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Citations sur René Guénon : Témoin de la tradition (7)

Si l’Église catholique dans son ensemble n’était guère mieux disposée que la Maçonnerie à recevoir le message de la Tradition, que dire du monde « intellectuel » ! On trouvera dans l’intéressant ouvrage de Jean Biès - Littérature française et Pensée hindoue des origines à 1950 - une consternante anthologie de l’incompréhen­sion occidentale, dont nous extrairons ces quelques perles du plus bel... orient : « Dès 1919, Valéry, qui a le mérite de discerner la plu­ralité des civilisations et de les découvrir mortelles, n’en célèbre pas moins l’Europe, ce « petit cap du continent asiatique », comme bien supérieure au continent entier. L’Europe est « la partie précieuse de l’univers terrestre », le « cerveau d’un vaste corps » ; le reste de l’hu­manité étant constitué par « les nègres variables et les fakirs indéfinis ». Écho lointain de Gobineau, Valéry explique le miracle européen par la « qualité de sa population ». Que l’on mette dans le plateau d’une balance l’empire des Indes, dans l’autre plateau, le Royaume-Uni, c’est celui-là qui penchera ! L’Europe est synonyme d’activité, curiosité intellectuelle, imagination et logique équilibrées, scepticisme non pessimiste, mysticisme non résigné. Héritière de la Grèce, de Rome et du Christianisme, elle est ce lieu privilégié de la culture, de la science, du progrès et des « réalisations ». »

L’incommensurable naïveté des « penseurs » de l’Occident, infa­tués d’une bien illusoire supériorité, s’aggrave, lorsqu’ils sont chré­tiens, d’un étonnant manque de « charité »... On croit rêver en entendant Claudel refuser « la nuit abominable » des « brahmes, bonzes, philosophes », ou comparer « le trois fois infâme Bouddha tout blanc sous la terre », à un « Ver immonde », ou déclarer, enfin, que : « Rien mieux que (la pensée hindoue) ne saurait nous aider à réaliser les conditions constitutives (de l’enfer) ». Et Jean Biès de s’interroger : « Claudel n’aime pas l’Inde, il n’aime pas l’hindouisme, il n’aime pas son frère hindou. A voir tant de mépris et une telle sûreté de soi, l’on se pose la question : l’un de nos plus grands poètes chrétiens, et peut-être le plus grand, était-il vraiment chrétien ? Claudel écrase ce qu’il ignore, il le fait avec fanatisme. Cette partie de son œuvre n’est assurément pas la meilleure, elle n’augmente pas sa gloire, ni ne sert l’Église qu’il prétend servir.

De l’Inde, « noire damnée » de Claudel, aux caricatures d’hommes que sont pour Teilhard de Chardin les yogin, ces « esprits infer­naux », c’est le même mépris qui se manifeste, et c’est encore l’Esprit qui est outragé, par l’agitation ratiocinante d’un Occident qui se complaît irrémédiablement dans la rassurante illusion de ses jeux vains. Moins haineux toutefois que Claudel, Teilhard de Chardin in­tègre ses « impressions de voyage » à son hasardeuse cosmogonie, et imagine la « synthèse en le Christ cosmique des deux formes d’adoration qui se partagent l’humanité : christianisme d’une part, et, de l’autre, ce qui est récupérable dans les « panthéismes humanitaires » ». On pourra s’étonner que ces « panthéismes humanitaires » (et à condition bien sûr que la sempiternelle et absurde accusation de panthéisme eût encore un sens quelconque pour ceux qui en faisaient un épouvantail) fussent contredits par le reproche adressé à l’« âme asiatique », d’avoir séparé l’Un et le Mul­tiple, de les avoir même opposés en considérant que « l’Unité s’obtient en niant et détruisant le Multiple », tant il est vrai que la pensée schématique de l’Occident, irréductiblement dualiste, ne s’exprime qu’en termes d’opposition et de destruction, là où il n’y a en fait que synthèse et intégration. (pp. 166-167)
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ON A ASSEZ STIGMATISÉ, DANS CERTAINS MILIEUX, « l’intellectualisme glacé » de Guénon, on a assez déploré son « manque de charité », sa « méconnaissance de l’Amour » (qui sont, comme chacun sait, des vertus typiquement occidenta­les...) pour que nous ne croyions pas déplacé de restituer à l’homme sa véritable dimension. En fait, il devrait suffire, pour montrer l’ina­nité de ces reproches, de rappeler à tous ces défenseurs des valeurs de l’Occident - soit dit cette fois sans sombre ironie - que Guénon a consacré sa vie à exprimer, à l’intention de ses semblables, les véri­tés les plus hautes ; et cela en dépit de toutes les incompréhensions, souvent haineuses, en dépit de tous les « assauts », toujours redouta­bles. Nous voudrions savoir comment un tel homme pouvait man­quer de charité, entendue dans sa plus complète acception, lui qui, de surcroît, eût pu faire sienne la devise des Templiers : Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam [« Ce n’est pas nous, Seigneur, ce n’est pas nous mais Ton Nom qu’il faut couvrir de gloire. »]

Il est vrai que les vertus, entendues même simplement dans leur sens exotérique, ont été vidées progressivement de toute significa­tion, pour se réduire à un plat moralisme, à un vague sentimentalisme. Nous serons donc contraint de nous départir quelques ins­tants de la perspective purement intellectuelle qui a été la nôtre, jusqu’ici, pour illustrer de façon un peu anecdotique la « charité » de René Guénon. Nous ne reprendrons pas les souvenirs, tous concordants, de ceux qui ont eu le privilège de le rencontrer, mais nous livrerons seulement le témoignage inédit d’un de ses amis, rela­tant en ces termes sa première rencontre avec lui : « Je me rendis donc rue Saint-Louis-en-l’Ile un soir de juin 1928, à neuf heures, et j’en sortis à une heure du matin. Vous rapporter ce qui fut dit ce jour-là est impossible : je n’en ai conservé qu’une impression glo­bale; et celle-ci, comment la traduire ?

« Après m’avoir interrogé sur moi-même [...] Guénon se mit à raconter des anecdotes sur les occultistes qu’il avait connus et dont j’avais lu les ouvrages, de sorte qu’au bout d’une heure nous riions ensemble comme de vieux camarades. Ensuite seulement, lorsque je fus bien détendu, on aborda des sujets plus sérieux.

« Ce qui émanait de Guénon, c’est un double rayonnement de bienveillance et de certitude. Ses propos et son attitude suggéraient ceci : « Vous et moi, nous nous sommes reconnus pour être de même race ; j’ai une certaine avance sur vous, du fait que j’ai vingt ans de plus, mais je suis sûr que nous sommes d’accord. Ainsi, sur telle question, il faut penser ceci et cela. Cela ne se discute même pas, et vous ne seriez pas ce que vous êtes si vous songiez un seul instant à le faire. » Et, de fait, sa tranquille certitude était communicative.

« J’ai connu quelques hommes remarquables et il m’est arrivé d’adhérer à tel ou tel de leurs points de vue, mais toujours après examen et réflexion plus ou moins prolongée. Mais auprès de Gué­non, et de Guénon seul [...], l’adhésion était immédiate, l’examen et la réflexion ultérieurs n’ayant que valeur confirmative dans les « li­mites du mental ». » (pp. 285-288)
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Cette incompréhension propre à certains milieux catholiques est d’ailleurs résumée par le père Henri de Lubac qui, le 31 décembre 1962, écrivait à Noële Maurice-Denis Boulet, après la parution de son étude dans la Pensée Catholique, qu’il y avait chez Guénon « une hostilité réelle à ce qui fait la moëlle de l’Évangile, à l’esprit de Notre-Seigneur Jésus-Christ [...] »

Pourtant, après son mariage, nous l’avons dit, Guénon orienta son activité vers les milieux catholiques, où il rencontra parfois un accueil favorable, encore qu’il se fût heurté dès le début au principal représentant du mouvement néo-thomiste, Jacques Maritain, dont l’hostilité vigilante ne se démentit jamais, et qui alla jusqu’à profiter de sa situation d’ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, après la dernière guerre, pour demander sa mise à l’index. Mais sa requête ne trouva aucun écho auprès de Pie XII, dont nous avons quelques raisons de penser que son attitude vis-à-vis de Guénon devait être assez différente de celle du paysan de la Garonne... (pp. 161-162)
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Guénon dut d’abord rappeler que la civilisation occidentale n’était qu’une des civilisations du monde, qui ne se caractérisait d’ailleurs que par son absence de fondement traditionnel. Et il évoqua même à son sujet le symbolisme de sa situation géographique, relativement à l’Asie : « [...] la situation vraie de l’Occident par rapport à l’Orient n’est au fond que celle d’un rameau détaché du tronc [...] » Et c’est cette image, en effet, qu’appelle le schéma guénonien de l’évolution de l’Occident - excroissance monstrueuse s’éloignant toujours plus de l’Orient immuablement établi dans ses certitudes.

La civilisation moderne était perpétuellement en quête d’un équili­bre qui la fuyait d’autant plus irrémédiablement qu’elle le cherchait dans l’analyse indéfinie du monde physique, ayant abandonné aux seuls philosophes le soin de trouver une impossible synthèse. Cette divergence n’avait d’ailleurs pas été en croissant de façon continue depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Deux époques, particulière­ ment, marquèrent un temps d’arrêt dans cet éloignement progressif, durant lesquelles l’Occident reçut de nouveau cet apport intellectuel de l’Orient qui l’avait nourri dans le passé. (Les philosophes grecs proclamaient bien haut ce qu’ils devaient à l’Égypte, à la Phénicie, à la Chaldée, à la Perse et même à l’Inde.) Il s’agit de la période alexandrine(1) et du Moyen Age, où la contribution des Arabes fut décisive, soit qu’ils aient permis à l’Occident de retrouver ses pro­pres racines, en lui léguant la philosophie aristotélicienne qui devait vivifier la scolastique, soit qu’ils lui aient fait don de leurs lumières spécifiques, soit encore qu’ils aient servi d’intermédiaire à l’Inde.

C’est avec la Renaissance que la divergence reprit, lorsque se produisit cette rupture irrémédiable due au retour à une pseudo-Antiquité classique, dont seul subsistait en fait l’aspect prométhéen. Il convient d’ailleurs de redire que les Grecs ont presque tout emprunté à l’Orient, au moins dans le domaine intellectuel, bien que le « préjugé classique », c’est-à-dire « le parti pris d’attribuer aux Grecs et aux Romains l’origine de toute civilisation », eût longtemps conforté les Occidentaux dans la rassurante certitude de leur supé­riorité, incapables qu’ils étaient, intellectuellement, de franchir la Méditerranée. Il n’est, pour se convaincre de la réalité de ces emprunts, que de relire Platon, par exemple, qui souligna lui-même tout ce qu’il devait à l’Orient.

(1) Cf. Introduction générale à l’étude des Doctrines hindoues, lre partie, chap. IV : « Ce n’est que chez les néo-platoniciens qu’on verra reparaître des influences orien­tales, et c’est même là qu’on rencontrera pour la première fois chez les Grecs certai­nes idées métaphysiques, comme celle de l’Infini. Jusque-là, en effet, les Grecs n’avaient eu que la notion de l’indéfini, et, trait éminemment caractéristique de leur mentalité, fini et parfait étaient pour eux des termes synonymes ; pour les Orientaux, tout au contraire, c’est l’Infini qui est identique à la Perfection. Telle est la diffé­rence profonde qui existe entre une pensée philosophique, au sens européen du mot, et une pensée métaphysique [...] » (pp. 75-76)
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Il est significatif à cet égard que la psychanalyse, par exemple, parodie une étape du processus initiatique dont nous avons déjà parlé : la « descente aux enfers », qui a pour but de récapituler et d’épuiser les vestiges des états inférieurs - et antérieurs -, ceux par lesquels l’être est passé avant de naître à l’état humain. Il s’agit donc là d’une étape purificatrice indispensable avant de pouvoir accéder aux états supérieurs. Mais la psychanalyse, à qui toute spiri­tualité est certes radicalement étrangère, et qui n’envisage jamais de « superconscient » corrélatif de son « subconscient », se contente de plonger l’être dans des bas-fonds dont il gardera l’ineffaçable souil­lure, tel le profane tombant dans le bourbier des Mystères d’Eleusis. A propos de la psychanalyse, il est remarquable que les deux phases, matérialiste (en l’occurrence à l’état « résiduel » puisque la psychanalyse se caractérise en fait par le maniement d’influences psychiques inférieures) et spiritualiste, soient représentées respectivement par Freud, manifestant ainsi qu’il était un instrument assez in­conscient des forces qu’il avait déchaînées, et par Jung, qui réintro­duit le symbolisme, mais pris au rebours de son sens légitime puis­ qu’il applique à un domaine proprement « infernal » ce qui concerne uniquement le supra-humain. (p. 242)
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Il faut encore préciser que cette polarisation de l’Être (sans qu’il en soit aucunement affecté dans son unité intime) que constitue le couple Purusha-Prakriti, par rapport à la manifestation, n’implique nul dualisme, comme celui, par exemple, de l’esprit et de la matière, qui est un des fruits du cartésianisme. Pas plus que Purusha ne peut être assimilé à l’« esprit » des conceptions philosophiques occidenta­les, Prakriti ne saurait l’être à la « matière », dont la notion est à ce point étrangère aux Hindous (comme elle l’était probablement aux Grecs, ὕλη, chez Aristote, étant la « substance » dans toute son universalité) qu’il n’existe pas de mot sanskrit qui la puisse traduire. C’est que la matière, en effet, n’est qu’« une spécification [de la sub­stance universelle] par rapport à un état d’existence déterminé, en dehors duquel elle cesse entièrement d’être valable [...] ». (p. 108)
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C’est à Paul Chacornac que nous emprunterons le récit de l’« incident de 1908 », qui nous permet d’affirmer que dès le début de cette année, au plus tard, Guénon avait répudié l’occultisme, si tant est qu’il lui eût jamais donné son adhésion : « Lors du Congrès Spiritualiste et Maçonnique de 1908 (nous avions été chargé de toute la partie administrative avec le Voile d’Isis comme organe officiel) qui eut lieu du 7 au 10 juin, dans la grande salle des Sociétés Savan­tes, René Guénon était présent comme secrétaire du bureau. Il se tint sur l’estrade d’honneur, revêtu de son cordon. Ce fut là sa seule participation au Congrès. Il s’en retira, choqué par une phrase, dite par Papus, dans son discours d’ouverture : « Les sociétés futures seront transformées par la certitude de deux vérités fondamentales du spiritualisme : la survivance et la réincarnation. »

Or, personne, en Occident, et surtout pas les occultistes, à quel­ que mouvement qu’ils appartinssent, n’aurait pu démontrer à un néophyte l’erreur métaphysique de la réincarnation, qui était à l’époque, et qui est toujours, dans nombre de cercles néo-spiritualistes, une notion de base, une croyance tout à fait établie, dont l’ori­gine orientale ne saurait d’ailleurs faire de doute pour quiconque. Pour que Guénon affiche une telle position vis-à-vis de ce dogme, il fallait nécessairement qu’il eût été informé de son inexistence en Orient... par de véritables Orientaux, ou que ceux-ci l’aient mis dans le cas de découvrir par lui-même l’absurdité de la théorie réincarnationniste.

Mais si cette croyance ne dépassa effectivement jamais, en Orient, le stade de la superstition populaire - de même qu’en Occident beau­coup de fidèles ne vont pas au-delà du littéralisme le plus étroit, et adorent des images peintes ou des représentations mentales - il convient de reconnaître que certaines formulations, de la part d’Orientaux qualifiés, pourraient suggérer qu’ils adoptent cette hypo­thèse. Il s’agit, en fait, ou bien d’expressions purement symboliques évoquant la transmigration de l’être à travers les états d’existence supra-humains, ou bien d’allusions à ce que les Pythagoriciens dési­gnaient sous le nom de métempsycose, et qui n’a rien de commun avec la réincarnation. Celle-ci est d’ailleurs propre à l’Occident moderne. A ce point que le spiritisme, auquel on l’associe communé­ment, ne l’avait pas même adoptée dans ses débuts, et que des médiums anglo-saxons de la « première génération », tel le célèbre Dunglas Home, la nièrent catégoriquement. En France même, cer­tains spirites réfutèrent la position d’Allan Kardec, qui en fit, quant à lui, un véritable article de foi. C’est d’ailleurs à partir du spiritisme français que ce dogme se propagea au théosophisme et à l’occul­tisme papusien. (pp. 46-47)
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