Citations sur La Méridienne : Saint-Malo Bamako (14)
Pourquoi cet homme, qui ne lit pas, se met-il d'un coup à emprunter les livres que sa défunte a lus ? Va-t-il les lire ? Ou ne les emprunte-t-il que pour tourner les pages qu'elle-même tournait sans faire de bruit ? Ou encore souhaite-t-il s'imprégner de ce qu'elle s'imprégnait dans ces heures de voyage immobile, livre après livre, faire connaissance avec tous ceux qu'elle côtoyait et prendre ainsi de ses nouvelles pour qu'elle perdure dans sa mémoire ? (p.105)
Avant que la nuit tombe, j'aimerais ne rien lâcher du paysage, ni d'aucun arbre, ni d'aucune pierre, pour garder la mémoire de chacun, à former une terre-en beauté. (p. 285)
L'éloge de la lenteur
"La marche est une bibliothèque sans fin qui décline chaque fois le roman des choses ordinaires placées sur le chemin" . - David Le Breton (p. 175)
Alassane s'interroge sur l'esprit de mon travail. Je lui demande la permission de lire un livre à ses élèves. (...) Puis , très vite, les esprits se réveillent, les visages s'éclairent, les rires fusent, les corps bougent de plaisir. mais, curieusement, la lecture achevée, le silence éteint tout. Cette brève étincelle d'une poignée de minutes laissera-t-elle derrière elle quelque trace d'un possible univers différent de celui qu'ils connaissent ? (p. 237)
"S'ils parviennent vivants en Europe, on les qualifiera carrément de désespérés. Alors qu'ils font partie des rares personnes au monde qui, chargés d'espoir, on encore le courage de mettre leur vie en jeu." [Fabrizio Gatti, Bilal sur la route des clandestins ]
Que chacun de mes pas dirigés vers le sud n'éloigne pas mes pensées de tous ceux qui remontent vers le nord au péril de leur vie. (p. 146)
Lorsque l'oralité et l'écriture seront complices en ce voyage, je m'incarnerai en griot blanc.
- Chez nous, les griots, d'une manière ou d'une autre, on les paye. Je n'ai pas d'argent.
-Mais, je n'en veux pas ! Tu sais bien qu'un griot ça ne se paye pas avec de l'argent, même s'il est blanc comme moi. On lui donne des cadeaux.
- Les paysages, c'est mon cadeau. Si tu m'écoutes, tu pourras faire de belles photos. Ce matin, je t'ai vu photographier n'importe quoi.
-Oui, c'est vrai, je photographie des choses banales pour toi. Nous, les toubabs, quand on voyage, on trouve tout pittoresque ! (p. 271)
"Approche-toi que je t'explique. Sur la semelle de chaque chaussure qui passe entre mes mains, à l'aide d'une gouge à l'envers pour avoir son empreinte à l'endroit sur le sol, je grave un mot, de ma langue native, bien sûr, pas la tienne. Sur chaque semelle de pied droit, je grave un verbe, un article, comme ça vient, et sur chaque semelle du pied gauche, le mot qui suit dans le dictionnaire, adjectif, conjonction, un abverbe peu importe [...]sur chaque semelle d'usure au contact du sol quand on marche, je grave un mot [...] des histoires, des poèmes, le jour, la nuit, des rêves, ton rêve."
Lorsque l'oralité et l'écriture seront complices en ce voyage, je m'incarnerai en griot blanc . (p. 21)
(....) J'essaye toujours d'avoir de l'empathie pour l'auditeur, de deviner selon ses origines sociales ou culturelles ce qui peut l'émouvoir, tout en gardant ma porte ouverte à la surprise. Ainsi de certains mots, de certaines phrases, qui me laissent et qui laissent de marbre les auditoires de France, quand, en Afrique, à leur écoute, le public déchaîné applaudit. Je m'apprête à partir et j'ignore totalement que cet extrait du -Ventre de l'Atlantique- de Fatou Diome provoquera à chaque lecture, au Sénégal et au Mali, un enthousiasme que jamais je n'obtiendrai de Saint-Malo ua Pays basque .
(p. 21)