« L'être est l'absence que les apparences dissimulent. »
Georges Bataille. La violence est silence…
Elle aimait
Rilke, Kafka,
Borges, Pinter, « Jules et Jim », Brassaï, Sander,
Bill Brandt, Weegee.
Elève de
Lisette Model, elle fait partie de la grande famille des photographes américains qui nous ont permis de voir les Etats Unis sans filtre, sans fard, sans artifice.
Des photographes tels que
Gordon Parks, Lewis Hire, Jacob Riis,
Walter Evans, Ben Shan, Dorothea lange, Russel Lee, Athur Fellig,
Robert Frank,
Lee Friedlander,
Garry Winogrand,
Garry Winogrand. tant d'autres.
Ce n'est pas l'étrange, la monstruosité de l'étrange que recherchait
Diane Arbus, c'était la vérité prise entre les mailles d'une société « ordonnante » bâtie sur des mythes illusoires.
La vérité et donc la sincérité. La nature de l'Amérique que l'on dissimule derrière un naturel ostentatoire.
Transgression : « aller contre ce qui semble naturel ». Ici on pourrait trouver appui pour réfléchir à ce qui est « par nature », « de nature », et à ce qui semble « naturel ». On y trouverait sans aucun doute les ADN de nombreux artefacts qui rongent l'humanité. Transgresser serait aller à l'encontre de ce qui « semble » naturel. Alors... : photographie.
Ses photographies étaient le fruit de rencontres, de rendez vous. Dans l'intimité d'un seul être on entend murmurer tous les fantômes du monde.
« Une photographie est un secret qui parle d'un secret, plus elle vous en dit, moins vous en savez ». Identité/identification. Elle ne prenait une photo disait-elle, mais elle la faisait.
Exploratrice d'espaces inconnus, aucun être, aucun regard, n'était pour elle tabou.
Elle n'était pas photographe de rue, ne saisissait pas l'instant, elle restait maîtresse de ce qu'elle entreprenait. Cirque, parc, chambres d'hôtel, loges de cabaret, elle entrait. Aucune frontière, aucune barrière.
Elle est entrée dans New York, derrière ses grilles, elle est entrée dans ses cages. Face à l'aliénation du spectacle du rêve américain elle a choisi de passer de l'autre côté du miroir. Elle a été là où personne n'était venu, voir d'elle même, rencontrer cet « étranger », l'exclus, ce que l'on nomme et désigne comme « l'anormal ».
Elle a fait contre poids, contre jour. Elle est la photographe de la vérité, de l'absence, de la solitude, du désordre.
Rien ne la prédisposait socialement à ce trajet et pourtant depuis son plus jeune âge elle a toujours eu le sentiment de ne pas à être à sa place, d'usurper une identité,
Gosse de riches, de très riches, gosse mal aimée, enfermée dans une tour d'argent.
La surenchère met à nu. Et ce qu'elle voyait dans cette féerie de bazar ce n'était pas un rêve, mais un cauchemar, un rêve horrifiant de carton pâte. Elle aura travaillé vingt au service de la mode, pour cette usine des apparences. C'est là qu'elle aura appris le métier. Elle avait connu le décor, vint l'instant où elle choisit de montrer l'envers de ce décor. Et c'est l'Amérique que nous découvrons. L'Amérique différente, plurielle, multiraciale, multi sexuelle, multi-taille. le nain, le trans, la portoricaine, l'enfant hurlant, l'enfant violent, la jeunesse terrassée.
L'indéterminé,
l'impossible, l'inenvisageable pour une Amérique puritaine, The american way of life . Un mensonge d'état. Une mascarade, une pantomime. A social washing industry.
Diane Arbus dévisage l 'Amérique, ne la défigure pas. Ce qui nous permet de l'envisager.
Alors, elle dérange. On va même jusqu'à « supposer » les causes de son suicide. Elle aurait trop vu, trop approché, comme si elle avait été « infectée » par ce qu'elle avait touché, par ce qui l'avait touché.
Horreur d'une certaine Amérique qui trouve dans le destin tragique des artistes la confirmation de leur propre satanique bien- repensence.
C'est peut être ce que j'ai ressenti à travers le livre de Roegers. L'oeil est un visage.
Qui a eu le courage d'Arbus ? Qui a eu le courage et surtout l'intelligence de rendre aux patriotes américains le visage de sa débilité ? Nombre de ses photos ont la puissance d'un souffle. An another Breath for life.
« l'oeil est le centre et la somme de tout un visage, c'est aussi lui qui détient le mystère et la vérité, de ce qu'il voit, le trouble qu'il engendre mais aussi dont il est fait » écrit Roegers dans cette biographie. Si ,bien des fois durant ma lecture j'ai été en désaccord avec l'auteur, qui selon mon goût et surtout mon avis a entaché son récit de quelques valeurs « morales » voir moralisatrices, je reconnais la vérité de cette phrase : l'oeil est la somme d'un visage.
Je ne suis pas d'accord avec la vision de l'auteur quant à l'enfer de la double identité et de la sexualité. Pas plus dans sa vision du désespoir qu'il a ressenti dans le travail de
Diane Arbus.
Diane Arbus, face au ridicule faisait apparaître le terrible, le dramatique.
Concours de beauté, élection des miss, des rois de pacotille, camp de nudistes.
L'Amérique est une cours des miracles. le temps d'une réalité qui n'est qu'un songe.
Elle aimait
Lewis Caroll et ce n'est pas sans raison.
Couple, famille, nation , elle défaisait le principe binaire de l'équilibre névrotique américain.
Rien n'est impossible aux états unis. Absolument rien. Pas même le pire. Et c'est à cet espace qu'elle ouvre les portes.
Les limbes de la réalité hante la fausse semblance d'un conte, l'irréelle fausse semblance d'un monde qui ne reflète pas la vérité. Alors ….: photographie.
« La réalité poussée à l'extrême abouti à l'irréalité »…
« Par-delà la transcription d'une réalité dont la véracité ne peut être mise en doute, c'est en effet à une révision de la famille américaine dans son ensemble que se livrait Arbus, les êtres »normaux » étant présentés comme « inacceptables », les »monstres » étant regardés comme des être « normaux » et qualifiés par elle d' « aristocrates » occupant de ce fait l'échelon le plus elevé. Passant de l'autre côté du miroir social, elle visait imposer sa propre idée de la réalité en photographiant ce qui n'est pas ordinairement photographié.ou ce qui, selon les codes généralement admis dans la photographie documentaire, n'était pas considéré jusque-là comme socialement observable. En basant son oeuvre sur une photogénie à rebours, qui représente le contraire d'une photographie embellie, généralement sublimée, Arbus tendait à briser l'adhésion au sens commun et aspirait, par cette rupture avec l'ordre ordinaire, à produire un nouveau sens majoritairement constitué par l'anormal. Passant au crible les poncifs, les stéréotypes et les normes standard, ce regard iconoclaste affirme et prouve que rien n'est à sa place et que l'Amérique est aussi mal construite et fêlée que ceux qu'elle répudie ».
Alors même si la forme de ce paragraphe soulève chez moi quelque questionnement quant à l'intention de son auteur, j'en retiendrai les termes de : preuve et affirmation.
En aucun cas
Diane Arbus ne hiérarchisait. N'évaluait. Et la réaction de l'auteur prouve la puissance des photos de
Diane Arbus. Elles font désordre. Elles soufflent, chamboulent. Politiquement incorrect. Et pourtant, en regardant, certains visages au rictus forcé d'une certaine bonne société comment ne pas voir se dessiner l'ombre d'un Trump. Nous faisant comprendre à travers ces clichés des années 60, l'origine d'un mal qui défigure et meurtri l'Amérique aujourd'hui.
« De temps en temps le soir, il émerge un visage qui soudain, nous épie de l'ombre d'un miroir ; J'imagine que 'art ressemble à ce miroir qui soudain nous révèle notre propre visage ».
Borges, Art poétique, extrait.
Les photographies de
Diane Arbus m'ont séduites. Au même titre sans doute que celles et ceux qui furent photographiés par
Diane Arbus. Et on ne sait plus qui du regardant, ou du regardé séduit l'autre. L'Art ouvre tous les miroirs.
« geste humain par excellence , la séduction serait donc comme l'espoir ultime d'un désespoir si profond qu'il n'oserait même plus dire son nom. Mais également, au sein du désespoir , la force la plus intense peut être , et la plus dérisoire aussi, de l'amour. C'est pourquoi sans doute la séduction m'apparaît elle entre terreur et fragilité, et toujours, quelque soit son statut, comme le produit d'une insoutenable impuissance. Et encore, comme un jeu infernal qui relance l'infinie danse macabre qu'exécutent Attraction et Répulsion, ces deux instances maîtresses de cela même qui définit le séducteur ».
Maurice Olender, « une magie de l'absence », Séduction, extrait.
Diane Arbus a mis fin à ses jours le 26 juillet 1971. Elle avait 48 ans.
Astrid Shriqui Garain.