Lieutenant Eve Dallas, tome 48 : Les dessous du crime

Rochelle vit avec son frère dans un trois-pièces du Lower West End, bien en dehors de leur territoire. Elle a connu une enfance difficile et pavée d’épreuves ; le genre de choses que toi et moi connaissons bien. Elle a surmonté les obstacles. Qu’elle ait choisi de consacrer sa carrière au bien-être des enfants n’a rien d’une coïncidence.
Elle connaissait bien ce ton, ces inflexions. Elle connaissait bien Connors.
— Tu comptes l’embaucher, dit-elle.
— Je vois ça comme un signe du destin que nous l’ayons justement rencontrée ce soir. J’avais déjà prévu de la contacter lundi matin pour organiser un entretien. Si celui-ci me donne satisfaction – et si elle est intéressée –, alors oui, je lui offrirai le poste.
Il pivota légèrement sur son siège et passa un doigt au creux de la fossette qu’Eve avait au menton.
— À moins que tu ne me donnes une bonne raison de ne pas le faire ?
Eve laissa échapper un soupir sifflant.
— Non. Je ne vais pas la tenir à l’écart sous prétexte que l’un de ses frères était un sale type ou à cause du passé de son père.
Elle n’était sans doute pas tout à fait sereine.

Quelle personne saine d’esprit avait envie de se demander quoi offrir chaque fois que quelqu’un l’invitait à l’une de ces fichues fêtes ? En fait, aucune personne saine d’esprit n’aurait souhaité se rendre à une fête après une longue journée de travail pour se tenir là, juchée sur des talons aiguilles débiles, cramponnée à une assiette d’amuse-gueules bizarres, pour bavasser sur des sujets idiots.
Une personne saine d’esprit n’avait qu’une envie : rentrer chez elle, enfiler des vêtements confortables et s’envoyer une pizza.
— Tu as terminé ?
Eve leva les yeux vers le visage ridiculement beau de son mari ; l’homme derrière la robe moulante, ces satanées chaussures et tous les diamants. Elle capta l’expression amusée de ses yeux d’un bleu à se damner et du sourire qu’esquissaient ses lèvres sculpturales.
Elle prit alors conscience que non seulement Connors allait prendre plaisir à la torture à venir, mais qu’il aurait tout à fait pu être l’auteur de ces règles insensées.
Il pouvait s’estimer chanceux qu’elle ne lui balance pas son poing dans la figure.

Beaucoup de ceux qui vivaient là gagnaient leur croûte en travaillant dans les boîtes, tripots et trous à rats des souterrains. Ceux qui n’avaient pas les compétences nécessaires mais restaient en quête de quoi manger ou de leur prochaine dose y vendaient souvent leur corps, soit pour un usage individuel, soit dans le cadre de jeux sexuels de groupe.
Les Bangers régnaient sur ce petit coin de clandestinité ; ils affrontaient régulièrement les Dragons de Chinatown dans leurs tentatives pour étendre leur territoire.
Présents en force dans les rues, ils dévalisaient les touristes assez fous pour s’aventurer chez eux en quête de couleur locale et fournissaient les toxicomanes et les travailleurs du sexe recalés à l’obtention de leur licence.
Les commerçants qui refusaient de payer pour leur protection retrouvaient généralement leurs magasins en flammes ou leurs stocks détruits par des bombes artisanales. Parfois avec le marchand récalcitrant encore à l’intérieur.

Une décharge d’amour transperça telle une flèche la bulle du désir et la fit exploser, submergeant Eve du mélange des deux.
Le souffle aussi court que celui de Connors, elle plongea les doigts dans la soie de ses cheveux trempés et plaqua sa bouche contre la sienne.
— Je peux tenir aussi longtemps que toi, assura-t-elle.
Elle se redressa et referma ses jambes autour de sa taille.
— À ton tour de chevaucher la vague.
Il ne pouvait plus s’arrêter. Abandonnant tout semblant de retenue, il s’enfonça en elle, encore, encore, avec une énergie aveugle, presque brutale. Les doigts refermés sur les hanches d’Eve, il l’entendit crier sous ses coups de boutoir. Pas des cris de reddition, cette fois, mais de triomphe.
C’était désormais lui qui était perdu, défait, vaincu. Saisi par l’orgasme, il eut l’impression de s’ouvrir, de se vider.

Il sentit Eve se laisser aller au plaisir de cette lenteur, s’y fondre, s’y abandonner. Submergée, elle parut se liquéfier contre lui. Elle se laissa couler au cœur des voluptueuses sensations, sa conscience flottant avec délice dans l’air moite et chaud. Et quand la vague enfla, enfla, Eve s’accrocha aux cimes de l’orgasme avant de se laisser brutalement retomber.
— Chevauche la vague, l’exhorta-t-il. Laisse-la t’emporter.
Il pouvait, et il allait, la projeter de nouveau vers les sommets. Pas si lentement, cette fois, ni si doucement.
Rien, absolument rien ne l’excitait plus que de voir son flic coriace et intraitable s’abandonner totalement à la jouissance qu’il lui prodiguait.