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Critique de domi_troizarsouilles


Voici un polar que j'avais repéré dès sa sortie, à cette époque magique où je renouais peu à peu avec le plaisir de lire après une « pause » de plusieurs années… Cependant, il s'est très vite retrouvé enfoui quelque part dans ma PAL virtuelle (merci mon tsundoku !), d'où je le ressortais quelquefois pour le contempler quelques instants sur l'écran de ma liseuse, avant de systématiquement choisir un quelconque autre "concurrent". Il aura fallu un double challenge géographique (l'un sur Livraddict, l'autre sur Babelio) pour que je me décide enfin à lire ce polar aux accents d'ovni, qui nous transplante avec virtuosité dans les Caraïbes.

C'est tout à la fois un roman noir et étrangement lumineux, une histoire sombre mais empreinte d'une certaine légèreté. C'est le drame de ces îles caribéennes plus ou moins abandonnées depuis qu'elles ne représentent plus d'intérêt économique pour l'Occident, se refermant sur elles-mêmes et dans leurs pires travers : domination de l'homme sur la femme, violences domestiques diverses et variées au quotidien, embrigadement dans des Églises aux noms farfelus mais qui assurent une véritable mainmise sur leurs membres (à nouveau : sur les femmes en particulier) d'une façon qui n'est pas sans rappeler les sectes, trafics de drogue avec les îles voisines qui donnent ainsi une espèce de « légitimité » à cette île autrement insignifiante ; mais c'est aussi le soleil omniprésent (à part quelques tempêtes et autres pluies ravageuses mais qui ne font jamais que passer), la mer que l'on entend chanter, les marchés où l'on aurait l'impression de sentir les odeurs des fruits multicolores et des épices, de voir les montagnes de légumes qu'on aurait envie de préparer, des poissons grillés à grignoter sur place pour presque rien (et qui mettent réellement l'eau à la bouche !), et les marchand.e.s qui s'interpellent, rient et papotent ou abordent le client (qu'elles connaissent depuis toujours) avec verve ou sévérité. C'est toute une ambiance qui ne se dément jamais, et qui imprègne le roman à travers toutes les pages, au détour d'un chemin, d'une plus ou moins longue description, d'un détail de la vie courante qui saisit tout à coup.

Cette imprégnation est renforcée par un choix éditorial que j'admire : il semble que l'auteur a choisi, dans sa langue originale anglaise de Grenade, d'écrire la narration (à la 1re personne du singulier cela dit) dans un langage courant tout à fait correct, parfois même à la limite du soutenu, tandis que tous les dialogues sans exception se déroulent dans le créole anglophone de son île d'origine. Et voilà : Sonatine (qui est de plus en plus reconnu pour la qualité de ses parutions, semble-t-il) a pris l'option de « rendre » cet esprit en traduction française, dans une narration sans souci d'une part, et dans une retranscription artificielle voulue pour les dialogues, d'autre part, grâce à des aménagement linguistiques réalisés en accord avec l'auteur, disent-ils, agrément d'un mélange de créoles caribéens - et tout cela est annoncé dès le début du livre dans une très appréciable « note de l'éditeur ».
Certes, le résultat s'éloigne de ce français courant auquel on est habitué, dès lors ça peut parfois sembler ardu à lire, pourtant ça reste parfaitement intelligible pour le lecteur francophone, ça chante en effet et ça ajoute incontestablement à cette « couleur locale » magnifiquement défendue par l'auteur : je dis bravo !

Ainsi, on rencontre le jeune Michael Digson, appelé Digger, fils illégitime du (puissant) préfet de police, qui a refusé de lui payer des frais d'université, contraignant le jeune homme à vivoter de petits boulots sans avenir. En début de roman, il se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment : témoin impuissant du passage à tabac d'un jeune écolier, il se fait appréhender par la police, alors qu'il cherchait à venir en aide à la victime. C'est ainsi qu'il est repéré par le vieux commissaire local, Chilman, à la limite de la retraite, qui s'est mis en tête de créer une unité de police composée de talents atypiques. Digger ne veut d'abord pas en entendre parler, mais entre son besoin d'argent (notamment pour reconstruire la maison qu'il habite, héritée de sa grand-mère maternelle) et son souhait de découvrir la vérité sur la disparition de sa mère lors d'événements durs des années plus tôt, il finit par accepter ce recrutement inattendu.
Mais Chilman ne fait pas que lui offrir un job : il lui propose aussi une formation en forensique (qu'on aurait tort de résumer à la seule médecine légale – voir par exemple l'article ici : http://criminologie.site.koumbit.net/article/science-forensique ) pendant un an en Angleterre, lui permettant ainsi de devenir celui qui « lit les morts ».

C'est que Chilman a une obsession : un cold case qu'il veut à tout prix élucider, mais il n'a pas pu arriver au bout de ses investigations, se heurtant encore et toujours à une impasse, au cours de sa carrière qui se termine désormais. On peut dire qu'il « se sert » réellement de Digger, mais on sent aussi qu'il apprécie ce jeune homme qu'il a vu "grandir" en tant que policier et homme intègre. Il lui adjoint alors une jeune femme lumineuse (quand je parlais de lumière !), toujours habillée de couleurs vives et imprimés joyeux, pleine de bon sens et qui ne s'en laisse pas conter : une certaine K. Stanislaus, dont on ne verra le prénom prononcé qu'une seule fois, et qui n'est par ailleurs jamais utilisé.
On l'a compris : les personnages sont très bien campés, sans jamais tomber dans le stéréotype, et participent sans aucun doute à l'ambiance de l'île, tant on sent qu'ils en font partie, et qu'ils l'aiment profondément, même s'ils reconnaissent qu'elle n'est pas aussi paradisiaque que les touristes étrangers (mentionnés çà et là) semblent heureux de croire…

Ainsi, on suit les plus ou moins grosses affaires de Digger et de son nouveau supérieur Malan (lui aussi recruté par Chilman autrefois) ; on le voit vivre ses relations compliquées avec une amie, jeune femme qu'il veut aider dans son désarroi domestique, ou avec sa petite amie qui se joue peut-être bien de lui ; on le voit dans son quotidien qui le transforme petit à petit… mais surtout, on le voit s'intéresser, et même de plus en plus à ce cold case qui ne cesse de le tarauder.
Hésitant dans ses recherches au début, mais de plus en plus convaincu de la nécessité de dévoiler la vérité, il s'entête dans ses recherches, au risque de sa nouvelle carrière et peut-être même de sa vie, remuant la boue et bien des choses en cette ville de San Andrew, et notamment (ça ne s'invente pas !) la puissante « Église baptiste spirituelle des Enfants de la Licorne », dont le révérend est un proche du ministre de la Justice…

Roman à tiroirs mais centré sur ce cold case particulier, qui lève un tas d'autres problématiques ; roman sombre et lumineux tout à la fois, disais-je plus haut, véritable chant d'amour de l'auteur pour son île ; dans une langue « aménagée » qui participe néanmoins à recréer cette ambiance tropicale caribéenne qui fait rêver sans pour autant cacher les dessous moins reluisants du quotidien ; ce livre est un enchantement, et je serai heureuse de lire la suite des aventures de Digger et K. Stanislaus, déjà publiée en anglais, et dont j'espère une traduction française prochaine !
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