Tous ceux qui ont eu accès dans l'atelier de Corot connaissent le début de son pinceau conservé avec amour, et dont il se plaisait à raconter l'histoire, parce qu'elle lui tenait doublement au coeur. En nous montrant cette étude, il dit : « Pendant que je faisais ça — il y a trente-cinq ans — les jeunes filles qui travaillaient chez ma mère étaient curieuses de voir M. Camille dans ses nouvelles fonctions et s'échappaient du magasin pour venir là et regarder. Une d'elles, que nous appellerons Mlle. Rose, accourait plus souvent que ses compagnes. Elle vit encore, est restée fille, et me rend visite de temps en temps ; elle était encore ici la semaine dernière. Ô mes amis, quel changement! et quelles réflexions il fait naître ! ma peinture n'a pas bougé, elle est toujours jeune, elle donne l'heure et le temps du jour où je l'ai faite ; mais Mlle Rose et moi, que sommes-nous ?
Voilà bien la genèse du talent, du génie de Corot. Il n'a pas fait que voir la nature, il l'a sentie, il l'a aimée, et, bien qu'on puisse dans son oeuvre immense marquer deux manières à son pinceau, ces deux manières sont bien issues d'une même vision, on peut même dire d'un même doigté. Ce qui les a déterminées, c'est la force de l'influence ambiante, cette influence qui, commencée par Michallon, Bertin et Aligny, aura besoin de près de vingt ans pour s'effacer complètement.
C'est à son retour d'Italie que Corot exécuta, selon toute vraisemblance, la grande peinture décorative qui orne le côté gauche de la chapelle des fonts baptismaux, dans l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, et représente le Baptême du Christ. Il y avait songé après son second voyage, comme en témoignent des esquisses de figures s'y rapportant et datées de 1841 à 1842; mais ce n'est certainement qu'après son troisième voyage, en 1843, qu'il s'y appliqua tout entier.
Cette oeuvre est la plus grande, par ses dimensions, qu'accomplit Corot; elle se rattache au premier enseignement qu'il reçut de Bertin et d'Aligny ; nous ne dirons pas que c'est un retour au paysage historique, mais plutôt un adieu, et un superbe adieu.
En 1827, dès qu'il fut de retour en France, Corot envoya au Salon annuel deux tableaux, une Vue prise à Narni et la Campagne de Rome. Nous remarquerons tout de suite que, tant qu'il vécut, le grand artiste parut à tous les Salons, sans interruption aucune. Pour ^lui, c'était un devoir d'affronter chaque année la lutte, une lutte où l'école classique lui infligea plus d'une fois des horions, puisqu'il se vit souvent refuser des tableaux. A ces époques-là, le nombre des envois n'était pas limité à deux, et c'est pourtant' ce nombre deux qu'on lui imposa jusqu'en 1848, où, le jury n'ayant pas fonctionné, il eut la joie de trouver ses neuf envois accroches au mur.
Le paysage historique disait : « Je fais le paysage pour la figure. » L'école nouvelle répondait : « Le paysage me suffit, la figure n'est qu'un accessoire inutile. » Corot pensa : « Je ferai le paysage pour lui-même, mais j'y mettrai des figures, et elles seront si intimement liées à la poésie de l'oeuvre, qu'on ne saurait plus se représenter le paysage sans elles. » Et Corot sut, en effet, mener à bien cette union, cette communion du paysage et de la figure.