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Critique de kielosa



Les 7 années de journalisme de Joseph Roth, de 1919 à 1926, ont eu des effets les plus bénéfiques sur son oeuvre littéraire publiée ultérieurement, puisqu'il y a appris le grand art de la concision. À mon avis, c'est exactement cette qualité de la formulation concise et précise, qui donne à la création purement littéraire de ce maître autrichien la survalue rare, qui a probablement incité son ami, le grand Stefan Zweig, à déclarer qu'il était un meilleur romancier que lui.

Apparemment je ne suis pas le seul à souligner cette caractéristique de son oeuvre, car l'écrivaine Florence Noiville note à ce propos dans le magnifique Cahier de l'Herne, consacré à lui et dirigé par Carole Ksiazenicer-Matheron, en réponse à la question " Qu'est-ce qui rend l'oeuvre de cet écrivain unique ? " : "Sur le plan de l'écriture d'abord, je suis toujours frappée par la netteté et la précision du style chez Roth. Des phrases courtes qui le rendent extrêmement tranchant. Et puis il y a une espèce de charme, de légèreté. C'est une écriture qui n'est jamais datée. " (page 23). En fait, la critique littéraire du journal le Monde traduit merveilleusement mon ressenti à la lecture de ses romans au cours des 2 dernières décennies.

Non pas que la production journalistique de Joseph Roth se limiterait à cet apprentissage, pour lequel il a eu comme professeur entre autres Egon Erwin Kisch, loin s'en faut. Dans le présent ouvrage, une anthologie de ses écrits journalistiques qui totalisent plus de 3000 pages, sélectionnés, traduits et commentés par l'auteur Hugues van Besien, nous faisons la connaissance d'un homme particulièrement lucide, "un exceptionnel observateur, quasi prémonitoire parfois...un témoin agissant." Et encore, en tant que journaliste du "Frankfurter Zeitung" (le journal de Francfort), un quotidien conservateur, il a été obligé de soigner et modérer son langage pour ne pas choquer les lecteurs bien-pensants. Bien sûr Roth n'écrivait pas uniquement pour ce quotidien allemand important, mais même pour des journaux de Prague et Vienne, il ne pouvait pas se permettre trop de cynisme et sarcasme. Être un des journalistes les mieux payés de ces années exigeait évidemment son tribut. Quoique "sa radicalité et son mordant en font une sorte de poil à gratter dans les colonnes de la respectable "Frankfurter Zeitung".

Comme journaliste il a couvert les grands problèmes de son temps : la guerre russo-polonaise de 1920, l'assassinat de Walther von Rathenau, Juif, ministre des affaires étrangères et fils du fondateur de la société AEG, en 1922, la montée du nationalisme, la violence xénophobe et l'antisémitisme, ainsi que les luttes toujours plus virulentes entre l'extrême gauche et droite.

N'en demeure que le reportage de Roth "ressemble souvent à une nouvelle par sa construction et le styliste acéré est bien présent"

Certains de ses articles ont, par ailleurs, trouvé un écho plus tard dans son oeuvre littéraire. À titre d'exemple je cite le cas du réfugié de l'est qui fuit la Russie en troubles et que l'on retrouve dans son héros fictif de Franz Tunda, en route d'Irkoutsk en Sibérie à Vienne, dans son ouvrage : "La fuite sans fin", que j'ai chroniqué le 2 janvier dernier.

En 1925, foncièrement déçu et inquiet par la situation en Autriche et en Allemagne, il aurait voulu que son journal le nomme correspondant permanent à Paris : la France lui paraît déjà comme la "terre d'un exil d'élection". Souhait frustré. Comme compensation on lui propose soit l'Italie, soit un voyage en URSS. Il opte pour la Russie, où il voyage pendant 4 mois, de juillet à novembre 1926, 10 ans après la Révolution d'octobre et l'instauration du régime communiste par Lénine. le récit de son séjour en Russie occupe une place prépondérante dans cet ouvrage (141 des 382 pages). Il est vrai aussi qu'il y a parcouru d'énormes distances, telle son expédition en bateau sur la Volga entre Nijni Novgorod et la capitale de la fourrure Astrakhan, à plus de 1500 kilomètres, avec des excursions à Kazan et Samara, tout en engageant la conversation avec un maximum de personnes de tous horizons devant un verre de vodka, je m'imagine.

Assistant à Moscou, le 7 novembre 1926, à la parade militaire pour l'anniversaire de la Révolution, Joseph Roth note dans l'article pour son journal : "Derrière la place Rouge, dans les rues, L Histoire attend, le visage voilé ". Son reportage de l'URSS est truffé de trouvailles et perles de ce genre.

Avant son départ vers l'est, il entame son essai important "Juifs en errance", qu'il publiera en 1927. Une analyse pénétrante et subtile de la situation de plus en plus précaire des Juifs peu avant l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler et que j'ai commenté le 10 juin 2017.

C'est en 1930 que paraît sa première grande oeuvre littéraire "Job : Roman d'un homme simple", suivi, 2 ans plus tard, par "La Marche de Radetzky", qui constitue pour beaucoup de critiques son chef-d'oeuvre. L'histoire du déclin de son Empire austro-hongrois.
Juste avant, en 1929, il avait sorti son "Gauche et droite", qui pour être honnête m'a légèrement déçu. Probablement que comme Balzac, il avait un besoin urgent de sous, car ce livre donne l'impression qu'il l'a écrit à la va-vite.

Joseph Roth occupe une place de choix parmi mes auteurs favoris, ce qui m'a amené à rejoindre la Société Joseph Roth de Belgique et des Pays-Bas et m'a conduit à me porter volontaire pour une présentation de sa vie et de son oeuvre lors de la prochaine rencontre du "navire bruxellois" - le groupe de la capitale belge - de Babelio, ce dimanche 22 juillet.


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