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EAN : 9782749173092
256 pages
Le Cherche midi (25/08/2022)
3.93/5   51 notes
Résumé :
Seul le bruit de la fête peut couvrir celui de la guerre.

Lorsqu’un navire yankee entre en rade de Cherbourg un matin de juin 1864 pour provoquer l’Alabama, corvette confédérée que la guerre de Sécession condamne à errer loin des côtes américaines, les Français n’en croient pas leurs yeux.
Au même moment, Charlotte de Habsbourg, fraîchement couronnée impératrice du Mexique, découvre éberluée un pays à feu et à sang.

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Critiques, Analyses et Avis (31) Voir plus Ajouter une critique
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Que Dieu me savonne !
Et que Li Tian me pardonne, voilà qui n'est pas commun, une rentrée littéraire "sous les feux d'artifice" !
C'est que Gwenaële Robert a fait les choses en grand.
Deux feux d'artifice tirés conjointement divisent ce livre en deux parties ...
Le Mexique ou Cherbourg ?
Une bataille navale ou la fête ?
Du journalisme mondain ou un brutal reportage de guerre ?
De l'Histoire ou de la romance ?
Ce roman historique, "sous les feux d'artifice", vient de paraître aux éditions "les Passe-Murailles".
Il a été publié juste à temps pour faire partie de cette rentrée littéraire qui, plus que d'habitude, aura tenu ses promesses de bonnes lectures.
En ce mois de juin 1864, Charlotte et Maximilien arrivent au Mexique pour s'asseoir sur le trône chancelant que leur a offert Napoléon III ...
Et Théodore Coupet, journaliste mondain au journal parisien "la vie française", vient d'être envoyé à Cherbourg pour y couvrir l'inauguration du nouveau casino ...
Théodore est maussade.
On le comprend.
Il est envoyé à Cherbourg pour un reportage qu'il n'a pas envie de faire.
Et puis, la campagne normande vue du train, c'est un coup à vous fiche le cafard.
Et puis, il pleut ...
Mais Théodore, s'il n'avait pas voyagé en troisième classe, s'il avait pu lire le livre de Gwenaële Robert durant son voyage, s'il avait pris le temps de le finir ...
Théodore aurait eu moins le bourdon !
Il aurait découvert un roman historique prenant dont il est un des personnages principaux.
D'ailleurs, Coupet est un nom bien choisi pour se fondre dans le bocage !
Car en Normandie, on ne dit pas :
"ce que tu prétends est stupide ou prétentieux".
On dit :
"Mais où qu'c'est-y qu'tu preins ton cid', t'cheu Coupet" ?
Bref, Théodore Coupet n'a pas pu lire ce livre à cause d'un paradoxe temporel que l'on ne perdra pas de temps à démontrer ici.
Et c'est dommage !
Car c'est un bon roman, bien écrit par une auteure qui a su y distiller finement tous les ingrédients nécessaires au genre.
Elle y a même glissé, chose rare en la matière, quelque peu de sensibilité qu'elle n'a pas laissé s'étaler pourtant jusqu'à la sensiblerie.
Tout est bien dosé dans ce roman.
Le récit est crédible et captivant.
Les personnages sont attachants.
La lectrice, et même le lecteur, durant quelques 250 pages, vont se faire un sang d'encre pour le capitaine Semmes commandant le bâtiment sudiste l'Alabama, pour Charlotte et maximilien, pour Zélie et pour Mme des Ramures.
Hors de question de refermer ce livre avant que ...
Par contre, inutile de chercher la rue du blé qui se nomme en réalité la rue au blé.
J'ai presque honte de ce petit pinaillage géographique !
En tout cas je remercie, Gwenaële Robert de m'avoir, le temps de la lecture de son livre, transporté presque jusqu'à la maison, à quelques kilomètres de Cherbourg, et de m'avoir offert un agréable et intelligent moment de lecture.
Merci aux éditions "les Passe-Murailles" dont la belle devise semble prometteuse d'un exigeant choix éditorial.
Et merci à la "masse critique" qui encore et toujours a joué la carte de la découverte.
C'est une bonne pioche pour le livre de Gwenaële Robert !
Qu'il serait dommage de manquer dans cette rentrée littéraire ...





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Dix-huit cent soixante quatre, un navire Yankee s'ancre en baie de Cherbourg, jusque là ce serait banal mais dans la rade se trouve un navire sudiste, nous sommes en pleine guerre de Sécession et le blocus en a fait un navire errant.
Encore une page d'histoire passionnante, une peinture de la France de Napoléon III .
C'est l'apparition des toutes premières stations balnéaire : Cherbourg, Deauville… et de leurs casinos, promesse d'un argent facile.
C'est aussi pour Mathilde des Ramures, le glas de sa fortune et de la dot de sa fille.
Théophile Coupet, journaliste chargé des inaugurations et de la rubrique mondaine, venu de Paris, voudrait des événements politiques.
Zélie, jeune ouvrière à la langue bien pendue, va devenir femme de chambre, la guerre empêchant les filatures de coton de fonctionner.
Tout se met en place pour que Cherbourg connaisse une incroyable journée qui changera quelques vies avec le duel des deux navires.
C'est aussi la fin d'une époque que je connais fort peu : les débuts de l'industrialisation, l'argent devient le maître du monde et l'esclavage est aboli.
C'est aussi Napoléon III qui défie les États-Unis toujours en quête de domination et de nouveaux territoires. Il envoie Maximilien et Charlotte de Habsbourg au Mexique pour y régner (tout en espérant ouvrir une route au coton des confédérés)
Malheureusement ses plans n'aboutiront pas et Maximilien connaîtra une triste fin.
Gwenaële Robert nous offre un roman passionnant aux multiples feux d'artifice, d'une écriture fluide, avec la description d'une société à venir, et une réflexion sur ce qui fait bouger le monde. Encore une auteure que je relirai avec plaisir.
Une belle réussite de la rentrée 2022.
Merci aux éditions du Cherche Midi
#Souslesfeuxdartifice #NetGalleyFrance
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Par un matin de juin 1864, un bateau yankee, le Kearsarge, mouille en rade de Cherbourg et vient provoquer l'Alabama, une corvette appartenant aux confédérés. le capitaine de la corvette est confiant dans la solidité et la sûreté de son vaisseau et regarde sans se laisser impressionner le bateau qui fait des manoeuvres d'intimidation.

Nous sommes en pleine guerre de Sécession, la France qui importe du coton du Sud est en mauvaise posture : pas de coton implique la fermeture des filatures. Il est donc urgent que le Sud gagne pour que le commerce reprenne.

C'est l'époque des bains de mers, des cures, lancée par l'impératrice Eugénie, et Cherbourg tient à inaugurer son casino en grande pompe, feux d'artifice et accès aux tables de jeux. On attend l'arrivée des Parisiens pour ce week-end (cela ne s'appelle pas encore ainsi !). Théodore Coupet, journaliste en charge des potins mondains, alors qu'il rêve de la rubrique politique, est envoyé sur les lieux pour couvrir les festivités et il fait la connaissance de Mathilde dont le mari s'est ruiné au jeu, alors qu'il faut payer la dot de leur fille.

Qui dit jeu, dit enrichissement possible ou au contraire ruine. Ce qui donne des idées à Mathilde et Théodore : organiser un pari sur la bataille qui va opposer les bateaux américains.

En même temps, Charlotte, la fille du roi Léopold Ier de Saxe-Cobourg, qui vient d'épouser Maximilien de Habsbourg, hérite ainsi du titre d'impératrice du Mexique, couronne dont personne ne voulait, et même Napoléon III semble surpris que le couple ait accepté ce cadeau empoisonné. de surcroît la nuit de noces de Charlotte ne n'est pas passée comme prévu : les deux époux ont dormi côté en côté et rien ne s'est passé.

Après un voyage harassant, le couple débarque dans un pays à feu et à sang, où il n'est pas très bien accueilli : le palais qui les attendait ne peut les recevoir et ils vont parcourir dans une calèche aux couleurs de la République, des chemins particulièrement difficiles : ils arrivent couverts de poussière, et Charlotte sent bien qu'ils font l'objet de moqueries.

J'ai aimé ce récit à deux voix, les Habsbourg au Mexique, et Cherbourg qui se transforme en Casino géant, sur fond de bataille navale. On ne peut pas dire que les Habsbourg apparaissent sous leur meilleur jour : Charlotte a appris la politique auprès de son père et elle se rend bien compte de leur situation, alors que Maximilien se livre à la chasse aux papillons entre deux plongées dans la mélancolie…

Gwenaëlle Robert raconte très bien les évènements, tant politiques que les paris, avec un style incisif qui rend la lecture agréable. Je gardais un souvenir assez confus de « l'expédition au Mexique » de Napoléon III, de l'essor des bains, des cures, sur fond de travaux haussmanniens mais cela remontait à très loin, et la couronne des Habsbourg m'était complètement sortie de la mémoire.

Bref, un roman agréable à lire, mais dont la fin m'a laissée perplexe, car en fait, cela n'en est pas une, notre histoire, notamment celle ce rapportant à Théodore, Mathilde et la jeune femme qui recueille les paris se termine en queue de poisson…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions du Cherche Midi qui m'ont permis de découvrir ce roman et son auteure

#Souslesfeuxdartifice #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Quand la guerre de Sécession s'invite en Normandie…

L'été 1864 débute tout juste à Cherbourg où les élus locaux sont bien décidés à tirer bénéfice de la fête impériale que Napoléon III propose au pays en guise de projet politique, afin d'en profiter pour attirer jusque dans le Cotentin ces Parisiens qui ne jurent que par Cabourg ou Dieppe.

L'inauguration des nouveaux Bains et du casino attenant sont au programme ce week-end là, quand débarque au port l'Alabama, navire guerrier sudiste venu s'abriter, recharger en charbon et débarquer quelques prisonniers de guerre, vite suivi par le Kearsarge, bâtiment Yankee qui l'attend au large pour en découdre.

Et d'un seul coup, c'est la guerre civile US qui s'invite sans prévenir en Normandie, faisant de la bataille navale qui s'annonce, une attraction supplémentaire du week-end. Mais aussi une opportunité d'article prometteur pour le journaliste mondain Théodore Coupet et un potentiel retour de fortune pour Mathilde des Ramures, noble ruinée improvisée bookmaker.

Pourtant, le conflit d'outre-Atlantique n'est pas si éloigné des intérêts de la France, comme en témoigne l'envoi par l'empereur de Charlotte de Habsbourg et de son mari Maximilien au Mexique, pour en occuper le trône. Car le Mexique est la seule issue pour faire sortir le coton des états du Sud, bloqué par la guerre. Et sans coton, l'industrie textile française est à l'arrêt.

Multipliant les angles et les histoires (sans toutefois toutes les mener à leur terme), Sous les feux d'artifice de Gwenaële Robert est le récit de mondes qui s'achèvent. En Amérique où les 34 États nordistes du Nouveau monde sont inexorablement appelés à prendre le dessus sur les 11 États confédérés ancrés dans le passé esclavagiste. Au Mexique où « l'importation » de souverains européens ne passe plus et où la révolte gronde.

« C'est la marche du monde. Les États du Sud appartiennent au passé. Leur aristocratie un peu frelatée, leur économie fondée sur la terre, leur mode de vie… Ce sont des restes d'ancien régime. Tout cela sera balayé par la révolution industrielle. On n'entrera pas dans le XXe siècle avec du coton et des esclaves, c'est… c'est impossible. »

Mais aussi en France où l'on veut continuer à croire que la fête peut durer alors que la révolution industrielle annonce déjà les grands bouleversements économiques, politiques et sociaux à venir. Croire aussi qu'elle peut toujours influer sur le cours de l'histoire derrière son apparente neutralité : « Si le Nord est victorieux, j'en serai heureux, mais si le Sud l'emporte, j'en serai enchanté » aurait dit l'empereur.

Ce monde qui bascule et qui regarde en l'air les feux d'artifices alors que le sol glisse sous ses pieds, Gwenaële Robert l'illustre à travers sa galerie de personnages à la croisée de leurs chemins de vie : Maximilien, roi d'opérette, déjà fou et obsédé par la chasse au papillon et bientôt mort ; Charlotte la princesse belge, qui se rêvait reine et se découvre exilée dans un palais peuplé de cafards.

Et aussi Semmes, le capitaine de l'Alabama, auréolé de ses 69 victoires navales, qui masque derrière le panache et l'honneur, sa lucidité devant la défaite assurée ; Théodore, à la plume mondaine qui rêve d'articles politiques publiés en Une ; et Mathilde, qui dans sa déchéance, n'aspire plus qu'à offrir à sa fille, la dot qui lui permettra de ne pas avoir la vie de sa mère.

Enfin il y a Cherbourg, qui le temps d'un week-end, se sera rêvée à l'égal du Deauville de Morny. Mais elle « aura beau se parer des oripeaux du divertissement, la ville demeurera un port militaire, avec son arsenal et ses moeurs un peu rudes (…) Cherbourg, un jour, redeviendra ce qu'elle n'a jamais cessé d'être, une ville de garnison qui s'est, un temps, déguisée en cocotte pour obéir aux injonctions de la fête impériale. »

Sous les feux d'artifice est une belle surprise de cette rentrée littéraire, rythmé, documenté et impossible à lâcher avant la fin. On aurait grand tort de ne pas s'y précipiter…
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Ah Dieu! que la guerre est jolie

Un combat naval entre Confédérés et Yankees a eu lieu au large de Cherbourg. C'est cet épisode aussi improbable que saisissant que Gwenaële Robert retrace dans ce roman plein de bruit et de fureur qui a attiré les foules sur la côte normande.

Charlotte a épousé Maximilien. Elle est désormais impératrice du Mexique et débarque pleine d'espoir en Amérique centrale, ne sachant pas que Napoléon III lui a offert une illusion, sans compter le dédain affiché par son mari à son encontre. Car l'armée française s'enlise dans une guérilla incompréhensible, notamment à cause d'une totale méconnaissance du terrain. «Finalement, ces Mexicains mal armés, indisciplinés, montraient une forme d'acharnement qui ressemblait au courage et mettaient en déroute les meilleurs soldats du monde». Autrement dit, son voyage de Veracruz à Mexico sera tout sauf une sinécure.
Pendant ce temps, Théodore Coupet, journaliste à La Vie française est envoyé en reportage à Cherbourg. le spécialiste des potins mondains va couvrir l'inauguration du casino, mais rêve d'un scoop qui lui permettrait de gagner du galon. Peut-être que l'arrivée conjointe dans la rade de l'Alabama, navire sudiste, et du Kearsarge le Confédéré, lui offrira cette opportunité. Car on murmure que le capitaine sudiste, «cette tête brûlée de Semmes», entend engager la bataille contre son ennemi du nord. Assistant aux préparatifs, le reporter qui rêvait d'aller couvrir la guerre de Sécession, constate avec plaisir qu'elle «vient à lui pour l'arracher à la médiocrité de sa vie.»
L'idée qui germe alors dans sa tête pourrait même lui permettre de faire d'une pierre deux coups. Il suggère à Mathilde des Ramures, qui a trouvé refuge à Cherbourg, de parier sur la victoire du Nord, qu'il croit inéluctable, et refaire ainsi une partie de sa fortune. Car son mari flambeur les a entraînés vers la ruine et a été contraint de suivre le corps expéditionnaire au Mexique. Une belle occasion de se rapprocher de cette femme troublante. Mais pour ne pas éveiller les soupçons, il va charger Zélie Tissot, la jeune fille croisée dans le train, d'effectuer les transactions. Car la foule se presse sur la Côte. Ce combat est pour tous les curieux un formidable spectacle et un jeu qui peut même leur rapporter gros. La poudre va parler…
Tout comme c'est le cas de l'autre côté de l'Atlantique où le plan conçu par Napoléon III pour mettre fin au blocus en établissant un couloir de contournement par le Mexique piétine depuis deux ans déjà. Il y a pourtant urgence, car le blocus qui empêche les livraisons de coton asphyxie la soierie lyonnaise, la rubanerie stéphanoise, la broderie lorraine et de manière générale toute l'industrie textile. Sous les feux d'artifice, c'est bien l'inquiétude qui domine car l'issue des combats reste bien incertaine.
C'est à cette période-charnière de l'Histoire, au moment où le commerce se mondialise, que Gwenaële Robert a consacré le temps du confinement. Une période qui lui a permis de se plonger dans son abondante documentation et concrétiser son projet de roman, né après une visite à Cherbourg et plus particulièrement au cimetière. C'est là qu'elle a découvert les tombes de George Appleby et James King du CSS Alabama et, à leurs côtés, de William Gowin de l'USS Kearsarge. Nourrie des chroniques de l'époque, elle a parfaitement su retranscrire l'ambiance et l'atmosphère du XIXe siècle, ajoutant à son scénario les intrigues qui rendent la lecture si plaisante. On ne s'ennuie pas une seconde et on en apprend beaucoup. Bref, c'est une belle réussite.


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critiques presse (1)
LeFigaro
02 janvier 2023
À travers la préparation d'une bataille navale en juin 1864 à Cherbourg et les péripéties de Maximilien et Charlotte de Habsbourg au Mexique, Gwenaële Robert nous offre la peinture d'un siècle en pleine métamorphose.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
11 mai 1864
Océan Atlantique
Il ne l’a jamais touchée. Ni au soir de leurs noces, ni après. Pourtant cette nuit-là, ils ont dormi dans le même lit. Elle ne connaît rien aux choses du sexe, mais elle sait que c’est là que ça aurait dû se produire, le rapprochement de leurs deux corps vierges que séparait le voile d’une chemise de coton. Il ne s’est rien passé. Ils sont demeurés à distance l’un de l’autre, sous les draps empesés où leurs chiffres étaient partout brodés en rouge, son C enlacé à son M, comme une incitation à se mêler l’un à l’autre, en relief. Elle est restée longtemps immobile, les yeux fixés sur les lettres rouges qui se détachaient sur les draps, à la lueur du rayon de lune. Elle attendait de rencontrer sa peau, de sentir sa main sur son ventre, de deviner sa jambe contre la sienne, elle retenait son souffle, contractait ses muscles. Rien ne venait. Elle ne percevait même pas, sous les draps, la chaleur de son corps à lui, une sorte de rayonnement, l’électricité de sa chair. Il faisait froid comme la veille, dans le lit à une place où elle avait dormi seule. On eût dit qu’il était absent ou rejeté si loin qu’elle ne pouvait l’atteindre. C’était comme si un fleuve invisible traversait le lit, les condamnant à demeurer sur deux rives séparées. Lentement, elle a passé son doigt sur les boursouflures de coton des lettres brodées. Elle a senti sous la pulpe de son index l’injonction à s’unir, insistante, indiscrète, les courbes des majuscules enchâssées, C et M, Charlotte et Maximilien, et plus loin les initiales de leurs familles respectives, S-C et H, Saxe-Cobourg, Habsbourg, également enlacées. Soudain les initiales lui ont semblé obscènes, elle a repoussé le drap dans l’obscurité, elle s’est tournée vers lui, les yeux grands ouverts, effrayée de ce qui devait advenir, épouvantée qu’il n’advienne rien.

Il dormait. Elle l’a deviné à sa respiration régulière, au grognement plein de sommeil qu’il a émis en se retournant, soulevant le drap amidonné où s’est engouffré un air froid. Elle aurait dû être soulagée. La crainte de cet acte dont on n’avait rien pu lui dire – sauf qu’il était naturel et impérieux – s’éloignait. Elle bénéficiait d’un sursis. Mais celui-ci n’était pas moins inquiétant : et s’il durait toujours ? Est-ce qu’elle resterait vierge ? Est-ce qu’il ne l’aimait pas ? Était-ce sa faute ? Avant le mariage, on lui avait parlé de ses devoirs. « Tout dépend de l’épouse, de sa docilité et de sa capacité à se faire aimer. » Qui lui avait dit ça ? Sa femme de chambre ? Sa grand-mère ? Son confesseur ? L’avait-elle lu quelque part ? Elle était responsable de la bonne marche des choses. Responsable, c’est-à-dire coupable, si l’opération prenait un tour inattendu.

Dans l’obscurité de la chambre conjugale, Charlotte devinait confusément les conséquences dramatiques de cette nuit manquée. Elle voulait se rassurer. Ils n’étaient certainement pas les seuls, d’autres couples devaient vivre ainsi. Mais qui ? Elle a cherché dans son entourage, dans les ramifications de la famille royale de Belgique. Partout autour d’elle, des bourgeons surgissaient, des nourrissons braillards attestaient des mariages dûment consommés, les ventres belges, les ventres français, tous fécondés par des princes. Un frisson l’a parcourue, elle avait froid, elle était seule. Sa main a cherché à tâtons le drap. Elle l’a remonté sous son menton. Elle a fermé les yeux, est descendue au fond d’elle-même, là où tout s’éclaircissait, là où sa volonté ne rencontrait aucun obstacle.
Elle s’est promis que personne ne saurait rien de cet échec. Ni son père, ni ses frères, ni aucun des membres de sa belle-famille, ces Habsbourg empesés, obsédés par leur lignage. Elle a consacré le reste de la nuit à triturer l’abcès de cette blessure d’orgueil – après, elle n’y penserait plus. Elle se l’interdirait.

Lorsque l’aube s’est levée, elle n’avait pas dormi. C’est bien : il fallait afficher une petite mine. Au déjeuner, on lui a trouvé un air fatigué, mais résigné. Elle n’a pas démenti. Charlotte fait toujours ce qu’on attend d’elle.

Maintenant, sur le pont du bateau, elle y pense sans douleur. Son mari est accoudé au bastingage de la frégate, il regarde au loin, il aime la mer passionnément. Elle est le décor idéal pour ses épanchements mélancoliques, les rêveries de son esprit malade, gavé des poèmes romantiques mal digérés – Goethe, Hölderlin, Byron. Charlotte a craint jusqu’au moment du départ qu’il ne vienne pas. Maximilien a montré ces derniers temps des accès de mélancolie intense, des heures entières à rester prostré, muet, immobile tandis qu’elle se démenait pour remplir les malles, donner des ordres, boucler les préparatifs. Le dîner de gala organisé en l’honneur de leur départ a failli tourner au fiasco lorsqu’il s’est retiré brusquement, les épaules secouées par des spasmes nerveux. Son médecin a eu beau affirmer aux convives que ce n’était rien, la fatigue, le temps orageux, personne n’a été dupe. Le cadet des Habsbourg a passé la soirée enfermé dans le pavillon du parc, abattu, criant à travers la porte au valet envoyé par sa femme : « Je ne veux plus entendre parler du Mexique ! »

Charlotte s’est appliquée à faire oublier l’incident. Elle a présidé le souper avec beaucoup de naturel et de grâce, assuré une conversation brillante avec ses voisins, en italien, en espagnol, en français – toutes les langues sont faciles pour elle. Elle a fait les honneurs du château de Miramare, a guidé les invités dans le parc tandis qu’un orchestre invisible jouait des valses viennoises. On l’a trouvée rayonnante, son nouveau titre d’impératrice lui allait à merveille, c’est ce qu’ils disaient tous. Elle acquiesçait : c’est vrai qu’elle est faite pour régner, elle le sait depuis toujours – ces choses-là se devinent très tôt affirmait son père, le roi de Belgique. Mais toute princesse qu’elle était, elle n’était qu’une fille qui, pour son malheur, avait épousé le frère cadet d’un empereur : la mauvaise équation qui vous condamne à rester dans l’ombre, à regarder les souverains régnants avec envie et tristesse, à attendre un tour qui ne viendra peut-être jamais. On ne parle pas du malheur de n’être pas dynaste, on l’éprouve en secret, comme une maladie honteuse. Il faut pour vous en délivrer un événement tragique, ou une nouvelle inattendue, une couronne qui vous tombe du ciel : pour elle, ça a été celle du Mexique, et même si son mari montrait des réticences à la coiffer, elle savait que c’était leur seule chance de régner, de guérir de l’obsession de l’ordre de succession.

Quand les derniers convives sont partis, elle s’est laissée tomber sur son lit, épuisée, satisfaite d’avoir sauvé la face. Elle fait cela mieux que personne, depuis toujours. La vie est un devoir qu’il faut accomplir, on le lui répète depuis vingt-quatre ans. Quand bien même on aurait droit à une part de faiblesse, son mari a tout pris, il n’y a plus rien pour elle.

Depuis qu’on est en mer, Maximilien va mieux. Il parle avec les marins, il s’intéresse aux machines, aux cartes. Chaque matin, dans le silence de sa cabine, il se consacre à la rédaction d’instructions destinées à la future chancellerie. Il dessine des uniformes. Ensuite, il déjeune avec elle. À ceux qui les côtoient sur le Novara, ils offrent le spectacle d’un couple pudique mais harmonieux. Heureux même, si tant est que l’équipage d’un bateau soit à même de juger des états d’âme de Leurs Majestés. Pour elle, ça ne fait pas de doute, ça se voit. Elle n’a jamais été aussi belle, un peu exaltée quand même avec ses yeux brillants et ses joues qui rosissent si facilement. Elle a le sentiment enivrant d’accomplir son destin, enfin. Elle a grandi avec l’idée de régner. On l’a élevée pour ça, on l’a mariée pour ça. Pourtant, tout a mal commencé. Elle n’a connu d’abord que l’échec –son mariage, le royaume de Lombardie-Vénétie perdu après deux ans de règne, à peine. Ensuite, la solitude, l’ennui entre les murs de Miramare.

À vingt-quatre ans, Charlotte prend sa revanche. En devenant impératrice du Mexique, elle répond à toutes les espérances, les siennes d’abord. Reste à découvrir le peuple qu’elle a promis de servir, le pays sur lequel elle règne déjà, qui est loin et un peu inquiétant à cause de la guérilla et des régimes qui se sont succédé sans jamais réussir à y garantir la paix. Elle sait que l’armée française y piétine depuis deux ans, ce qui est mauvais signe attendu que c’est la plus puissante du monde. Mais elle a vu des photos, des peintures superbes rapportées à Miramare par la délégation d’Estrada. La végétation est splendide. On lui a montré d’extraordinaires collections de papillons, des colibris. Des cactus par milliers. Des temples éboulés entre des palmiers, les Maranta, les Gloxinia, ces noms mystérieux tracés au crayon sur des planches par des herboristes voyageurs. Et d’autres images de jungle, où des rideaux de lianes pendent langoureusement dans une débauche de tiges et de feuilles, où l’on devine une chaleur moite, rampante, dont elle sent confusément la sensualité. Dans son esprit la jonction se fait entre son désert conjugal et la verdeur luxuriante de son empire. Elle devine un décor où renaître, l’humidité chaude qui remonterait par capillarité et viendrait inspirer son époux, peut-être. Elle goûte par anticipation ses noces enfin vengées dans la moiteur de la jungle mexicaine.

Elle sourit, tout ira mieux là-bas, tout s’arrangera. D’ailleurs, ce n’est plus si loin. On approche de la Jamaïque. L’océan lui a semblé petit, très facile à traverser, plein d’animation. Le Novara a croisé des navires américains, des corvettes sudistes surtout, condamnées à errer sur le globe tant que durera la guerre de Sécession. On s’est salué de loin, avec respect et courtoisie - révérence discrète, gestes de déférence, sourires. Charlotte a reconnu dans ces forceurs de blocus des gentlemen, des nostalgiques de l’ordre ancien qui regardent dans la même direct
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Dans l'émotion générale, Eugénie n'a pas prêté attention à ce mot d'esprit qui a fait le tour de la cour pendant la visite officielle des Habsbourg. Un calembour qu'on répétait à mi-voix, pendant le bal, derrire les éventails et entre deux verres de porto. Elle saisit à présent toute l'acuité de ce jeu de mots par lequel on appelait les jeunes souverains « les archidupes ».
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Les Etats du Sud appartiennent au passé. Leur aristocratie un peu frelatée, leur économie fondée sur la terre, leur mode de vie… Ce sont des restes d’Ancien Régime, tout cela sera balayé par la révolution industrielle. On n’entrera pas dans le XXe siècle avec du coton et des esclaves, c’est… c’est impossible.
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_ Qu'est-ce qui vous rend si certain de la victoire des Yankees ?
_ Deux raisons . La première est d'ordre général : c'est la marche du monde. Les États du Sud appartiennent au passé. Leur aristocratie un peu frelatée, leur économie fondée sur la terre, leur mode de vie... Ce sont des restes d'Ancien Régime, tout cela sera balayé par la révolution industrielle. On n'entrera pas dans le XX ème siècle avec du coton et des esclaves, c'est... c'est impossible... »
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- Ainsi, vous allez travailler au casino,,,
- A l'hôtel, plutôt. Femme de chambre, pas le choix. Le casino, mon père n'aurait jamais voulu. Il dit que c'est un lieu pour les cocottes et les baladeuses. Il est forgeron à l'arsenal, mon père. Moi pour sûr, j'aurais préféré autre chose, mais quand on doit gagner sa croûte, c'est pas l'heure de faire sa mâchouilleuse... Pas vrai ? D'ailleurs le travail ne me fait pas peur, j'ai commencé à tisser des draps à dix ans, alors pensez, servir de la limonade à des bourgeoises, à côté de ça, c'est comme des vacances.
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Vidéo de Gwenaële Robert
Gwénaële Robert, lauréate du Prix Ouest 2023, remis pendant le Printemps du livre de Montaigu présente son livre "Sous les feux d'artifice" publié aux éditions le Cherche Midi.
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