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Paul Dupont (01/01/1896)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Rochefort, au coeur de la Commune, dévoile certains aspects méconnus tant du côté de la Commune que du côté du gouvernement Versaillais tenu par Adolphe Thiers.
La presse et le gouvernement fanfaronne sur son arrestation, son procès est retentissant, son incarcération ou ses conditions de détention font l'objet de polémiques.
Après quelques détails charmants sur sa déportation en Nouvelle-Calédonie, sa retentissante évasion est détaillée.

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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Récemment greffé au mouvement de la Commune comme un membre étranger sur un corps en révolte, Henri Rochefort jouait un rôle trouble, indécis, critiquant à la fois la Commune et les décisions de Thiers.
Lucide quant à la situation militaire mais entretenant l'espoir d'une lutte, il espérait une conciliation possible entre la Commune et l'Assemblée de Versailles mais a bien vite compris qu'il n'y en aurait jamais :

« Cette révolution n'avait malheureusement aucune issue, attendu que les Prussiens qui nous entouraient seraient, en cas de défaite de l'Assemblée, intervenus contre les vainqueurs. »
« En constatant que leurs avances et leurs offres de conciliation étaient reçues à coups de fusil, les membres de la Commune finirent par se ranger à l'avis de Raoul Rigault. (L'un des communards les plus extrêmes) »

Il s'indignait avec sa verve habituelle, au travers de son journal « Le Mot d'ordre » d'une multitude de cas d'arbitraire totalement extravagants :

Un député résidant à Paris, Edouard Lockroy, lassé des tumultes parisiens en pleine Commune, eut un jour l'idée saugrenue de faire une petite balade en banlieue proche de Paris. Il fut arrêté à Neuilly, seul dans son fiacre, sans armes. Incarcéré temporairement sans réels motifs, il était suspect seulement car il venait de Paris. On lui reprochait, faute de motifs d'inculpation, d'être, en tant que député, « démissionnaire » au sens où, après les élections de février 1871, il a continué de résider à Paris tandis que les députés poursuivaient leur mandat à Versailles. C'est dans ce contexte absurde que Rochefort proteste et ironise, dénonçant un étrange « crime d'habitation » par le seul fait de n'avoir pas déménagé de Paris depuis la Commune.

Auguste Blanqui est emprisonné pour des raisons purement idéologiques. Il n'a pas participé à la Commune. Il est malade et loge loin de Paris mais on le condamne soudainement à mort pour avoir été responsable du soulèvement le 31 octobre 1870… Prétexte évident pour le mettre en prison de façon préventive car on craignait qu'il ne rejoigne la Commune tôt ou tard. On interdit à sa famille d'avoir la moindre nouvelle concernant sa détention, où se trouve-t-il ? Est-il, du moins, encore vivant ? Aucune visite n'est permise, aucune information n'est fournie, même à sa famille. C'est un silence cruel qui clôt toute communication : un excès qui, selon Rochefort, « dépasse toutes les bornes de la folie furieuse ».

Il débordait plus largement d'indignation face à la répétition des bombardements, des fusillades de prisonniers orchestrées par les généraux Vinoy et Gallifet, et dénonçait aussi la duplicité de Thiers… Ce dernier agitait le spectre du pillage organisé par les Communards, vidant hôtels et maisons de tout mobilier, sans la moindre preuve.

L'un des journaux, contribuant à alimenter le feu de la propagande, annonça le pillage de l'hôtel parisien de Thiers par une émeute sauvage sous les cris répétés de « Vive Rochefort ! » (Journal le Gaulois, 19 avril 1871) Et c'est notamment ainsi qu'ils dressèrent un portrait de Rochefort en « chef occulte de la Commune », érigé en gourou du chaos.

En façonnant de cette manière l'opinion publique et celle des députés, tout espoir de négociation s'estompait, certains députés s'écriaient en plein débat parlementaire : « on ne traite pas avec les brigands ! »
Rochefort, avec un humour acerbe, soulignait l'incompatibilité entre le mouvement démocratique de la Commune et l'idée de brigandage : « Les premières élections communales ont réuni 140 000 votants. C'est évidemment de ces brigands-là que les députés de Versailles ont voulu parler. Si l'on y ajoute les 80 autres brigands nommés par les 140 000 précités, nous arriverons, comme brigandage à un total qui frise l'invraisemblance. »

Thiers affirmait encore qu'il ne bombardait pas Paris, et si par hasard des traces de canon étaient visibles, c'étaient celles des insurgés parisiens, naturellement…

Rochefort, armé de son ironie tranchante, rétorqua :

« Ainsi, l'Arc-de-Triomphe porte sur ses bas-reliefs 80 traces d'obus. La rue Galillée est devenue inhabitable, les toits d'alentour s'effondrent sous les bombes et ce ne sont pas les troupes de Versailles qui tirent sur Paris ! Mais qui diable est-ce donc ? Les troupes de la Commune peut-être, qui écornent elles-mêmes les monuments pour laisser supposer que M. Thiers est capable de bombarder la capitale qui l'a élu, à une maigre majorité, du reste. »

Heureusement, un remède divin est suggéré par les députés monarchiques et catholiques : des prières publiques pour la cessation de la guerre civile ! Une solution aussi lumineuse qu'inattendue… Les journaux soutiennent avec ferveur cette idée, clamant que « le siècle est marqué au front de l'indifférence ; c'est un mauvais symptôme. Il indique une nation malade et prête à tomber en décadence. La religion est le lien sacré qui réunit toutes les vertus d'un peuple… » ou « Si jamais un pays eut besoin du secours divin, c'est bien assurément dans les jours maudits que nous subissons… »
Urgence ! Urgence ! Un député, le général Du Temple : « s''étonne que l'urgence n'ait pas été demandée sur une proposition aussi pressante. Il a ajouté ces mots : « Nous faisons attendre Dieu. »

Rochefort, quant à lui, accueillit cette miraculeuse solution avec un tel sarcasme qu'il exacerba la haine farouche de ses adversaires politiques catholiques :

« Molière où es-tu ? Pourquoi être mort si jeune, mon bon Poquelin ?
L'assemblée de Versailles, qui pulvérise nos maisons, qui fusille nos gardes nationaux prisonniers et qui demande tous les matins 40 000 têtes parisiennes, vient de voter, à la presque unanimité, une mesure destinée à écarter définitivement les maux qui désolent notre pays. On va prochainement ordonner sur tout le territoire français, quoi ? La levée en masse ? Un impôt forcé pour arriver, en payant immédiatement les 5 milliards, à se débarrasser de la vermine prussienne ? Jamais ! On vient de voter des prières publiques. »

Rochefort assenait également des critiques à l'encontre des membres de la Commune, avec moins de véhémence cependant :
Il déchaîna sa colère face à la détention arbitraire de Gustave Chaudey, s'éleva contre le décret des otages et rétorque avec force aux attaques personnelles que les journaux de la Commune lui lancèrent.
Ces derniers lui reprochaient d'avoir été rédacteur au Figaro, d'avoir dissimulé la capitulation de Métz alors qu'il était au gouvernement, ou encore d'avoir refusé toute candidature officielle au sein de la Commune… Mais Rochefort ne se laissa pas abattre et réduit à néant chaque attaque tout en mettant à mal l'auteur de ces calomnies, créant ainsi de profondes fissures au sein de la Commune à son encontre.

Cependant, sa rancoeur ne le rend pas injuste. Lorsque Félix Pyat, qui l'avait attaqué, se fit menacer d'arrestation quelques semaines plus tard par ses pairs, Rochefort, magnanime, prit sa défense :

« S'il est question d'arrêter Félix Pyat, qui n'arrêtera-t-on pas ? Nous n'avons pas mission de défendre le rédacteur en chef du « Vengeur », qui saura bien s'expliquer dans son journal ; mais nous ne pouvons oublier qu'il combat depuis trente ans pour les idées qui triomphent aujourd'hui. »

Une cacophonie infernale régnait entre les membres de la Commune dès mi-avril 1871 environ :

« Ce qui ronge la Commune, désagrège le Comité central, énerve la garde nationale, et finalement dissout la République, ce n'est ni le Prussien installé à nos portes, ni les obus de M. Thiers, ni les lois élaborées par M. Tufaure : ce qui nous tue, c'est la défiance. 
L'hôtel-de-ville se défie du ministère de la Guerre ; le ministère de la Guerre se défie du ministère de la Marine ; le fort de Vanves se défie du fort de Montrouge, qui se défie du colonel Rossel, et Vésinier se défie de moi. »
(H.Rochefort dans son Journal le Mot d'Ordre - 12 mai 1871)

Des rumeurs circulèrent : Rochefort serait arrêté dans la journée. Prévenu à temps, il eût le temps de fuir. Son dernier article avait fortement agacé la Commune.
Il dénonçait le système du décret des otages : à chaque fois que le gouvernement de Thiers fusillait sommairement un otage, la Commune ferait de même en en tuant 3 des leurs, tirés au sort.
Rochefort souhaitait, comme d'autres communards, à minima sélectionner les otages et choisir d'abattre en priorité les plus dangereux et non s'en remettre au hasard. C'était la contestation de trop.

Il s'échappa avec succès de Paris mais fut arrêté à Meaux et remis au gouvernement versaillais.

Tous les détenus membres de la Commune devaient être jugés en bloc. Heureusement, la justice reconnut que Rochefort n'avait aucune fonction officielle au sein de la Commune bien qu'on tentât à plusieurs reprises de le qualifier de « membre occulte de la Commune ».

Le procès de Rochefort, mené à la hâte devant un tribunal militaire, fut marqué par un échange mordant entre lui et les généraux :

« Vous trouverez dans mes écrits des violences de langage mais c'était l'expression d'une indignation bien naturelle en voyant pleuvoir des obus autour de moi. »

Certes ! Mais montrer le ridicule est interdit lui dit-on !

« Vous avez soutenu une guerre que vous compreniez bien être dirigée contre un gouvernement régulier. Vous avez tourné ce gouvernement en ridicule dans vos articles et vous savez qu'en France le ridicule tue.
Ainsi, dans l'article intitulé : « tous brigands » article que l'on vous lira vous dites que « la maison de santé a résolu d'envoyer contre Paris des pensionnaires tels que Vinoy, Canrobert et autres ». Vous assimilez l'Assemblée nationale à une maison de fous. »

Mais l'interrogatoire fut bref et clôt de manière abrupte par une série d'injures proférées par l'un des généraux :

Rochefort avait excité les foules, était responsable de la démolition de l'immeuble de Thiers, et aurait même été vu, selon un témoignage imprécis et probablement factice d'un agent, en train de piller une église… Il fut encore responsable d'articles non signés de son journal en sa qualité de gérant…

Le plus surréaliste fut à propos de la destruction de monuments publiques.
La Commune avait décidé de démolir la colonne Vendôme, une décision dont Gustave Courbet fut tenu responsable au point qu'il dut indemniser entièrement le coût de reconstruction de la colonne, et même s'il n'était absolument pas le seul à en vouloir sa destruction…
Surenchérissant à cette idée qu'il approuvait, Rochefort proposa la démolition de la Chapelle expiatoire, un édifice religieux commémoratif honorant notamment la mémoire du couple royal guillotiné pendant la révolution. Construit durant la restauration monarchique, ce monument constituait pour lui une « insulte permanente à la Convention nationale qui avait, à l'unanimité, condamné Louis XVI à mort pour avoir appelé l'étranger en France. » Il n'était pas le seul à le proposer, la Commune fit voter sa destruction mais n'eut pas le temps de s'exécuter.
Pour ce délit de plume, Rochefort fut jugé, en autres, responsable d'avoir demandé (seulement) la démolition de la chapelle expiatoire, qui n'a jamais été détruite.

Condamné à la déportation perpétuelle, la presse jubile, se venge et se délecte en permanence de chaque détail de sa vie de prison en publiant des nouvelles, vraies ou fausses, presque chaque semaine pendant près de trois ans.
Chaque aspect de sa vie est disséqué : son état de santé, ses divers lieux de déportation, les visites qu'il reçoit et le traitement de faveur exagéré dont il jouirait. Lorsqu'il se marie en prison pour légitimer ses enfants, les journaux en dressent une description morbide et détaillée en première page, n'hésitant pas à bien mentionner que son épouse est souffrante et mourante.

Les calomnies continuent, prétendant qu'il a laissé ses enfants dans la misère et que son père est mort dans l'oubli et l'ingratitude totale de Rochefort. Cet acharnement de la presse, que j'ai constaté en faisant mes propres recherches, est absolument passionnant : on y trouve tout ce qu'il y a de plus vil, de plus malsain.

Changeant de lieu de déportation, on envoie Rochefort et d'autres détenus dans une île en Nouvelle-Calédonie. Victor Hugo, son fils et des amis de Rochefort protestent ensemble, ce dernier étant déjà gravement affaibli par ses mauvaises conditions de détention et ne pourrait supporter un long voyage. le voyage fut en effet long et douloureux pour Rochefort. Cependant, une fois débarqué sur l'île, il reprit toute sa vigueur et s'exerça quotidiennement à la nage, ce qui lui sera d'une grande utilité.
Un navire anglais viendra récupérer un soir Rochefort et d'autres détenus ayant nagé près d'un kilomètre en pleine nuit, se rapprochant d'une île microscopique et non surveillé par les gardes. Rejoignant l'Australie, Rochefort se fait payer, par une souscription publique dont participera expressément Victor Hugo, son retour en Europe.
L'euphorie gagne la presse tandis que le gouvernement nie comme il peut les faits, mais en vain, les journaux en parlent quotidiennement, même la presse étrangère l'évoque : tout cela couvre d'une honte affligeante le gouvernement de Mac-Mahon. On a renvoyé le gouverneur français de la Nouvelle-Calédonie, on a demandé l'extradition à l'Angleterre qui l'a refusée…
Le gouvernement s'agite et prend peur, on sait que Rochefort se vengera par la plume et signera des articles de l'étranger. La crainte est grande.

(Suite au Tome IV)
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Il y a deux sortes de bergers parmi les pasteurs des peuples: ceux qui s'interessent à la laine et ceux qui s'interessent aux gigots. Aucun ne s'interesse aux moutons .
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