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EAN : 9782253940715
224 pages
Le Livre de Poche (07/06/2023)
3.27/5   157 notes
Résumé :
Quelques sons parviennent encore à l’oreille droite de Louise, mais plus rien à gauche. Celle qui s’est construite depuis son enfance sur un entre-deux – ni totalement entendante, ni totalement sourde – voit son audition baisser drastiquement lors de son dernier examen chez l’ORL. Face à cette perte inéluctable, son médecin lui propose un implant cochléaire. Un implant cornélien, car l’intervention est irréversible et lourde de conséquences pour l’ouïe de la jeune ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (49) Voir plus Ajouter une critique
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Louise est en grande partie sourde. Elle est en train de perdre le peu d'ouïe qui lui reste, ce qui l'a met face à un dilemme : doit-elle recevoir un implant, lourde opération, et rallier définitivement le monde des entendants ? Ou rester dans le silence avec une audition parcellaire ? Doit-elle accepter une audition synthétique qui modifiera profondément sa vision du monde extérieur et de la vie ? le choix est définitif, un deuil à faire.

Dès le premier chapitre, une consultation chez un ORL pour un audiogramme, la plongée dans le monde des malentendants est absolument saisissante tellement il est impossible pour un bien-entendant de deviner l'intériorité de ceux qui subissent la surdité. Tout est son dans ce roman très immersif. C'est la première fois que je lis avec les oreilles, en écoutant attentivement les respirations de Louise et ses impressions sonores, entre grésillements, acouphènes et déformations. Adèle Rosenfeld rend parfaitement compte de la perception trouée qu'ont les malentendants du monde sonore qui les entoure.

«  Tous les bruits se coagulaient et se distanciaient comme dans une anamorphose, ceux de l'ambulance dans la rue et la chasse d'eau ne formaient qu'une trainée chuintante avec des saillies stridentes.
Une fois au restaurant, l'ami-voisin m'attendait et sa bise accompagnée de sa voix ronde ont chassé le brouhaha. Je m'accrochais à ses mots auréolés d'aigus. Quand je n'avais pas le regard rivé sur ses lèvres, sa voix me semblait chaude, les sons avaient un contour bien précis comme une éclipse de soleil. le coeur médium, je ne l'entendais pas ; mais son cercle lumineux formé par les aigus me permettait d'accéder au sens. J'arrivais à suivre presque tout ce qu'il disait et ça me rendait heureuse. »

Un pari réussi, un peu fou aussi, que de parvenir à faire comprendre dans une totale empathie la souffrance de Louise, ses angoisses, ses doutes, sa sensation d'enfermement, son déni. Elle est essoufflée par les efforts cumulés pour faire partie du monde des « bouches qui parlent », au bord de la dépression, notamment lorsqu'il s'agit d'affronter les difficultés liées à son intégration professionnelle ainsi que les bassesses de ses collègues. Elle qui se décrit comme « déracinée du langage », expulsée de la réalité par le silence qui avance comme un ennemi à combattre.

« Le dehors était devenu source d'angoisse, mais il fallait bien ravitailler l'appartement dans lequel je m'étais emmurée. Au supermarché, les voix fusionnaient en un seul écho. Une épidémie de fièvre s'était emparée de tous les sons : les boîtes de conserves que le magasinier rangeait dans les rayons claquaient des dents ; les bip des codes-barres en caisse se mêlaient aux accents toniques des femmes comme des éclats hallucinés ; l'outil du boucher faisait un bruit de toux rauque. »

Si j'ai quelques réserves sur la fin qui je trouve trop psychologisante et explicative à mon goût, j'ai été particulièrement convaincue par l'univers proposé par Adèle Rosenfeld. le récit d'un tel drame aurait pu facilement verser dans le pathos ou le voyeurisme. Ce n'est jamais le cas car l'auteure a fait le choix de recomposer le réel par la poésie, la fantaisie et l'humour, notamment par le biais de personnages fantasmagoriques, ses « fantômes traumatiques » qui lui permettent d'affronter la terreur du choix. L'idée de l'herbier sonore qui consigne les sons avant la perte, comme une bibliothèque sensorielle, est vraiment très belle.

Ce n'est pas parce qu'un auteur s'empare d'un sujet tiré de son vécu que cela en fait un écrivain. Adèle Rosenfeld est une écrivaine, c'est incontestable. Un premier roman original porté par une voix nette et singulière, à suivre, pour une entrée en littérature réussie.

Lu dans le cadre du jury Coup de coeur des Lectrices Version Femina
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Louise est malentendante depuis la naissance. Restée longtemps sourde moyenne, elle est parvenue jusqu'ici à le cacher en lisant sur les lèvres de ses interlocuteurs. Mais l'aggravation de son handicap la met désormais au pied au mur. Maintenant sourde sévère, elle ne comprend plus ce qu'on lui dit et ne peut plus tromper personne. Il lui faut prendre une décision : accepter la pose d'un implant et perdre immédiatement ce qui lui reste d'audition naturelle, ou assumer une surdité bientôt totale et irréversible.


L'histoire de Louise est tout droit inspirée de celle de l'auteur. A ses côtés, l'on découvre les difficultés directement liées à la surdité, mais aussi, les répercussions psychologiques et sociales du handicap, dans une restitution qui questionne notre rapport à la normalité. Honteuse de sa différence, Louise s'est longtemps appliquée à la gommer dans sa relation à autrui, s'appliquant farouchement à donner le change pour ne pas sembler déficiente parmi les entendants. Ses efforts pour paraître comme tout le monde deviennent contre-productifs, lorsque, son audition se détériorant encore et personne ne prenant la peine de comprendre la véritable raison de ses difficultés relationnelles et professionnelles, Louise s'enfonce dans un malentendu - quoi de plus pré-destiné – propre à la faire passer pour demeurée. C'est ainsi que, très insidieusement, la pression normative de la société mène la jeune femme à se condamner, quasi de fait, à l'échec, instituant une inadaptation sociale qui n'avait pourtant aucune raison d'être.


Pour Louise qui, dans sa situation intermédiaire de malentendante, avait toujours pu (se) convaincre de faire partie de l'univers "normal" des entendants, se pose soudain la question de son identité et de son rapport au monde. Rejoindra-t-elle la communauté des sourds ? Un implant lui permettra-t-il de continuer à s'assimiler aux entendants ? Quoi qu'il en soit, Louise doit faire le deuil de toute perception auditive naturelle et n'envisage qu'avec angoisse cette nouvelle interaction avec ce qui l'entoure. A vrai dire, le rapport au monde qu'entretient la jeune malentendante est déjà très particulier. Sa mauvaise audition favorise distorsions et malentendus, et, au fur et à mesure que son imagination comble les trous de sa compréhension, se développent en elle d'étranges images, qui confèrent au récit poésie, onirisme et fantaisie. Cette singularité se fait souvent touchante, comme lorsque Louise s'évertue à la construction d'un herbier sonore, dans l'espoir d'emmener une trace des sons dans son futur monde du silence.


En même temps qu'un émouvant témoignage sur la surdité, empli d'un questionnement plein d'humour sur notre rapport au monde et à la normalité, ce premier roman est une bien jolie création littéraire, toute en originalité et poésie, qui mérite qu'on s'y attarde.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Malgré son obstination à nier l'évidence, la narratrice sombre peu à peu dans un chaos qui l'isole de son entourage. Les sons ne lui parvient pratiquement plus, et avec eux le sens et le jeu des échanges. La lecture labiale n'est pas suffisamment discriminante et les autres issues font l'objet d'un long débat intérieur.

Faut-il se résoudre à intégrer le monde du handicap en s'astreignant l'apprentissage de la langue des signes, qui élève une frontière infranchissable entre les pratiquants et le reste du monde ?

Ou se tourner vers la technologie, et y laisser une part de sa liberté et de son âme ?

C'est ce débat qui alimente le récit, retraçant le combat féroce de cette jeune femme qui, loin de tirer profit de sa particularité, la cache aux yeux des autres. le déni l'entraine dans une gestion de plus en plus complexe des relations, qu'elles soient amoureuses ou professionnelles.

L'isolement inéluctable est partiellement compensé par les amis imaginaires prêts à occuper le devant de la scène dès que la situation est embarrassante.

On perçoit parfaitement le ressenti de la narratrice qui s'épuise à comprendre et à interpréter les sons de plus en plus ténus qui lui parviennent.
L'attitude peu empathique d'un entourage qui s'agace de devoir répéter est également très bien restituée.

C'est parfois un peu confus, lorsque l'imagination et la réalité se confondent. Effet peut-être voulu pour immerger le lecteur dans cette ambiance de doute permanent où l'absence de perception conduit à reconstruire une logique, au risque de se fourvoyer.

Un premier roman plutôt réussi, avec cet écueil de passages sibyllins qui perturbent la lecture.

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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La surdité est un handicap invisible. Dans notre société dominée par l'urgence de l'image, cela constitue un handicap supplémentaire (« Les sourds n'avaient pas leur place dans les mythes fondateurs de l'humanité. L'empathie était indéniablement réservée aux aveugles »).
Pour être sincère, j'avais acheté ce livre en raison de son titre, connaissant la mauvaise habitude de Grasset à faire dans la surenchère. Je me préparais à proposer des titres alternatifs tels que « les serpents n'ont pas de couilles » ou « Les palourdes n'ont pas de groins », bref, à faire rire la galerie.
Je me suis trompée. Ce premier roman mérite l'intérêt plus que la moquerie. Ses qualités (l'authenticité et l'émotion) l'emportent largement sur ses défauts (l'impression de lire un journal intime retravaillé).
Louise a vu le jour dans le monde des entendants mais se rapproche de celui des sourds (« Depuis l'enfance, tu es sur un fil, tu te fraies un chemin entre deux mondes auxquels tu n'appartiens pas tout à fait ».) Les entendants la conjurent de se faire implanter un appareil. Les sourds l'excluent de leur communauté habituée à communiquer par la langue des signes. Sa vie est faite de malentendus (« Chaque mot incompris devenait une injustice de plus »). Elle va devoir trouver une troisième voie, comprendre le silence (« La véritable musique est le silence et tous les mots ne font qu'encadrer le silence » avait écrit Miles Davis) et l'apprivoiser (« le silence libérait des mots et des images que le langage retenait prisonniers. Je n'étais donc pas perdue mais en chemin »).
J'aime les livres qui me font découvrir de nouveaux mondes et m'invitent à envisager la vie différemment. le premier roman d'Adèle Rosenfeld est de ceux-là. Il raconte avec subtilité l'odyssée d'un sens égaré.
Bilan : 🌹
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Louise malentendante commence à basculer totalement vers la surdité. Un implant pourrait remédier à cette fatalité.
Alors qu'on pourrait penser qu'elle ne va pas hésiter, la narratrice nous emmène dans ses hésitations, ses peurs et ses angoisses.
D'une plume délicate, parfois un peu ironique, l'auteure nous plonge, en alternant réalité et songes, dans ses réflexions ; le choix est difficile.
Elle transcrit très bien la pression des proches, les personnes qui veulent l'aider mais dont le handicap va vite les irriter.
Le choix narratif m'a permis de m'approcher un peu de ce que doit ressentir quelqu'un qui voit les lèvres des autres bouger tout en restant inaccessible à ce qui se dit.
Un lecture éclairante.
Lu dans le cadre du prix des lecteurs du Livre de Poche 2012
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critiques presse (2)
Elle
24 janvier 2022
Adèle Rosenfeld conte les drôles de relations entre une femme malentendante et le monde qui l'entoure. Intime et intense.
Lire la critique sur le site : Elle
LeFigaro
20 janvier 2022
Une petite perle qui mérite d’être recueillie, loin de la pétarade des têtes de gondole de cette rentrée d’hiver.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (39) Voir plus Ajouter une citation
L’homme est un être plein d’espoir et de désespoir, a-t-il repris, si le désespoir l’emportait constamment, tout le monde sombrerait, et comme il n’est pas raisonnable de conserver de l’espoir dans ce monde dans lequel nous vivons, c’est la preuve même que l’homme n’est pas un être raisonnable. La renaissance d’une chose si absurde que l’espoir montre bien que vous allez tenir, et que ce n’est pas votre raison, mais votre déraison qui va faire que vous allez dépasser cette situation. Servez-vous-en pour avancer, ne regardez pas l’aspect raisonnable des choses, Louise, mais puisez dans la folie la force pour grandir.
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Il expliquait que les tentatives qui se développaient pour archiver le Web n'y faisaient rien, que le passé échappait, que le futur allait être encore moins enregistrable et conservable. La fragilité des supports, leur durée doive extrêmement courte faisaient que nous entrions plus encore dans l'oubli.
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Oedipe s'était crevé les yeux, mais pourquoi ? Il aurait dû plutôt se crever les oreilles. En réalité c'était une affaire d'oreilles. Oedipe a mal entendu le message de l'oracle, c'était un malentendant, il n'avait pas su écouter les mises en garde. Mais le sourd n'a pas la grandeur de l'aveugle, ni son calme philosophique. Et l'engouement de la psychanalyse a persévéré dans ce malentendu. Non, vraiment, ça n'avait aucun sens, les psys ne sont ni yeux ni bouches, ils sont oreilles.
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En termes d’imaginaire collectif, le sourd était passé à la trappe, nulle légende dorée autour d’oreilles crevées. Les sourds n’avaient pas leur place dans les mythes fondateurs de l’humanité. L’empathie de l’humanité était indéniablement réservée aux aveugles. En Chine, les sourds étaient jetés à la mer ; en Gaule, ils étaient sacrifiés à leurs dieux ; à Sparte, ils étaient précipités du haut des falaises ; à Rome et Athènes, ils étaient exposés sur les places publiques ou abandonnés dans les campagnes.
Œdipe s’était crevé les yeux, mais pourquoi ? Il aurait dû plutôt se crever les oreilles. En réalité, c’était une affaire d’oreilles. Œdipe a mal entendu le message de l’oracle, c’était un malentendant, il n’avait pas su écouter les mises en garde. Mais le sourd n’a pas la grandeur de l’aveugle, ni son calme philosophique. Et l’engouement de la psychanalyse a persévéré dans ce malentendu. Non, vraiment, ça n’avait aucun sens, les psy ne sont ni yeux ni bouches, ils sont oreilles.
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J’adorais Blue Train.
Plus tard, j’ai reconnu les premières notes du premier morceau de l’album, elles coulaient en moi comme jamais elles ne m’étaient parvenues.
J’avais dit à Thomas, le saxophone, c’est ce qui se rapproche le plus de la voix humaine, parfois je les confonds.
Puis, il m’avait écrit cette phrase de Miles Davis : « La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu’encadrer le silence », m’invitant à accepter que le silence était premier sur le son.
À la fin, j’ai dû pleurer de plaisir quand la basse a percé, puis le piano. J’entendais chacun des instruments.
Comment était-ce possible ? « Tu te souviens l’audiogramme ? » Thomas l’avait donné à un de ses amis régisseur et il avait adapté Blue Train à ma courbe auditive, réglant chacune des fréquences pour qu’elles me parviennent au mieux.
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