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Critique de kielosa


Un petit livre de 125 pages, avec beaucoup de photos, tel se présente l'histoire de Serpouhi Hovaghian, la grand-mère arménienne de l'actrice, écrivaine et traductrice, Anny Romand. C'est un beau témoignage de reconnaissance et d'affection par l'artiste française à cette dame, née en 1893 à Samsun en Turquie et qui l'a élevée. Samsun, l'importante ville portuaire sur la mer Noire à 737 km. d'Istanbul, d'où le prédécesseur de l'actuel calife Erdogan Iznogoud, Mustafa Kemal Atatürk, a commencé sa guerre d'indépendance en 1919.

Le sort de cette grand-mère est tout sauf enviable : mariée contre son gré à Karnik lorsqu'elle avait 15 ans (bien que plus tard, comme il est compréhensif et gentil, elle finit par l'aimer) et un fils, Jiraïr, à ses 17 printemps. Puis vient avril 1915, le Massacre des Arméniens, "Aksor" comme elle appelle cette tragique page de l'histoire de son peuple. Résultat de cette initiative scandaleuse du gouvernement des "Jeunes-Turcs" pour elle : mari tué, sa fille Aïda de 4 mois idem, la maison vidée par les gendarmes et sans un kurus jetée à la rue et mise dans un convoi forcé d'Arméniens avec son petit pour une destination inconnue. En chemin, les femmes et enfants sont soumis à un traitement brutal et les femmes systématiquement violées par les gardes, ils meurent d'ailleurs comme des mouches et sont jetés dans les rivières. Vint alors le moment qui sera greffé dans sa mémoire pour le restant de sa vie : l'abandon à une paysanne anatolienne de son môme Jiraïr, qui a 4 ans et qu'elle n'arrive plus à porter !

Comme Anny Romand n'en parle pas, un mot sur ce fameux gouvernement des Jeunes-Turcs, pour situer le contexte historique de ce génocide et comment des hommes intelligents et responsables ont pu arriver à cette horreur. Ils étaient essentiellement 3, regroupés dans le Comité Union et Progrès (CUP), qui luttait contre la corruption et l'immobilisme du sultan/calife Abdülhamid II et de tendance nationaliste (1908). 1) Enver Pacha (1881-1922), au centre du CUP et ministre de la guerre. Tué au Tadjikistan, son corps fut rapatrié en Turquie et lui, déclaré 'héros national', en 1996. 2) Djemal Pacha (1872-1922), surnommé "Le Boucher" pour sa répression en Syrie et au Liban. Tué à Tbilissi en Géorgie, après avoir écrit dans ses mémoires que c'étaient les Arméniens et Kurdes qui ont tué un million de Turcs. Son grand-fils, l'écrivain-journaliste, Hasan Cemal, à récusé cette thèse et s'est excusé auprès des Arméniens. 3) le principal responsable du génocide, Talaat Pacha (1874-1921), condamné à mort par contumace et réhabilité. Tué à Berlin et le corps transféré dans un mausolée à Istanbul. Des boulevards portent son nom à Ankara, Izmir et Edirne.
Les 3 pachas ont causé la mort de 1,2 million d'Arméniens, selon une statistique moyenne.

L'ouvrage d'Anny Romand est conçu en petits chapitres, où alternativement l'auteure et sa grand-mère ont la parole. Pour Serpouhi, il s'agit de son carnet, écrit en arménien, français et grec, à l'époque, comme une sorte de journal et retrouvé par sa petite-fille après sa mort. Pour l'artiste, ce sont ses souvenirs des histoires racontées par Serpouhi avec qui elle passait beaucoup de temps quand elle avait 8 ans. J'ai été parfois étonné des considérations de cette gamine, comment elle extrapolait et interprétait le récit des événements arméniens. Il est vrai aussi que je n'ai aucune expérience avec des mômes de cet âge et qu'elles sont plus vite matures que nous, pauvres garçons !

En lisant ce petit fascicule, j'ai souvent dû penser au roman inoubliable de l'auteur autrichien, Franz Werfel, de 1933 : "Les 40 jours de Musa Dagh", que j'ai lu il y a bien longtemps, qui a fait sur moi une très forte impression et a été à l'origine de ma petite bibliothèque arménienne. Certains paragraphes de Serpouhi auraient pu sortir de l'oeuvre de Werfel, publié quelque 80 ans avant : tellement que la ressemblance est frappante.

Anny Romand est connue comme actrice pour ses rôles de Paula dans "Diva" de Jean-Jacques Beineix de 1981 et de Mme da Silva dans "La Lettre" de Manoel de Oliveira de 1999. Une carrière qu'elle - selon ses propres aveux - n'aurait jamais pu ambitionner sans la force de caractère que Serpouhie lui a légué.

Apparemment la grand-mère lui a aussi fait cadeau de son enthousiasme pour la littérature, comme le prouve, depuis 2006, son organisation à Paris et en province de ses soirées "Une saison de Nobel" dédicacé aux Nobel comme Albert Camus, Mario Vargas Llosa, Orhan Pamuk etc.

Mon seul regret avec cet ouvrage d'Anny Romand, c'est qu'il soit tellement court.

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