant en le lisant. Notre façon d'avoir envie de lutter pour le bonheur. de désirer.

« Chaque instant, chaque mot, chaque regard jetés au hasard, chaque pensée profonde ou badine, chaque tressaillement à peine perceptible du coeur humain, de même que le duvet aérien des peupliers ou le feu d'une étoile dans une flaque d'eau nocturne, sont des grains de poussière d'or… ».

Un écrivain enchanteur...

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D'emblée, je peux vous révéler que ce dernier mérite d'être lu par tous les amoureux de la littérature, de l'écriture, de l'acte de création, de la nature…

Dans son chalet à Oka, en compagnie de son chien et de sa chatte, Lalonde partage avec son lecteur ses observations durant les quatre saisons canadiennes sur la nature qui l'entoure et il fait des liens, entre autres, avec les auteurs qu'il aime et il médite sur le processus de création littéraire. Ainsi, au fil des pages, le lecteur découvre des extraits de Jean Giono, de Gabrielle Roy, d'Annie Dillard, de Flannery O'Connor, d'Aubudon, de Gustave Flaubert, de Montaigne, pour ne mentionner que ces derniers et il est amené à réfléchir sur le monde qui l'entoure à travers les pensées de ces grands auteurs. C'est un éveil par rapport à la vie que propose Lalonde. Par exemple, il cite Flannery O'Connnor :

Écrire n'est pas, à mon sens, une simple discipline, encore que c'en soit une ; c'est plutôt une certaine façon de regarder le monde, la réalité, et aussi l'art de faire usage de ses sens afin de déchiffrer le mieux possible la signification des choses…(p. 24)

Il est à noter que Lalonde traduit lui-même les textes de ses auteurs fétiches pour le plus grand plaisir de son lecteur qui retrouve ainsi sa touche personnelle.

Ou encore, comme il le mentionne à propos des oeuvres littéraires :

Dans les livres des autres, tout est rassemblé, réconcilié, unifié, disponible : le passé, les saisons, l'amour, la mort, le monde vaste, les hommes, la vérité, les actions, les voix, la certitude d'un accomplissement possible. (p. 42)

De surcroit, l'auteur va à la rencontre de ses sens pour redécouvrir son rapport aux mots…  Grâce à ses réflexions sur l'écriture, Lalonde ouvre la porte de son instant présent à son lecteur pour l'amener ailleurs, là où la beauté des mots résonne plus fort que le tumulte qui entoure l'être humain.

J'écris pour célébrer l'orage, celui du ciel de ce soir, celui qui grandit en moi, tous les orages du monde dont on espère qu'ils nous délivreront de nos tensions, qu'on dit insoutenables. Mais on soutient tout, toujours, orgueilleux et plus forts que nos tourments. J'écris pour que rien ne se perde, de tous les actes d'une journée, importants, insignifiants, à la fois matière à toucher Dieu, ou bien le vrai, tentatives d'ouvrir l'oeil, parfois le bon. J'écris avec une gravité songeuse, une tendresse inconnue, embusquée, sur le qui-vive, l'espoir d'aimer les hommes, en les comprenant, en les montrant comme je les vois. Il m'arrive d'écrire comme on jette un cri dans la tempête, ou dans la forêt en feu. (p. 86)

Ce livre m'a profondément marquée… Je sors grandie de cette lecture…. Robert Lalonde est un grand écrivain. Sa plume s'avère sublime, ses réflexions sont profondes et empreintes de poésie. J'ai vraiment pris le temps de lire le Monde sur le flanc de la truite. C'est une lecture qu'il faut déguster, savourer, laisser de côté et puis retrouver. Lalonde m'a permis de découvrir encore plus l'acte de création à travers sa perception, mais également à travers celle d'un auteur comme Paoustovski.

Chaque instant, chaque mot, chaque regard jeté au hasard, chaque pensée profonde ou badine, chaque tressaillement à peine perceptible du coeur humain, de même que le duvet aérien des peupliers ou le feu d'une étoile dans une flaque d'eau nocturne, sont des grains de poussière d'or…. Il est étonnant que personne ne se soit donné la peine d'observer comment, de ces grains de poussière, nait le flot vivant de la littérature…  (p. 113)

Donc, il y a des livres pour rire, d'autres pour pleurer, pour frémir et il y en a pour ramener le lecteur à l'essentiel… le Monde sur le flanc de la truite fait partie de cette dernière catégorie… J'ai noté beaucoup de citations dans mon cahier de lecture… Je vous convie à découvrir ce bouquin de Robert Lalonde pour réapprendre à voir, à écrire et à lire….

À partir du moment où l'on cesse d'inventer le monde, être mort ou vivant, c'est presque la même chose. (p.101)

Un autre livre de cet auteur que j'ai adoré est le dernier été des Indiens et je vous le recommande sans hésitation.

https://madamelit.me/2016/12/08/madame-lit-le-monde-sur-le-flanc-de-la-truite/
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Il existe des livres qui, après la lecture, ne sont jamais délaissés car ils obsèdent le lecteur : autant de petits papiers multicolores marquent les pages à relire, à retrouver et c'est un signe quand, prenant le livre dans les mains, on se surprend à empoigner un arc-en-ciel.
Ce livre est de ceux-là et peut-être le premier de tous et, aussi, le premier d'une longue série qu'il me faudra désormais lire...


Robert Lalonde convie le lecteur à l'accompagner pendant quatre saisons, à méditer sur l'écriture, sur la nature, sur la vie aussi, finalement. Juste un séjour en compagnie de ce guide, de son chien toujours compagnon, de sa chatte toujours capricieuse, des oiseaux toujours symboles d'évasion et de vastitude, de la nature toujours en mouvement, de ses couleurs et de ses concerts.

Vaste programme quand il s'entoure des écrivains qu'ils admirent – Flannery O'Connor, Annie Dillard, Margaret Laurence, Barry Lopez, Pierre Morency, Emily Dickinson, Jean Giono, Colette... et bien d'autres -, introduit le lecteur auprès d'eux, les traduit, le cas échéant, dans une prose personnelle et imagée. Il les fait s'exprimer, converser tentant de faire des échanges une tentative de définition de ce qu'est "écrire", de ce qu'est la littérature...
Toujours regardant la nature, s'il a des yeux de peintre - comme son père - pour l'observer, c'est en poète qu'il devient naturaliste. S'il décortique la vie et les sentiments qui visitent l'Homme, c'est toujours en approfondissant, en allant au delà des perceptions, qu'il ressent.
" Ecrire, voir, c'est pareil ! Cela exige la même vigilance tranquille. (...) cette espèce de fl ânerie circonspecte, libre et exacte, qu'est la vraie chasse, la lecture enchantée, l'écriture qui transcende."

Ainsi, si Robert Lalonde explique son idée de l'écriture, il ne la sépare pas d'une idée de vie : le talent qu'il met à observer, pressentir et transcrire au mieux ses "visions précises", il le met à choisir un rythme de vie qui lui donne l'autorisation de laisser libre-cours à une liberté d'être, seul état autorisant l'adéquation entre éprouver et écrire, entre percevoir et dire.


Le livre refermé - mais il ne le sera jamais, vous l'avez compris ! - laisse le lecteur orphelin. La compagnie de tous ces écrivains lui manque, le voilà perdu, desoeuvré, la tête bouillonnante d'idées, de questions, de phrases, de mots qu'il faut redire et réciter pour avancer plus loin dans la réflexion et tenter de saisir ce qu'est "écrire".


Un livre donné comme un trésor, un livre qui devient comme un refuge, un livre comme un compagnon évident qui enrichit l'autre de son érudition : un livre qui ne se résume pas puisqu'il n'est jamais lu en totalité tant la profondeur de son propos reste vaste. (Reste à espérer ne pas l'avoir trahi en tentant d'en parler.)
Un livre à garder dans la poche, définitivement...


(Mai 2021)
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J'ai découvert cet auteur et ce livre grâce à une critique de Nuala. Un grand merci pour cette belle découverte de ces "Notes de l'art de voir, d'écrire et de lire" les saisons, la nature, les animaux, la littérature, chaque instant de la vie.

Ce livre, cette "drôle d'affaire... météorologique et littéraire" comme la définit avec humour Lalonde (p. 141) dans un dialogue imaginaire avec Flaubert, se savoure page à page. Elle raconte le métier d'écrivain, l'art de lire, de s'imprégner de mots, de les partager. Pendant toute une année "d'avril à avril" (p. 184), le lecteur accompagne Robert Lalonde dans ses promenades, ses découvertes, sa vie en train d''écrire son livre, les lectures des auteurs qu'il aime et qui l'inspirent.

"Ecrire, voir, c'est pareil ! Ca exige la même vigilance tranquille. J'ai peut-être su dire cela, au moins, cette espèce de flânerie circonspecte, libre et exacte, qu'est la vraie chasse, la lecture enchantée, l'écriture qui transcende" (p. 188)
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Repéré dans l'ouvrage le sens de la marche de David le Breton, le monde sur le flanc de la truite de l'écrivain canadien Robert Lalonde est venu s'échouer sur mes étagères sous un torrent de livres. Un jour, j'ai repêché le livre avec sa belle couverture noire et luisante. Transporté dans mon sac à dos comme un viatique, le livre s'est défraîchi, écorné, froissé mais sa laitance a étoilé mes longues marches solitaires. Beaucoup de personnes sont convoquées par Robert Lalonde au fil des 190 pages : Annie Dillard, Gabrielle Roy, Flannery O'Connor, Emily Dickinson, Audubon, Barry Lopez, Rick Bass mais aussi Colette, Giono, Flaubert, Montaigne et tant d'autres. Québécois né en 1947, Robert Lalonde est bilingue et se nourrit littéralement à travers les mots français et anglais pourvu qu'ils fassent sens et aident à voir, lire, écrire et vivre. Quatre saisons au Canada alimentent notes, aphorismes, citations, entretiens imaginaires. « Ca parle d'oiseaux, de livres, de chevreuils… de désir, d'espérance, de lueurs aperçues… Ca parle de moi, en scribouilleur obsédé… » (p. 188). Ca aide aussi le lecteur qui peut laisser infuser des phrases comme : « le mal, c'est peut-être l'impatience, tout simplement » (p. 95) ou encore : « A partir du moment où l'on cesse d'inventer le monde, être mort ou vivant, c'est presque la même chose… » (p. 35).
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
J'ai humé l'air sapineux des hauteurs, la gentiane de roche et le sable mouillé où la pluie a encore le goût du ciel, de la foudre et du jonc frais. J'ai ri pour mourir, de nos maladresses, à Claude et moi, de nos sortilèges de fous lâchés dans le bois. Nous avons passé huit heures d'affilé sur un radeau qui glissait lentement sur une huile d'argent où les arbres à l'envers étaient plus immobiles encore que nous deux.
Ces contentements là se racontent mal. Nous étions dans un grand rêve furieux et doux, au fond duquel se débat peut-être une imagination de gens qui lui refusent un essor quotidien ? ...Lumière des lacs, des ciels tombés dans leurs miroirs, reptations dans l'herbe mouillée, longs ébats d'une joie violente où l'on retrouve l'ancien guerrier, l'ancien chasseur, le néolithique névralgique, le doux monstre sorti du dédale. Ce fut une exceptionnelle félicité d'air et d'eau, de soleil et de mouches féroces, de rires et de quelques truites molles, qui pesaient comme des roches au bout du fil, et qu'on a mangées sans leur ôter la tête, dans des jus savoureux.
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Je vais écrire. J'aime vouloir écrire, attendre, désirer m'y mettre, tourner autour de la table où tout est à la fois pêle-mêle et ordonné, mes livres, les pages, le bol de café froid, le tabac, le briquet, les crayons taillés au couteau de cuisine, les dictionnaires qui m'intimident toujours autant, comme la Bible j'imagine, en impose aux apprentis théologiens. Je réchauffe le café, savoure mon envie inquiète, comme on se régale un peu amèrement du commencement d'un amour. Les plus beaux fruits, les plus mûrs, relâchent une certaine âpreté avec leur saveur. C'est que, comme l'écrit Giono, certaines odeurs donnent de merveilleuses et terribles illusions.
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Tout à coup, un magnolia, toutes fleurs dehors, opalescentes et rosées comme des mouchoirs ensanglantés qu'on a mis à tremper dans l'eau claire d'un bol, m'arrête et m'éblouit un long moment, me plonge dans l'une de ces extases orientales et peu ordinaires, où l'on croit déceler, et même ressentir, la présence vibrante et solennelle d'une vérité. On sent alors que quelque chose en nous lutte avec détermination pour pactiser avec l'existence. Il n'y a pas de sens, il n'y a qu'un déroulement, alternativement terne et scintillant, hivernal, printanier, une passion qui cherche à mettre au moins la moitié du monde entre notre cœur et sa honte.
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Il tombe une pluie si fine qu'on ne la voit pas, à moins de lancer le regard vers les pins, au fond de l'horizon, ou sur le mur du hangar, et alors on aperçoit comme une neige de fines perles, oblique et continue, un voilage qui glisse, luisant, tout ajouré et que promène à son gré le vent qui ne nous quitte plus. Il décoche, sur l'eau du lac, tranquille et noire comme du thé, des rafales de flèches invisibles, qui font frissonner le miroir où les herbes réfléchies s'embrouillent, se mêlent aux nuages et aux sapins, et ce n'est plus qu'une simagrée remuante de vert, de paille et d'argent, semblable à ce grouillement chamarré, à cette bouillie de couleurs et de lumière qu'aperçoivent tout d'abord, parait-il, les aveugles qui recouvrent la vue.
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J'écris pour VOIR, c'est bien sûr. Pour chasser les mauvais mystères de la nuit, pour faire un printemps du matin. J'écris pour naître, encore, toujours. Par l'attention neuve, m'absenter de moi, de ce fouillis de tentatives d'être dans un absolu qui vous émiette et vous éparpille comme le vent, ce matin, fait avec les vieilles feuilles, les vieilles tiges de l'an passé. Oui, ce désir de tout être et de tout avoir, l'ancienne maladie qui revient encore, de temps en temps, m'empoisonner, comme une odeur de marmotte pourrie parmi les bonnes senteurs de sève et de la terre délivrée des neiges.
J'écris pour cesser de savoir et pour commencer d'apercevoir et de sentir. Dans le Y du bouleau, un nid est commencé. Sur la mousse, sous le sumac, les ombres dus mûriers, compliquées comme des chevelures, s'emmêlent et se balancent. Elles parlent le langage indéchiffrable du cerveau, la nuit. J'écris pour me perdre et me retrouver, dans l'effrayante surabondance du matin.
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Vidéo de Robert Lalonde
La lec­ture s'est avérée être un refuge essen­tiel en temps de pandémie. La lit­téra­ture, art par­mi tant d'autres, est thérapeu­tique. C'est un out­il pour notre san­té men­tale. Dans son essai Ser­vice essen­tiel, Émi­lie Per­reault plaide pour une plus grande place des arts et de la cul­ture dans nos vies en adop­tant «de saines habi­tudes de vie cul­turelle». L'animatrice s'entoure des écrivain·e·s Émi­lie Mon­net, Sophie Fauch­er et Robert Lalonde lors d'une table ronde pour dis­cuter de la fonc­tion sociale de l'art et de l'accès à la cul­ture, entre autres.
Avec: Émilie Monnet, Auteur·rice Sophie Faucher, Auteur·rice Robert Lalonde, Auteur·rice Émilie Perreault, Animateurrice
Livres: Okinum La vie, ma Muse SERVICE ESSENTIEL Pas un jour sans un train
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