Mortimer Decime a trente-six ans aujourd'hui ; il devrait fêter cela avec des amis, et souffler ses bougies. Seulement voilà, il est victime d'une malédiction familiale qui veut que tous les hommes, du côté mâle, décèdent le jour de leur trente-sixième anniversaire à l'heure pile. Pour Mortimer, c'est ce matin à onze heures.
Il s'est préparé, a démissionné de son travail, résilié le bail de son loyer, fait couper l'eau et l'électricité, vendu sa voiture. Il est fin prêt, il est même allé chercher des croissants, et a enfilé un costume de circonstance et s'est permis une fantaisie avec les chaussettes avec des « oursons rouges et jaunes, clonés façon
Andy Warhol, sur fond de neiges éternelles. Mourir d'accord mais du bon pied ».
Les minutes s'écoulent, on se rapproche de l'heure fatidique quand quelqu'un tambourine à la porte et vient s'immiscer dans le scénario. Que va-t-il se passer ?
Ce que j'en pense :
Le destin de Mortimer est contrarié grâce à l'entrée, presque par effraction, de Paquita, une femme haute en couleurs, c'est le cas de le dire, car elle s'habille de façon extravagante ; comme dit l'auteure, elle « est irracontable. Avec ses kilos et ses plis, ses cils plâtrés de rimmel, ses jupes de pétasse et ses décolletés de plus en plus profonds pour attraper ses seins qui se font un peu la malle, elle est juste touchante ».
Paquita a cinquante-deux ans, elle est mariée depuis plus de trente ans avec Nassardine, arrivé de son Algérie natale à dix-neuf ans et tous les deux vendent des crêpes dans leur camion aménagé. Mortimer les connaît depuis longtemps parce que le camion lui servait de refuge quand il était enfant. Il trouvait chez eux la chaleur, l'amour que son père ne lui donnait pas et sa mère était partie quand il était petit. Ayant souffert du rejet de leur entourage, leur couple s'est construit sur une base solide et naturellement ils ont partagé leur bonheur quotidien avec cet enfant qui est devenu un peu le leur.
Ce livre est une réflexion sur la mort. Que fait-on quand on sait d'avance qu'on va mourir à trente six ans ? Peut-on s'engager ? Travailler à l'école, s'investir dans un travail, construire une relation amoureuse, envisager d'avoir des enfants ? Laissera-t-il entrer dans sa vie la belle Jasmine qu'il rencontre deux ans avant la date fatidique ?
Quand il était enfant, il était casse-cou car il ne risquait rien, mais au fil des ans, cela ne l'a plus rassuré ni amusé. Comment peut-on vivre avec cette épée de Damoclès au dessus de la tête ?
Adulte, il s'est enfermé dans un travail de fonctionnaire incroyable dans un bureau où il ne fait rien toute la journée sans que personne ne s'en rende compte.
L'auteure nous raconte aussi tous les mâles de la famille dont le prénom contient le mot « mort » : Morvan, Morin, Maurice, Maury et qui sont mort de façon rocambolesque..
On a aussi une étude réjouissante sur le nom de famille : Decime, avant la révolution, on prononçait « décimé », bien sûr comme si le prénom n'était pas assez lourd.
Ce roman est tendre et drôle car Marie-Sabine Roger tourne la mort en dérision tout en disant des choses profondes sur la souffrance de cet enfant dont la mère a déserté le foyer : peut-on s'attacher à un enfant que l'on va perdre mais aussi dans l'autre sens : peut-on envisager de faire des enfants quand on sait qu'ils perdront leur père quand ils sont jeunes ? Peut-on engendrer ?
En fait, cette question ne se pose-t-elle pas, même s'il n'y a pas d'échéance fatale ? L'auteure nous fait toucher du doigt, toujours avec sa légèreté habituelle, le fait qu'on ne doit pas accepter le destin, le subir mais qu'on peut au contraire le modifier, reprendre sa vie en mains, c'est comme une deuxième naissance pour Mortimer. Il s'est libéré du poids de la fatalité, de l'hérédité, du destin familial.
Elle pose aussi le problème de l'amour, Mortimer ne veut pas s'attacher par peur de faire du mal à l'autre en mourant trop jeune. Et de ce fait, se pose le problème de l'engagement, soit on subit sa vie, soit on la prend à bras le corps.
Un joli roman qui fait du bien, car il y a une montagne d'amour autour de Mortimer. Et on le déguste, lentement, à petites bouchées comme les crêpes improbables de Paquita, et le café infâme de Nassardine. Ces deux là sont des parents doudous, rassurants, sécurisants, et toujours dans le positif. Une leçon d'espoir dans la gent humaine dont on a bien besoin par les temps qui courent.
Marie-Sabine Roger m'avait beaucoup touchée avec «
La tête en friche » et j'ai retrouvé la même fraicheur, la même humanité dans son récit de même que la truculence des personnages toujours attachants car ils nous ressemblent.
Note : 7,8/10
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