Le marcottage s'emploie dans les jardins. Une plante produit des tiges aériennes avec de petites marques de vie, de petits bourgeons qui s'étendent dans diverses directions : quand on en prend une et qu'on la met en rapport avec du terreau, alors elle reprend, elle forme des racines et bientôt une nouvelle plante surgit, plus ou moins importante, mais que l'on peut bientôt séparer de la plante mère.
C'est en gros ce qui arrive dans les grandes œuvres comme l'Iliade d'Homère. D'elle-même, elle lance ses tiges aériennes, qui s'en vont chercher une possibilité de vie et de contact ailleurs. Elles peuvent les rencontrer d'elles-mêmes, elles peuvent y être aidées, si quelqu'un prend soin de diriger ces tiges aériennes vers le bon terreau. Et alors, voilà le miracle de la vie qui renaît, sous une forme entièrement nouvelle et indépendante.
Quiconque cite les combats de l'Iliade, ou décrit ses héros, ou se penche sur leurs caractères sans s'occuper des dieux se trouve fausser tout dès le départ, en coupant arbitrairement entre deux mondes qui se pénètrent sans cesse, et où celui d'en haut a la haute main sur l'autre.
Ce sont les dieux qui inspirent la fougue ou le désarroi ; ce sont eux qui décident du succès ou de l'échec, eux qui conseillent ouvertement les hommes ou leur inspirent leurs décisions.
Encore faut-il distinguer. Car il y a diverses formes d'interventions, et, au reste, des dieux également divers. Et notre Hector aura affaire à toutes et à tous.
L'Iliade est donc à la fois poème de la force, comme le disait Simone Weil, et poème de la pitié, comme j'ai tenté de le montrer. L'un et l'autre vont ensemble.
C'est sans doute là un cas rare dans la littérature. Et l'on ne peut qu'être frappé par le contraste avec nos attitudes modernes. L'écrivain est aujourd'hui, trop souvent, tout l'un ou tout l'autre – pessimiste ou optimiste, pour ou contre, en un mot : engagé. L'idéologie pèse sur les uns, la sentimentalité sur les autres. On a parfois envie de leur appliquer la formule où Homère enferme tant de pitié pour ceux qui ne savent pas : nèpioi, "pauvres aveugles".
La guerre a donc une double face, chez Homère. Elle est belle ; et elle est horrible. Surtout, elle est les deux ensemble. Car on parle quelquefois de "l'ambiguïté" de la guerre homérique : le mot me choque dans la mesure où il suggère un flottement, une complication quelque peu subtile, en fait, les deux traits se complètent, aussi francs l'un que l'autre, en une association naturelle, dont nous n'avons plus le pouvoir de sentir l'évidence.
Cette absence d'analyse psychologique n'est pas pour nous surprendre : elle est, on l'a vu, une habitude chez Homère. Quand Achille permet à Patrocle de rejoindre le combat, c'est aussi un retournement important et il n'est pas non plus expliqué ni analysé : "Mais laissons le passé être le passé. Aussi bien, je le vois, n'est-il guère possible de garder dans le cœur un courroux obstiné..." L'acte, toujours, l'emporte sur la description des sentiments.
Peut-être ce caractère est-il d'autant plus intéressant pour nous que la littérature de notre temps, saturée d'analyse psychologique, tend à revenir à ce mode d'expression. L'acte doit suffire à suggérer l'explication. Et, s'il reste une marge d'incertitude, c'est tant mieux.
Souvenez-vous Quintius, que vous commandez à des Grecs, qui ont civilisé tous les peuples, en leur enseignant la douceur et l'humanité et à qui Rome doit les lumières qu'elle possède "Cicéron"
Affinités électives. Par Francesca Isidori - Avec Jacqueline de Romilly. Le 10 mai 2007, Francesca Isidori recevait la femme de lettres Jacqueline de Romilly pour l’émission “Affinités électives”, diffusée sur France Culture. Photographie : Jacqueline de Romilly © AFP Alexandre Fernandes. Née à Chartres, en 1913 (fille de Maxime David, professeur de philosophie, mort pour la France, et de Jeanne Malvoisin), elle a épousé en 1940 Michel Worms de Romilly. Elle a effectué sa scolarité à Paris : au lycée Molière (lauréate du Concours général, la première année où les filles pouvaient concourir), à Louis-le-Grand, à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm (1933), à la Sorbonne.
Agrégée de lettres, docteur ès lettres, elle enseigne quelques années dans des lycées, puis devient professeur de langue et littérature grecques à l'université de Lille (1949-1957) et à la Sorbonne (1957-1973), avant d'être nommée professeur au Collège de France en 1973 (chaire : La Grèce et la formation de la pensée morale et politique).
Du début à la fin, elle s'est consacrée à la littérature grecque ancienne, écrivant et enseignant soit sur les auteurs de l'époque classique (comme Thucydide et les tragiques) soit sur l'histoire des idées et leur analyse progressive dans la pensée grecque (ainsi la loi, la démocratie, la douceur, etc.). Elle a également écrit sur l'enseignement. Deux livres sortent de ce cadre professionnel ou humaniste : un livre sur la Provence, paru en 1987, et un roman, paru en 1990.
Après avoir été la première femme professeur au Collège de France, Jacqueline de Romilly a été la première femme membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres (1975) et a présidé cette Académie pour l'année 1987.
Elle est membre correspondant, ou étranger, de diverses académies : Académie du Danemark, British Academy, Académies de Vienne, d'Athènes, de Bavière, des Pays-Bas, de Naples, de Turin, de Gênes, American Academy of Arts and Sciences, ainsi que de plusieurs académies de province ; et docteur honoris causa des universités d'Oxford, d'Athènes, de Dublin, de Heidelberg, de Montréal et de Yale University ; elle appartient à l'ordre autrichien “Ehrenzeichen für Wissenschaft und Kunst” et a reçu, en 1995, la nationalité grecque et est nommée, en 2001, ambassadeur de l'Hellénisme.
Elle a aussi reçu de nombreux prix : Prix Ambatiélos de l'Académie des inscriptions et belles-lettres(1948), prix Croiset de l'Institut de France (1969), prix Langlois de l'Académie française (1974), Grand prix d'Académie de l'Académie française (1984), prix Onassis (Athènes, 1995). Ella est élue à l'Académie française, le 24 novembre 1988, au fauteuil d'André Roussin (7e fauteuil). Son dernier ouvrage : “Tragédies Grecques au fil des ans” paraîtra en juin 2007 aux éditions des Belles Lettres. Il s'agit d'un recueil d'études sur la tragédie grecque du dernier tiers du Ve siècle av. J.-C. et ses rapports avec les mouvements intellectuels athéniens.
Jacqueline Worms de Romilly, née Jacqueline David le 26 mars 1913 à Chartres et morte le 18 décembre 2010.
Invitée : Jacqueline de Romilly
Source : France Culture
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