LIGNES DE FUITE
Fuir loin de la haine et de ses tanières
portés par la passion et la quête.
Fuir et aller de désespoirs en refuges
avec pour seul viatique l’amour et le trouble.
Fuir vers un temps sans points cardinaux
comme un équilibriste sur la corde frêle de la sagesse
ou comme des mendiants qui poursuivent
un cœur bien mérité sur cette terre.
Fuir guidés par des boussoles brisées.
Fuir et croire en la fuite.
Fuir pour se retrouver.
TRAVAIL
J’ai porté ici mon corps
et c’est ici que je l’use du matin au soir,
c’est ici que je me fatigue du soir au mouroir
jusqu’à ce que le mot repos
fleurisse, étincelant dans ma bouche.
Le toit sous lequel nous nous abritons
est provisoire et instable ; parfois
nous pensons à tort qu’il s’agit d’un chez-soi
Nous formons une étrange famille :
des compagnons sous les lumières sans cesse allumées
des caméras de surveillance, qui taillent le temps
dans un travail oscillant entre obéissance
et désobéissance, des perceptions subtiles,
entre solitude et compagnie, des dialogues en sourdine.
De loin nous ressemblons à des grains de sable,
emportés par un vent inutile. Mais qu’importe?,
nous disons-nous.
Cependant dans nos rêves des ombres murmurent,
nous interrogent et nous troublent, elles chuchotent :
Comment peut-on être un grain de sable,
si l’on n’est pas un désert, si l’on n’éprouve pas la soif ?
Le salaire journalier ne paie pas le sang de mes heures,
son très haut sacrifice
Au travail il est interdit de parler.
Mais moi je parle. Nous parlons tous.
ICI ENCORE
Je suis né dans les villes.
J’ai fui la ville de mes pères.
J’ai recherché des hommes à la peau d’argile,
j’ai porté un chapeau,
j’ai grimpé sur des femmes de lierre,
j’ai connu le miracle et la désolation.
La mort que j’ai parfois croisée
n’a pas encore gagné mes yeux.
J’ai découvert que la meilleure façon de vivre
était de ne pas servir l’ennemi.
Le désir est un hôte
On entre en amour
dans un brouhaha d’enfants
qui jouent dans une piscine.
On quitte l’amour
dans le silence de deux vieillards
qui regardent sur la plage
la lente asphyxie d’un noyé.
MARAT-SADE, 1998
Le problème à présent
c’est qu’il y a trop de geôliers
et peu de fous.
Le problème à présent
c’est que la cage se trouve
à l’intérieur de l’oiseau.