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Critique de Lune


Lune
19 février 2015
Sans amour, un garçonnet de onze ans quitte le domicile, «se détemporalise » et prend tous les chemins possibles (un rêve éveillé) que contient la Belgique, pays créé de toutes pièces pour et par les besoins de l'Histoire en 1830.
Roman épique, picaresque, surréaliste comme on l'aime chez nous, qui propulse le lecteur dans le tourbillon des aventures et des rencontres de l'enfant sans nom avec tous les événements et tous les personnages réels et fictifs du petit pays aux neuf provinces (devenues dix plus tard).
Rien n'est innocent dans ce fatras moins en « absurdie » qu'il y paraît.
Des gens d'époques différentes surgissent. Décalé ? le lien se dévoile pour qui sait percevoir.
Voilà toute la maestria de l'auteur jongleur d'histoires de l'Histoire et de la langue.
A mon tour de transgresser le réel et d'inciser la boîte crânienne de l'auteur.
Ô Découvertes ! Ô Prodiges !
S'en échappe une multitude d'êtres qui se libèrent du temps, de l'espace et de leur vie.
Je reconnais parmi les plus bavards Victor Hugo, Hendrik Conscience, Hugo Claus, Paul Verlaine dit Popaul, Pieter Breughel et des soldats de la guerre14 et des cyclistes affrontant l'enfer du mur de Grammont.
S'enfuient les valeureux de 1830, le peintre Wappers et la Brabançonne qui tonne poursuivie par Charles le Téméraire, Charlemagne, Roland, les quatre fils Aymon et le cheval Bayard qui rejoindront Namur et les comtes d'Egmont et de Hornes, la tête sous le bras, qui rejoindront le petit Sablon à Bruxelles.
Non moins discrets que les flonflons des foires, kermesses, de l'expo 58 et autres réjouissances, les comédiens et chanteurs belges entraînés par Jacques Brel discutent de leur belgitude avec les écrivains entourant Patrick Roegiers.
Je lis, j'entends les accents du pays, les habitudes langagières, les savoureuses expressions.
Je déguste les tons divers, les allitérations, les rimes dans les phrases, la prose poétique et philosophique, la truculence flamande, l'humour.
Je profite de la connaissance parfaite de l'Histoire, des lieux, des monuments, des artistes, de « l'envers » de chaque chose.
Je frémis sous la subtilité toujours lucide, parfois amère :
- « ... Peut-on changer le temps ?
-On peut changer les choses. »
Je tourbillonne avec cette obsession, je cours la Wallonie comme elle vient : « Ne te presse pas. le Temps est une illusion ».
J'apprends sur les faits et les personnages.
Il y a tant derrière les mots, derrière les phrases. Creusons.
Dans le contenu au style chaque fois adapté, je plonge dans le texte et le sous-texte.
Sous le crâne, les idées jouent, les pensées se mélangent, la raison fait se rejoindre les perceptions du pays.
Et je crie Bravo ! Bravo !
Je referme la boîte de Pandore, pardon de Roegiers.
Certes, le « non-belge » (d'ailleurs, qu'est-ce qu'être Belge ? Hum!hum!) aura sans doute plus de difficultés à comprendre un certain « folklore », des atmosphères typiques, des expressions goûteuses, des noms familiers, les langues et leurs nuances, les régionalismes... mais la curiosité peut soulever des montagnes...
Lucidité extrême : « Le Belge creuse sa tombe avec sa langue ».
Et cette amertume que l'on perçoit à plusieurs reprises et que la dernière phrase du livre confirme.
Le petit garçon hors de la vie comme on l'entend intègre corps et temps en la personne de l'auteur.
« Brel, à la Monnaie, à sa sortie de scène : « Méfie-toi de ce pays. On y coupe les têtes. Les gens sont très petits. » »
Nul n'est prophète en son pays, proverbe banal et pourtant vrai.
Cet auteur est coupable d'un chef d'oeuvre.
Lecteurs belges, ne coupez pas la tête de Patrick Roegiers... une deuxième fois.

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