Roman que l'on dirait envoutant, peut-être aussi désespérant, déroulant sans vergogne la déchéance sexuelle d'
un homme âgé, écrivain célèbre, amoureux d'une jeune femme peu accessible, et qui revient sur une période incertaine de sa jeunesse.
Nathan Zuckerman est un personnage récurrent de l'oeuvre de
Philip Roth. Cet écrivain célèbre, double de l'auteur, a soixante et onze ans, a été opéré d'un cancer de la prostate, à la suite de quoi il est impuissant et incontinent. Depuis une dizaine d'années, il vit reclus dans le Massachusetts, cherchant à fuir les pressions que pouvaient exercer sur lui, le monde, la politique, les médias, les autres. Surtout, il était menacé de mort : « Douze balles dans la peau » lui étaient réservées par un antisémite anonyme.
On est en novembre 2004, l'Amérique vote, Bush ou Kerry ? de passage à New-York pour un traitement chirurgical original de son incontinence urinaire (injection locale de collagène), il croise fortuitement une vieille connaissance, Amy Bellette, sans se signaler : remontent alors les circonstances de sa rencontre (unique) avec cette femme aujourd'hui diminuée par l'évidence d'une intervention sur le cerveau. Autrefois, il y a presque cinquante ans (en 1956) c'était une beauté, éprise de E.I. Lonoff, un écrivain qui eut son heure de gloire mais qui est aujourd'hui complètement oublié. Il avait peut-être essayé d'écrire un ultime roman qui n'était pas paru.
Zuckerman décide de séjourner une année dans la métropole en passant par un échange de maison : répondant à une annonce, il fait la connaissance de Billy et Jamie, jeune couple marié qui souhaitait prendre le large pour échapper au terrorisme d'après le 11 septembre 2001. Et voilà que Nathan Zuckerman tombe sous le charme de Jamie, quarante ans de moins que lui, belle, attachée à son mari, cultivant néanmoins la liaison qu'elle eut avec Richard Kliman, jeune écrivain fougueux qui, hasard ou non, cherche à exploiter le manuscrit inédit de Lonoff pour écrire une biographie à scandale, en proclamant avoir découvert un secret de sa vie, (d'ordre sexuel, de nature incestueuse). Lonoff ne mérite pas une telle publicité, même si c'est pour le sortir de l'ombre, estiment Nathan et Amy Bellette.
Ce roman tourne autour de ces tensions contradictoires, le culte brûlant que voue Nathan à Jamie, l'insistance de Richard Kliman à finaliser son projet alors que, de par son mépris des autres et son harcèlement incessant, il est constamment rejeté, enfin le secret de Lonoff, objet potentiel d'une cabale à coloration scandaleuse ou mystère destiné à rester une énigme dans un recoin confidentiel.
Philip Roth nous promène dans un New York qu'il connait bien, entre son hôtel Hilton, l'appartement chaleureux où trône Jamie, le taudis où vit Amy Bellette, et son imaginaire qui lui fait (re)vivre à sa guise sa relation avec la jeune femme devenue sa passion.
Ce roman fourmille de signes, de réflexions parfois à peine évoquées, autour du déclin physique des hommes, marqués dans le cas de Nathan par ses troubles urinaires, sexuels, neurologiques (mémoire non fiable), également déclin mental avec la perte du désir et de l'élan littéraire. Ce délitement est traité avec l'acuité et l'ironie dont sait faire preuve
Philip Roth, et co-existe avec d'autres thèmes comme le rejet des biographies qui dénaturent les récits, les valeurs de leurs sujets, le risque de confusion entre l'écriture journalistique et l'écriture romanesque, l'ambiguïté du coup de foudre au cours d'une relation par trop inégalitaire, etc. Roth opère, dissèque les caractères avec sa perspicacité, son sens de la discrimination habituelle, et utilisant froideur ou cruauté quand il le faut (Kliman le mérite bien).