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EAN : 9782757817957
224 pages
Points (26/01/2010)
4.1/5   130 notes
Résumé :
Le narrateur, François Ferdinand, parent des Trotta de La Marche de Radetzky, a connu une jeunesse insouciante dans la Vienne de la " Belle Epoque ".
Mais la guerre qui l'entraîne aux confins de l'Empire où il sera fait, un temps, prisonnier des Russes, provoque l'écroulement de son pays, la débâcle de sa fortune et de ses illusions. Ce dernier roman, grave et mélancolique, écrit à la première personne, apparaît comme le testament-confession de l'auteur.
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Joseph Roth est né sous le règne de François-Joseph et décède à Paris en 1939 après avoir fui son pays suite à la prise de pouvoir par les nazis. Sa formation journalistique influence celle d'écrivain parce qu'il souhaite s'appuyer sur des témoignages dans ses ouvrages pour faire preuve d'authenticité. Son oeuvre est marquée par un fil conducteur : l'Histoire entremêlée avec sa propre vie. Pacifiste avant et au début de la Première Guerre mondiale, il finit par se présenter au service militaire. La chute de l'Empire austro-hongrois qui découle de la défaite dans le conflit est très mal vécue par l'auteur. Il aimait cet Empire notamment en raison de sa diversité. Cette dernière était pour lui source de richesses tant dans les régions que dans les cultures. Il émet des regrets au sujet de ce monde révolu dans un ouvrage tel que La Crypte des Capucins.

Le titre est, en lui-même, évocateur. La crypte des capucins est l'endroit où sont enterrés tous les dirigeants des Habsbourgs à Vienne. Par conséquent, le titre est la métaphore du déclin de l'Empire des Habsbourgs et de la perte de la patrie. Roth évoque constamment ce monde révolu à travers son narrateur qui parle à la première personne conférant un air de confidence à l'oeuvre. Des parallèles peuvent être faits entre l'expérience du narrateur et la vie de Roth – le rapport au père par exemple. Son oeuvre est donc marquée à la fois par sa vie personnelle et les événements internationaux. Il est nécessaire de mentionner que quand Roth écrit son livre, l'Empire n'existe plus. Même s'il n'oublie pas les manques et les incohérences de ce monde, il recompose ce dernier a posteriori et l'idéalise.

La Crypte des capucins est la suite de la Marche des Radetzky, oeuvre qui raconte la désintégration de la société autrichienne dans la seconde moitié du XIXe siècle à travers la famille Trotta. Dans La Crypte des capucins, le narrateur est un membre d'une autre branche des Trotta. Francois-Ferdinand, le narrateur, porte le nom de l'archiduc François-Ferdinand dont l'assassinat a conduit à la Première Guerre mondiale et à la chute de l'Empire austro-hongrois. Il symbolise le parcours d'un citoyen ordinaire de l'Empire austro-hongrois et le déclin de la monarchie. L'oeuvre peut être analysée en trois temps distincts qui influencent la vie du narrateur : la situation juste avant la Première Guerre mondiale, la situation pendant le conflit et celle d'après le conflit.

Le contexte qui précède la Grande Guerre est caractérisé par plusieurs éléments.

Tout d'abord les idées de décadence et de mort sont omniprésentes. Dans les actes de la vie quotidienne comme les repas ou les nuits, la mort « croisait déjà ses mains décharnées. Nous ne la pressentions pas encore ». Mais, pour le narrateur, la situation était gaie malgré la présence de la mort. le constat qu'effectue le narrateur est le suivant : les contemporains n'ont pas pressenti la guerre longue qui arrivait. La majorité d'entre eux était enthousiaste à l'idée de prendre les armes pour défendre la patrie au cours d'une guerre qu'elle imaginait courte et victorieuse.

La deuxième caractéristique mise en avant par le narrateur est la richesse humaine. L'identité austro-hongroise, qu'il faut défendre au sein de cette guerre, possède différentes facettes. le narrateur souligne, en particulier, la question des nationalités. Ces dernières sont à la fois le terreau de conflits futurs et un atout. Elles sont un des éléments clés de compréhension du monde austro-hongrois. Pour le narrateur, l'Empire trouve sa richesse dans ses « marges » qui nourrissent l'identité autrichienne. Les personnages sont des épitomés de ces régions et de leurs richesses : Joseph Branco, un cousin de la famille Trotta, vient de Slovénie et Manès Reisiger est originaire de Galicie. L'amitié entre Branco, Magnès et François-Ferdinand se renforce au cours du temps : cela montre à quel point cette diversité est chère et importante au narrateur. Les peuples constituent la véritable identité de l'Empire austro-hongrois même si, à l'extérieur de l'Empire, l'illusion d'une Vienne rayonnante domine.

Pour le narrateur, les concitoyens sont les représentations concrètes de la patrie. La défense de cette dernière passe donc par la fraternité, la protection de ces concitoyens. L'annonce même de la Première Guerre mondiale est marquée par la diversité des peuples : l'empereur François-Joseph appelait « à [ses] peuples! ». le narrateur raconte son mal-être vis-à-vis de la guerre dans la mesure où il sait qu'a posteriori la fin de cette diversité approche.

Suite à cette annonce, le narrateur fait le constat de la non préparation du peuple d'Autriche-Hongrie à la guerre. En effet, l'environnement de l'Autriche-Hongrie est encore marqué par la tradition et le quotidien éloigné du monde belliciste. Avant de partir à la guerre, le narrateur essaye de répondre à toutes les obligations sociales des contemporains malgré leur chamboulement imminent. Il se marie avec Elisabeth. le mariage est déjà ancré dans la rhétorique guerrière car il est d'une « simplicité militaire ». François-Ferdinand ressent d'autant plus la différence de situation dans la mesure où il passe de l'amour à la guerre. Il se sert du mariage et de l'amour comme une arme au cours du conflit. Par ailleurs, son mariage lui permet de rencontrer son beau-père qui n'est pas mobilisé et qui va se reconvertir dans l'industrie de guerre. Son beau-père est l'exemple typique des personnes à qui la guerre a profité malgré sa présentation morose de sa condition.

La tradition s'exprime également dans les relations que le narrateur entretient avec sa mère : elles sont plates, caractérisées par la retenue et fondées sur l'amour pour le fils de son mari. Seule la nécessité de partir au combat a permis à la mère de parler plus sérieusement à son fils. Les adieux entre le narrateur et sa mère se font dans la rue peuplée que de très peu d'individus qui sont éméchés. François-Ferdinand fait un parallèle avec la situation à son retour quand les rues sont encore désertes. le paysage est donc un marqueur de la situation.

Le narrateur inclut, dans son récit de la guerre, ses pensées de l'après-guerre et commente son état d'esprit de l'époque. Il tente d'illustrer son ignorance, son manque de clairvoyance ou, au contraire, sa lucidité. Par exemple, il met en lumière son explication de l'expression « guerre mondiale » en ces termes : « non parce qu'elle a été faite par le monde entier mais parce qu'elle nous a tous frustrés d'un monde, du monde qui précisément était le nôtre ». Il exprime ensuite son sentiment de familiarité où qu'il soit en Autriche-Hongrie. Il énumère à la fois des lieux, des villes qu'il connaît, les caractéristiques de ces lieux ou des pratiques qui sont pour lui constitutifs de son « pays » quelque chose plus fort et plus vaste qu'une patrie.

Quand le narrateur se rend sur le front, il est directement confronté au quotidien de la guerre : la vue des blessés et des morts. Il retrouve Manès et Branco : Manès lui saute au cou sans se soucier du règlement, preuve que la guerre a détruit les codes. François-Ferdinand se rend compte qu'il est plus proche d'eux que de ses compagnons d'avant hormis du Comte Chojnicki. La guerre est un facteur de proximité tant les soldats partagent des épreuves dures. L'épreuve qui les amène en Sibérie met en exergue la difficulté des soldats à se situer dans le temps. En effet, ils ne peuvent dire avec certitude le temps du voyage – six mois environ – parce qu'ils ont perdu la notion du temps. La solitude de Sibérie rend fou Manès et Branco. Les trois amis sont contraints de partir pour aller dans un camp duquel Branco et Manès s'enfuiront.

Les trois amis se retrouvent à Vienne quatre ans plus tard. La lassitude des quatre années de guerre est visible chez tous les individus. Pour exprimer cette lassitude, le narrateur utilise le symbole des armes : « les armes avaient envie de s'étendre pour dormir, fatiguées ». À cette lassitude se joint l'angoisse du retour. le narrateur décrit l'incertitude dans laquelle il est. Il a envoyé deux lettres à sa mère qui n'a pas répondu. Lors de son retour à la maison, sa mère se comporte d'une manière inhabituelle : elle se courbe. Très vite reviennent les habitudes « cérémonieuses » et le quotidien comme si ni la guerre ni la destruction de la monarchie n'avaient eues lieu.

Le narrateur n'arrive pas à imaginer sa vie future. Il retrouve une épouse distante et va manger avec elle en compagnie de son beau père et de Yolande – une femme proche de son épouse. Ils vont dans un restaurant que François-Ferdinand avait l'habitude de fréquenter avant la guerre : tout a changé pour lui mais, pour son beau père, il s'agit du quotidien. Il y a donc un changement de référentiel. Il a le sentiment d'être étranger à un monde qui lui était autrefois habituel. Il n'est toutefois pas le seul dans cette situation. En effet, le directeur du restaurant, Léopold arrive et dit « Oh! quel bonheur de vous revoir ! D'en revoir au moins un ! […] Un client ! Enfin ! ». Ces deux personnes voient la monarchie d'antan comme le référentiel naturel. Il y a donc une fracture entre deux mondes : celui de la monarchie, passé, et celui de l'après-guerre.

Ce retour est d'autant plus dur que le narrateur doit retrouver une place dans un monde qui s'est reconstruit sans la présence des combattants. Il a perdu son rang et n'a plus de revenus comme le souligne son beau père. Il n'a plus d'argent car ce dernier était placé en emprunts de guerre. Malgré cela, il met en exergue sa réadaptation à la situation actuelle. Il recommence à penser les événements qu'il a vécu par rapport à Elisabeth. Il déplore le fait qu'il donne de l'importance à Elisabeth alors qu'elle est peu signifiante en comparaison à la perte de ses amis. « Nous nous habituons tous à l'inhabituel » nous dit le narrateur.

La visite de Branco et Manès rend compte de la modification de leur environnement. La ville de Manès, Zlotogrod, pris comme marqueur de la stabilité de la monarchie au début de l'ouvrage a été détruite par les bombardements. Sa femme y a péri et son fils, Ephraim, est devenu communiste. Par ailleurs, Branco souligne le fait qu'il y a besoin d'un visa spécial pour voyager entre chaque pays et s'exclame de la sorte : « quel monde! ». Les symboles de la monarchie s'effondrent. Les citoyens de l'ancienne monarchie, ses défenseurs, s'effacent aussi peu à peu : « nous étions vivants, présents physiquement, mais en réalité, nous étions déjà morts ». le narrateur n'a plus d'inquiétude pour la destinée de ce monde. Il a envoyé son fils à Paris ; il est seul et prêt à aller dans la crypte des capucins.

L'épilogue souligne l'arrivée des nazis dans la ville. Les séparations avec le patron du bar sont définitives. le narrateur est las, il ne peut plus continuer, il a déjà affronté trop d'épreuves. La crypte des capucins est fermée, le narrateur demande à voir le cercueil de l'ancien empereur et crie « Dieu protège l'empereur ». le moine lui ordonne de se taire. Il se demande que faire, où aller, lui, un Trotta, si ce n'est dans la crypte des capucins signifiant l'enterrement définitif de la monarchie.

« Je ne me sentais pas d'aise, j'étais rentré dans mes foyers. Nous avions tous perdu notre position, notre rang, notre maison notre argent, notre valeur, notre passé, notre présent, notre avenir. Chaque matin en nous levant, chaque nuit en nous couchant, nous maudissions la mort qui nous avait invités en vain à son énorme fête. Et chacun de nous enviait ceux qui étaient tombés au champ d'honneur. Ils reposaient sous la terre. Au printemps prochain, leurs dépouilles donneraient naissance aux violettes. Mais nous, c'est à jamais inféconds que nous étions revenus de la guerre, les reins paralysés, race vouée à la mort, que la mort avait dédaignée. La décision irrévocable de son conseil de révision macabre se formulait ainsi : impropre à la mort ».

Ce passage met en avant l'analyse et la capacité de transmission de Roth qui font de lui un auteur incontournable. Dans son ouvrage à la fois accessible et en même temps ponctué de références historiques, il a réussi à montrer les conséquences sociales de la chute de l'Empire austro-hongrois. Il a démontré combien le peuple est perturbé, dans sa vie privée, par les affaires publiques. Sa clairvoyance permet de faire une histoire sociale de la chute de l'Empire austro-hongrois, certes influencée par sa vie, mais qui demeure pertinente. Malgré les imperfections de l'Empire, certains concitoyens adhéraient aux pratiques et s'étaient fondés une identité en lien avec cet Empire. Sa chute a, certes, conduit à la remise en cause d'une instance politique mais également à celle de la construction des individus. Ces individus sont, également, très interdépendants. Les références à autrui et d'autrui forgent les histoires individuelles et collectives. Cette interdépendance est primordiale dans la mesure où l'histoire ne peut se faire que par la globalité des individus. En outre, Roth se concentre, de manière prégnante, sur les prémisses de problèmes futurs : le nazisme, la question des nationalités, du nationalisme, des frontières, des libertés. Ses oeuvres détiennent donc un véritable pouvoir explicatif. La contextualisation permet aux personnages d'incarner des parcours symptomatiques d'une époque tout en restant dans le domaine du possible.

Une fois n'est pas coutume (tâchons de ne pas trop remédier à ce genre de facilité. Mais cette chronique est en tout point excellente et très complète) : le texte qui précède est le fait de Carole Cocault sur le site "Classe Internationale". C'est ici : https://classe-internationale.com/2016/01/27/joseph-roth-la-crypte-des-capucins-1938/
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Joseph Roth est un être charmant, passionnant à tout point de vue et son oeuvre est remarquable. Juste avant de lire ce livre, j'étais attablée avec lui, dans quelque café pour boire un Pernod en bonne et due forme selon « La légende du Saint buveur » et ce fut savoureux et fantastique.
Ici, dans la Crypte des capucins, j'ai noté cette noble envolée situant l'immensité d'un empire et la capacité de vivre ensemble de toutes ces âmes en tous ces horizons.
« ― Rien n'est bizarre dans cette monarchie, répliqua le comte Chojnicki, notre doyen. Sans nos imbéciles de gouvernants (il aimait les expressions fortes), il n'y aurait là rien de bizarre, pas même en apparence. Je veux dire que cette prétendue bizarrerie est tout ce qu'il y a de plus naturel en Autriche-Hongrie. Je veux dire en même temps que les choses naturelles ne paraissent étranges qu'à cause de l'état de notre Europe détraquée par les États nationaux et les nationalismes. Évidemment, ce sont les Slovènes, les Galiciens et les Ruthènes de Pologne, les Juifs à caftan de Boryslaw, les maquignons de la Bacska, les musulmans de Sarajevo, les marchands de marrons de Mostar qui chantent l'hymne de l'empereur. Mais les étudiants de Brno et d'Eger, les dentistes, pharmaciens, garçons-coiffeurs, artistes photographes de Linz, Graz, Knittelfeld, les goitreux de nos vallées alpines, eux, chantent tous la Wacht am Rhein. Messieurs, l'Autriche crèvera de cette fidélité de Nibelungen teutons. La quintessence de l'Autriche, on ne la découvre pas au centre de l'empire mais à la périphérie. Ce n'est pas dans les Alpes qu'on trouve l'Autriche : on n'y trouve que des chamois, des edelweiss, des gentianes, mais on n'y devine qu'à peine la présence de l'aigle bicéphale. La substance autrichienne est sans cesse nourrie, refaite par les pays de la Couronne. »
Le narrateur François-Ferdinand, à cause du désordre du monde, s'enrôle pour la guerre au côté de son ami et cousin Joseph Branco le Slovène et du cocher juif Manès Reisiger originaire lui de Galicie. C'est au travers de ces trois personnages que je découvre après une première immersion dans la Marche de Radetzky le devenir et la chute de l'Empire Austro-Hongrois.
Ainsi, le dernier Trotta de Vienne va demander au vieux François-Joseph, qui fut paternel à ses jeunes années, quelques raisons d'espérer.
Il se dirige vers la Crypte des capucins, là où repose la dynastie des Habsbourg en corrélation avec la basilique Saint-Denis pour les rois de France.
« Mais la Crypte est fermée. le capucin qu'il rencontre à la porte impose silence au trop fidèle sujet dont le loyalisme peut passer pour séditieux, dans une ville où, cette nuit, l'étendard à croix gammée flotte partout : « Où aller maintenant ? Où aller ! Moi, un Trotta ? Roth le savait. C'est réfugié définitivement à Paris, dans la patrie des droits de l'individu et de la tolérance que, jusqu'à la veille de sa mort, il a travaillé de toutes ses forces au-delà de ses forces, à secourir ceux de chez lui et à tenter d'unir les Autrichiens de toutes les opinions en vue de la libération de l'Autriche, dont « l'empereur », pour lui, n'était que le symbole. »
Joseph Roth, grand homme, grand auteur.
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Ce livre parle de la guerre 14-18 et de la fin de l'empire jusqu'a l'Ancluss. La guerre 14-18 est seulement évoquée. La ruine de la famille Trotta éclipse l'histoire. On n'évoque la fin de l'empire, Roth ne parle pas de l'histoire collective, mais celle d'une famille. Celui qui tue sera tue. C'est un ordre déjà défait. Ses bons bergers sont morts ou en exil. Misère et amoralite. Plus de Gott erhalte.
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Qu'a écrit Joseph Roth dans ce dernier roman, alors qu'il s'acheminait vers la mort? Il a écrit les morts de la vie, probablement celles de sa vie.
Il a écrit la jeunesse viennoise insouciante, soudain appelée à monter au front et qui s'y engage avec allant.
Ce sera la mort des milliers de camarades et celle d'un empire, d'un monde. Pour ceux qui y étaient attachés, la nostalgie était irrépressible. Ce fut le cas aussi pour Stefan Zweig, dans le monde d'hier.
Le couple formé à la hâte à la veille des combats est intermittent, et au lendemain de la guerre les femmes ne sont plus les mêmes, même si leur vie professionnelle et leurs amours féminines ont aussi leurs déboires. Quel contraste avec les principes moraux de la "Belle" époque!
La seule naissance est celle d'un fils.
Entretemps, il y eut la captivité, à laquelle l'amitié a eu du mal à résister.
Et enfin, la mort de la mère, la nuit même où les nazis prennent le pouvoir. le monde entre dans la mort.
Un chapelet de pertes. Mais le livre n'est pas larmoyant, ce n'est pas le genre de l'auteur. L'écriture est à la fois simple et raffinée, agréable malgré la puissante nostalgie qui s'en dégage, et non exempte d'auto-dérision.
Le pouvoir d'évocation de l'auteur ressuscite une période dont il est difficile d'être nostalgique mais qui est pleine de richesses.
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Je tenais à présenter ce roman et, à travers lui, son auteur qui est pour moi l'égal d'un Stefan Zweig pour la finesse de sa prose, le talent à raconter et décrire sans fioriture mais en peinture par touches vives et profondes, pour l'élégante clairvoyance, les pleins et les délié de sa plume.

Joseph Roth est un fils de l'empire austro-hongrois, il y est né dans une famille juive en 1894 en Galicie (actuellement en Ukraine ). Après la première guerre mondiale, il s'engage dans une carrière de journaliste et d'auteur entre Vienne et Berlin. Dès 1933, il s'exile en France fuyant le pouvoir nazi, séjournant à Paris, rejoignant d'autres écrivains allemands en exil dans le sud et voyage à travers l'Europe ( notamment aux Pays-Bas et en Pologne ). En Allemagne, ses livres sont brûlés. Bien qu'il parvienne à écrire encore et à être publié, sa situation et sa santé se détériorent. Il meurt dans la misère à Paris en 1939.

Il partagea avec Stefan Zweig une correspondance, une lucidité désespérée et la nostalgie du monde viennois disparu, leur "monde d'hier" européen.

Ce nom d'auteur, Joseph Roth, est associé à son célèbre roman "La Marche de Radetzky" ( paru en 1932 ) – relatant sur quatre générations d'une même famille l'empire austro-hongrois jusqu'à sa chute – bien qu'il fut un écrivain prolixe.

Dans ce roman, "La crypte des capucins" ( paru en 1938 ), nous lisons le récit de la destinée d'un membre de la famille von Trotta de "La Marche de Radetzky", un cousin dont la lignée n'intervient pas dans le célèbre titre. A la façon d'une autobiographie, nous est relatée l'agonie de l'Empire, non pas d'un point de vue historique ou guerrier mais d'un point de vue culturel, ce qui le constituait, les différents peuples, son aristocratie, ses structures sociales.
Le narrateur est un enfant gâté de la Vienne monarchique appartenant à cette jeunesse privilégiée, oisive et noctambule, insouciante et inconsciente, les » fils perdus et orgueilleux« . Mais » au dessus des verres que nous vidions gaiement, la mort invisible croisait déjà ses mains décharnées. [... ] Ce qui finissait, en effet, ce n'était pas tant notre patrie que notre empire… » Cette première phrase revient comme le refrain d'un chant funèbre dans la première moitié du récit, celui consacré à l'été 1914 avant la mobilisation durant lequel le jeune von Trotta dresse le tableau de sa société. Refrain de chant funèbre car, si la narration ne s'attarde pas sur les quatre années de conflit – Joseph Roth ne signe pas un roman de guerre – relatant en quelques chapitres le périple de son personnage prisonnier de l'armée russe, la mort qui rattrape cette jeunesse ne les fauche pas tous aux combats mais les prend bien tous en les transformant en fantômes errants d'une autre époque. Dans la seconde partie, le temps s'accélère – sans qu'il soit particulièrement marqué- puisqu'il nous entraîne jusqu'aux années 30 du IIIème Reich. C'est l'effervescence politique, féministe, artistique, l'effervescence libertaire et décalé des Années Folles, un ordre nouveau dans lequel ces jeunes – leurs titres, leurs rites, leurs familles – ne sont plus, l'attirance pour le Nouveau Monde.

Ce roman n'a rien d'épique ni de lyrique; le tragique y est intime, relaté à travers les émotions, l'amitié, l'amour, notamment filial, dont la sobre analyse portée par la narration en Je ne pèse pas sur le récit. Les pages qui reviennent sur la relation à la mère, son portrait, sont éclatantes de sensibilité, d'une justesse émouvante.
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Oui, c'était bien là ma mère. Tout se déroulait comme si rien ne s'était passé, comme si je ne rentrais pas tout juste de la guerre, comme si le monde n'était pas en ruine, la monarchie détruite, comme si notre vieille patrie continuait d'exister avec ses lois multiples incompréhensibles, mais immuables, ses us et coutumes, ses tendances, ses habitudes, ses vertus et ses vices. Dans la maison maternelle, on se levait à sept heures même après quatre nuits blanches. J'étais arrivé aux environs de minuit, la pendule de la cheminée, avec son visage de jeune fille las et délicat, frappa trois coups. Trois heures de tendre épanchements suffisaient à ma mère. Lui suffisaient-elles ? En tout cas, elle ne s'accorda pas un quart d'heure de plus. Elle avait raison. Je m'endormis bientôt, dans la pensée consolante de me trouver chez nous. Au milieu d'une patrie détruite, je m'endormais dans une forteresse inexpugnable. De sa vieille canne noire, ma veille maman écartait de moi tout ce qui aurait pu me troubler.
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J'appris ainsi que le printemps, l'été, l'automne, mon cousin Branco était un paysan dévoué à sa terre et, l'hiver, un marchand de marrons. Il possédait une peau de mouton, un mulet, une petite voiture, un réchaud et cinq sacs pour sa marchandise. Ainsi équipé, tous les ans, au début de l'automne, il prenait la route afin de parcourir quelques pays de l'ancienne monarchie. Mais quand un endroit déterminé lui plaisait particulièrement, il lui arrivait aussi d'y passer l'hiver tout entier, jusqu'à la venue des cigognes. Puis il attachait ses sacs vides sur le mulet et gagnait la prochaine gare. Il embarquait son matériel, rentrait chez lui, redevenait paysan.
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- Parfait, s'écria le comte Chojnicki, voilà mon homme. Je ne suis pas patriote, vous savez, mais j'aime les gens de mon pays. Un État complet, une patrie, c'est quelque chose d'abstrait. Mais un compatriote, c'est quelque chose de concret. Je ne puis pas aimer la totalité des champs de blé et de froment, toutes les forêts de sapin, tous les marais, tous les messieurs et dames de Pologne, mais un champ déterminé, un boqueteau, un marais, un homme déterminé, à la bonne heure ! Cela je le vois, je le touche, ça parle une langue qui m'est familière, ça - et justement parce que individualisé - représente pour moi le summum de l'intimité. Au reste, il existe des gens que j'appelle mes concitoyens même s'ils sont nés en Chine, en Perse, en Afrique. Il y en a avec lesquels je me sens une familiarité à première vue. Un compatriote véritable, ça vous tombe pour ainsi dire du ciel, comme un signe de la grâce divine. Et si, par-dessus le marché, il se trouve avoir vu le jour sur mon propre sol, alors tant mieux ! Mais ce dernier détail ne relève que du hasard, tandis que le premier relève du destin !
Il brandit son verre en s'écriant :
- À la santé de mes concitoyens ! À mes concitoyens de toutes les contrées de la terre !
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C'était là évidemment une de ces idées qu'on traite dédaigneusement de «romantique». Eh bien ! fort éloigné d'avoir honte de ces idées, j'affirme encore aujourd'hui que, ma vie durant, mes conceptions romantiques m'ont plus rapproché de la réalité que les rares idées non romantiques que je n'ai pu accepter qu'en me faisant violence. Quelle sottise que ces dénominations traditionnelles ! Veut-on leur reconnaître malgré tout droit de cité, je l'admets, mais je crois avoir remarqué à tout propos que le soi-disant réaliste occupe dans le monde une position tout aussi inaccessible qu'un retranchement de ciment et de béton, alors que le soi-disant romantique se présente comme un jardin public où la vérité trouve libre accès.
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Mais l'homme proclamait :
- Volksgenossen [Terme nazi pour camarades et citoyens], le gouvernement est renversé ! Un nouveau gouvernement populaire allemand a pris le pouvoir !
Depuis mon retour de la guerre, retour dans une vieille patrie, cousue de rides, jamais je n'étais parvenu à croire en un gouvernement quelconque, à plus forte de raison en un gouvernement populaire. Aujourd'hui encore - à la veille de ma mort, il m'est bien permis à moi, homme, de dire la vérité -, aujourd'hui encore donc, j'appartiens à une époque, en apparence ensevelie, où l'on trouverait tout naturel qu'un peuple fût gouverné, parce qu'il ne pouvait pas se gouverner lui-même sans précisément cesser d'être peuple. «Gouvernement populaire», à mes oreilles de sourd, si souvent traitées de réactionnaires, ces mots sonnaient comme ceux d'une femme chérie qui serait venue me déclarer qu'elle pouvait se passer de moi et que, afin d'avoir un enfant, elle devait, elle était absolument obligée de coucher toute seule dans son lit.
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