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Citations sur Grammaire de l'imagination (11)

D’un lapsus peut naître une histoire, c’est bien connu. Si, par exemple, il m’arrive d’écrire couvent des «cara- mélites» au lieu de couvent des «carmélites», je fonde un nouvel ordre religieux susceptible d’éveiller bien des vocations chez les enfants gourmands. De la même façon, si j’écris «Vanille» pour «Manille» ou «Miélorus- sie» pour «Biélorussie», voici découvert un nouveau pays doux et parfumé: ce serait dommage de la bannir, d’un simple coup de gomme, des cartes du possible; mieux vaux l’explorer, en touristes de l’imagination.

[...]

Un magnifique exemple d'erreur créatrice est celui que l'on trouve, selon Thompson (Les contes de fées dans la tradition populaire) dans un célèbre conte de Charles Perrault : la pantoufle de Cendrillon, à l'origine, aurait dû être de "vair" (sorte de fourrure), et ce n'est que par une heureuse méprise qu'elle se transforma en "verre". Une pantoufle de verre est à coup sûr beaucoup plus séduisante et féconde sur le plan de l'imagination qu'une quelconque pantoufle de fourrure, même si elle est née d'un calembour ou d'une erreur de transcription.

[...]

N'importe quelle faute d'orthographe contient une histoire en puissance.
Une fois, à un enfant qui avait écrit "poison" pour "poisson", je suggérai d'inventer l'histoire d'un poissonnier qui avait peint sur la vitrine de son magasin l'inscription "poison frais". D'autres enfants se précipitèrent sur ce thème. Il en sortit toute une histoire : le malheureux poissonnier perdait toute sa clientèle et n'y comprenait rien : la police s'en mêlait, faisait une enquête, etc.
Un "vollume" avec deux l, est-ce seulement un livre plus volumineux que les autres, ou bien un livre raté, ou encore un livre très spécial ?
Un "révolvair", est-ce un pistolet qui tire des balles, des fléchettes ou des violettes ?
Entre autres choses, jouer avec les fautes d'orthographe, c'est déjà une façon de s'en débarrasser en prenant du recul. Le mot correct n'existe que par rapport au mot incorrect. Voilà qui nous ramène au "binôme imaginatif" (ndrl. : idée définie plus tôt et qui explique comment faire le lien entre deux mots ou deux idées sans rapport pour créer une histoire) : l'exploitation d'une faute, volontaire ou involontaire est un cas intéressant et subtil de "binôme" ; en effet, le premier terme du binôme engendre spontanément le seconde, presque par parthénogenèse. Un "coq de gruyère" naît d'un "coq de bruyère" [...]. Et souvent, les référents des deux termes - par exemple "chatte" et "chate" - restent des parents très proches ; le second est dépourvu d'une signification propre : son sens dérive exclusivement du sens du premier, dont il n'est qu'une altération (une "chate" est un animal mutilé et pitoyable : elle n'a qu'une moustache, marche sur trois pattes et - honte suprême ! - est pourchassée par les rats...). En somme, le second est une "maladie" du premier. Maladie particulièrement évidente dans l'exemple de "coeur" et "queur" : il n'y a pas l'ombre d'un doute que ce "queur" est un coeur malade. Il a besoin de vitamine C.
L'erreur peut révéler des vérités cachées, en particulier sur le plan idéologique.
On peut obtenir plusieurs erreurs à partir d'un seul mot, et donc plusieurs histoires. Par exemple, à partir du mot "l'automobile" : "l'octomobile" (il s'agit d'une voiture à 8 roues, j'imagine), "lotomobile", "l'autonubile", "l'autonoble" (cette auto doit être au moins duchesse et refuse probablement d'être garée dans un quelconque garage plébéien).
C'est en se trompant qu'on apprend, affirme un vieux proverbe. Un nouveau pourrait aussi bien affirmer : c'est en se trompant qu'on invente.
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En somme, les contes seraient nés par un processus de chute, en tombant du monde sacré dans le monde profane : tout comme sont tombés dans le monde enfantin et ont été réduits à de simples jouets, selon le même processus de chute, des objets qui au cours des ères précédentes avaient été des objets rituels et culturels. Par exemple, les poupées, la toupie.
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C'est en se trompant qu'on apprend, affirme un vieux proverbe. Un nouveau pourrait aussi bien affirmer : c'est en se trompant qu'on invente.
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Techniquement, le jeu des associations se déroulait sur ce que les linguistes appellent "l'axe de la sélection" (Jakobson), comme une recherche , le long de la "chaîne parlée", des mots sémantiquement apparentés. (...) Dans le travail du poète, dit Jakobson, l' "axe de la sélection" se projette sur l' "axe de la combinaison" : ce peut être un son (une rime) qui évoque un sens, une analogie verbale qui suscite la métaphore. Il en est de même lorsque l'enfant invente une histoire. Il s'agit d'une opération créative qui a aussi un aspect esthétique : mais ce phénomène nous intéresse ici sous l'angle de la créativité, non de l'art.
P. 29
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Gardons nous de l'illusion d'en avoir épuisé toutes les possibilités. On connaît la thèse chère à Paul Valéry selon laquelle il n'est pas un seul mot que l'on puisse comprendre si on va jusqu'au fond. Et Wittgenstein a écrit pour sa part " les mots sont comme la pellicule superficielle d'une eau profonde". Voilà pourquoi il faut chercher les histoires en nageant sous l'eau.
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Non pas pour que tout le monde devienne artiste, mais pour que personne ne reste esclave.
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L'enfant qui lit une Bande Dessinée
Pour reconstituer intégralement le déroulement de l'histoire, l'imagination doit combiner les indications fournies par le récit avec celles des dialogues et des onomatopées, avec celles du dessin et de la couleur ; elle doit réunir en un seul fil continu tous les bouts de fils qui composent le scénario, dont la trame reste invisible pendant de longs moments. C'est le lecteur qui donne un sens à l'ensemble : aux caractères des personnages, qui ne sont pas décrits mais montrés en action ; à leurs rapports, qui résultent de l'action et de ses rebondissements ; à l'action même, qui ne se révèle que par à-coups et fragmentairement. (...)
Je serais tenté de dire que, jusqu'à un certain point, l'intérêt principal de l'enfant pour la BD ne dépend pas de son contenu mais se branche directement sur la forme et la substance de la BD en tant que moyen d'expression. (...) Il se délecte du travail de son imagination, plus que des aventures des personnages. Il joue avec son esprit, non avec l'histoire. (...)
P. 159
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Parlant de la création littéraire, Roman Jakobson a remarqué que "la fonction poétique projette le principe d'équivalence de l'axe de la sélection (verbale) sur l'axe de la combinaison". La rime, par exemple, peut faire apparaître des équivalences de sons et les imposer au discours : le son précède le sens. Cela arrive aussi dans l'invention enfantine, comme nous l'avons déjà vu. Mais encore avant l' "axe de la sélection verbale", c'est d'abord celui de l'expérience personnelle que nous voyons se projeter dans l'histoire (...).
En somme, dans le récit, le langage assume pleinement sa fonction symbolique, en refusant le support matériel du jeu. S'agit-il pour autant d'un rapport moins riche avec le réel que ne l'est le jeu proprement dit ? (...) Je ne le pense vraiment pas. Au contraire, le récit m’apparaît comme une étape plus avancée de conquête du réel, comme un rapport plus libre avec les matériaux. C'est un moment de réflexion qui va au-delà du jeu. C'est une forme de rationalisation de l'expérience : un premier pas sur le chemin de l'abstraction.
P. 136-137
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J’espère que ce petit ouvrage pourra quand même être utile à ceux qui croient en la nécessité de donner à l’imagination la place qui lui revient dans l’éducation ; à ceux qui font confiance à la créativité enfantine ; à ceux qui savent à quel point la parole peut avoir une valeur de libération. « Tous les usages de la parole pour tout le monde » : voilà qui me semble être une bonne devise, ayant une belle résonance démocratique. Non pas pour que tout le monde devienne artiste, mais pour que personne ne reste esclave.
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Un jour, dans les Fragments de Novalis (1772-1801), je tombai sur ce passage : « Si nous avions une Imaginatique, comme nous avons une Logique, l’art d’inventer serait découvert. » C’était magnifique. Presque tous les Fragments de Novalis le sont, presque tous contiennent d’extraordinaires illuminations. (…) Ce fut à cette époque que j’intitulai pompeusement Cahier d’Imaginatique un modeste dossier dans lequel je notais, non pas les histoires que je racontais, mais la façon dont elles naissaient dans mon esprit, tous les trucs que je découvrais ou croyais découvrir pour mettre en mouvement mots et images.
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