La violence a-t-elle sa place dans la lutte pour un monde meilleur ? Entre farce et tragédie, une provocation poétique et politique parfaitement réussie.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/06/27/note-de-lecture-catarina-et-la-beaute-de-tuer-des-fascistes-tiago-rodrigues/
Tous les ans, depuis soixante-dix ans, la famille se réunit au grand complet, quelles que soient les circonstances, dans cette cabane située au fin fond de la forêt portugaise. L'occasion de se voir, bien sûr, de cuisiner, de manger et de boire, d'échanger projets, anecdotes et nouvelles. L'occasion surtout, chacune et chacun se prénommant unanimement Catarina durant ce week-end particulier de l'année, de tuer un fasciste, habilement et discrètement kidnappé, en souvenir, en hommage et en vengeance de l'ancêtre Catarina tuée par eux en 1954, et des meurtres si nombreux perpétrés par la même clique, encore aujourd'hui, qu'elle soit au pouvoir ou non. Pas n'importe quel petit fasciste ordinaire, non, mais chaque fois que possible l'un de ces responsables attisant la haine et créant leurs projectiles humains à coups de diatribes télévisuelles et d'éditoriaux pernicieux.
Cette année, c'est Romeu, un des députés-phares, et des plus radicaux, du parti d'extrême-droite qui s'infiltre d'année en année davantage dans la vie politique institutionnelle de la démocratie portugaise post-dictature, qui a été choisi, et tandis qu'il attend, ficelé sur sa chaise, que l'on veuille bien enfin s'occuper de lui, les préparatifs du rituel vont bon train, dans une atmosphère à la fois solennelle et bon enfant. Mais au moment d'agir, la jeune Sara, qui doit officier pour la première fois, malgré les encouragements familiaux, est prise de doutes…
Créée en 2020, traduite en français la même année par
Thomas Resendes et publiée aux Solitaires Intempestifs, « Catarina et la beauté de tuer des fascistes » est certainement à date la pièce la plus directement politique, et la plus volontairement provocante de
Tiago Rodrigues, deux ans avant la magnifique «
Dans la mesure de l'impossible ». La question de la violence illégale en réponse à une menace directe ou un peu plus rampante vis-à-vis de la démocratie et de la justice n'est pas une question légère, bien évidemment, mais en choisissant de la traiter sur une étroite ligne de crête entre tragédie et farce, et en l'inscrivant profondément dans une histoire de famille presque ordinaire par ailleurs, le dramaturge portugais actualise en beauté et en intelligence une tradition décapante dans laquelle s'était aussi illustré voici quarante ans le grand
Dario Fo de « Klaxons, trompettes et… pétarades ». En utilisant ici ses sept personnages, membres de la famille assemblés autour du huitième, muet et impuissant pendant la plus grande partie de la pièce, pour passer en revue subtilement (et souvent de manière paradoxale), avec une époustouflante vivacité, et sans transformer la maisonnette pleine d'odeurs de cuisine, au milieu des bois, en salle de conférences, les différentes argumentations possibles autour de ce dilemme de longue date qu'est la place de la violence dans la lutte pour un monde meilleur. Et comme l'espérait bien l'auteur, qui le confiait dans un entretien à l'époque, la provocation devient bien, ici, aussi poétique que politique, et d'une puissance assumée.
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