Ce livre est un ovni passionnant. L'auteur a construit un vrai roman raconté par ses personnages, une technique classique, mais ces personnages sont créés à partir de témoignages recueillis auprès d'anciens salariés de l'usine Roussel-Uclaf de Romainville, en banlieue parisienne, à leur demande (c'est l'association des anciens de RU qui ont recruté et rémunéré pendant un an l'auteur), entre 1967 et 2007. Une entreprise familiale, fondée par le père puis dirigée par le fils jusqu'à sa mort accidentelle, devenue ensuite progressivement la propriété d'un actionnariat "classique" abandonnant progressivement les règles (l'éthique ?) d'une entreprise familiale fondée sur la recherche de molécules nouvelles pour la transformer en entreprise de pure rentabilité financière, au terme de fusions-acquisitions successives, aboutissant à la quasi destruction de l'outil de recherche. Les biographies de ces employés imaginaires "synthétiques" sans doute de plusieurs parcours réels sont bien construites: leur origines sociale, leur formation scolaire et professionnelle souvent courte, leur intégration dans les différentes unités de cette usine gigantesque (2000 salariés) intégrée, des laboratoires de recherche aux unités d'emballage des médicaments, leur formation continue et leur avancement, leur vie de la fin des années 60 à la fin du siècle incluant leur vie sentimentale et familiale et leurs loisirs (moins développés il est vrai que la vie au travail). Tout cela sonne très vrai, même si ou parce que la lutte syndicale est omniprésente et que l'auteur ne se cache pas d'être un "écrivain-militant". Il ne tombe cependant pas dans le sectarisme, sait faire la part des choses dans le jugement de la gestion paternaliste, et surtout démontre le caractère épanouissant, émancipateur du travail lorsqu'il permet à la fois satisfactions intellectuelles, manuelles et affectives au sein de véritables équipes dans un climat sécurisant, et le véritable désespoir qui peut atteindre les salariés lorsqu'ils sont brutalement licenciés, ou, pire encore, placardisés . On ne s'ennuie pas une seconde dans cette aventure, le dialogues sont très bons, pas dépourvus d'humour (la chronique shadock moquant le jargon managérial moderne vaut son pesant de moutarde), les faits scientifiques (comme la découverte du RU 486, la mifépristone ou "pilule du lendemain") sont très bien vulgarisés, sans erreur, l'estime vraie des salariés pour les directeurs compétents contraste évidemment avec le mépris pour les managers sans compétence technique ou intellectuelle. Bref un bon et original moment de lecture, et de vraies leçons sur la "valeur travail" si négligée ces trente dernières années.
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Histoire des salariés d'une usine pharmaceutique des années soixante à nos jours : la parole est aux oubliés, simple et concret ; militant.
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Ça y est, en deux jours Pierre est définitivement catalogué comme un emmerdeur de première. Il a suffi de cette réaction qui monte en température pour qu’il endosse le rôle du syndicaliste fort en gueule. En réalité, cette distillation ou autre chose, cela devait arriver. Sa rage puise profondément dans le sentiment d’injustice – injustice faite aux hommes de travailler comme ça – et de révolte – cette injustice est faite à des hommes par d’autres hommes, les possédants, les puissants, avec les petits chefs à leur botte.
Interventions de Sylvain Rossignol, auteur du roman "Notre usine est un roman", et Annick Lacour (ancienne salariée de Sanofi-Aventis, Présidente de l'association RU) dans le cadre des Rencontres internationales Art et transformation sociale "Du territoire en crise au territoire de l'art" qui ont eu lieu les 9 et 10 décembre 2010 à Arras. Co-organisation Vies à Vies, Territoire d'Image et ARTfactories/Autre(s)pARTs.
Début 2004, l'OPA lancée par Sanofi-Synthélabo sur Aventis se solde par la fermeture du centre de recherche pharmaceutique de Romainville, avec à la clé 660 suppressions et 450 transferts de postes vers d'autres sites. La douleur des salariés, éreintés par plusieurs années de lutte, est vive. Ils décident de la coucher sur papier, fondent une association et dénichent un écrivain pour mettre en forme leurs maux. Le résultat est surprenant: l'auteur s'approprie avec talent la parole des salariés et en tire une véritable saga littéraire qui raconte un demi-siècle de la vie d'une grande entreprise.
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