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EAN : 9782253035565
252 pages
Le Livre de Poche (27/06/2003)
4.21/5   76 notes
Résumé :

L'oeuvre de Joseph Roth est faite d'ironie, de dérision, d'humour et d'une infinie compassion pour ses personnages. Une grande liberté d'expression alliée à une précision méticuleuse, une extrême rigueur, en font l'un des plus grands prosateurs de la langue allemande. Il a ce goût viennois de la plaisanterie, de la pointe amère et sceptique. Mais il a aussi un côté « prophète » qui s'exprime en particulier dans Le Poids de la grâce, et qui l'apparente parf... >Voir plus
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C'est assez incroyable, cette écriture de Joseph Roth. Captivante !... à croire que je suis touchée par la grâce.
Le Poids de la grâce, c'est l'histoire de cet homme Mendel Singer. Un homme sain dans un corps sain, soit un saint homme, habité d'une croyance dont il vénère la règle. Une observance qui l'accompagne dans sa vie quotidienne et qui l'abrite, en tout cas le croit-il, de toute épreuve ou sentence divine de malédiction.
Or, il en va tout autrement et bien que l'histoire se déroule dans une apparente lucidité, c'est la simplicité même du personnage, pauvre et pieux qui donne toute sa puissance aux événements. Tout s'accomplit dans une logique irrémédiable à travers le temps et dans le désordre du monde...
A l'évidence... je tairai la fin.
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DE LA BANALITÉ DU MAL.

«Il était pieux, il craignait Dieu et n'avait rien d'extraordinaire.» Ainsi Joseph Roth nous brosse-t-il, en quelques mots d'une simplicité confondante, le portrait de cet homme du début du XXème siècle, Mendel Signer, juif pauvre originaire d'un village de ce que l'on désigna longtemps de "Yiddishland" (sorte de patrie aux contours flous des populations juives d'Europe centrale, dont il ne subsiste que le souvenir, les nazis n'ayant eu de cesse de détruire toute trace de cette judéité plusieurs fois centenaire), marié à Deborah avec laquelle il aura d'abord trois enfants. Son aîné, Jonas, est un jeune homme bâti comme un Hercule, un peu rustaud et porté sur la boisson ; le second est rusé comme un renard, ambitieux, âpre au gain et se nomme Chémariah ; son troisième enfant est une jeune fille belle comme un coeur mais qui déborde d'un amour pour les hommes confinant à la nymphomanie.
Malgré la pauvreté, une certaine médiocrité - au sujet de laquelle sa femme ne se fait aucune illusion - et un caractère relativement pusillanime, la vie de ce maître d'école en théologie (pour enfants) semble réglée comme du papier à musique, avec son lot de petits malheurs et de minces bonheurs quotidien... Jusqu'à l'arrivée, tardive, d'un quatrième enfant, un être contrefait, malingre, atteint d'épilepsie se développant aussi lentement que mal même si le rabbin local semble lui promettre un avenir des plus prometteurs : «Le peuple d'Israël comptera peu de ses pareils» assurera-t-il, avant d'ajouter, hiératique : «La douleur lui donnera la sagesse, la laideur, un coeur pur, et l'amertume, une âme tendre. de la maladie, il tirera sa force ; ses yeux verront loin et au fond des choses ; ses oreilles seront pleines de sons clairs et d'échos sans nombre. Sa bouche gardera le silence, mais lorsqu'il ouvrira ses lèvres, ce sera pour transmettre un message bienfaisant.» Cet ultime rejeton, de plusieurs années cadet de sa fratrie, s'appelle Ménouhim et devra être précieusement maintenu au côté de ses parents, exhorte le sage.

Hélas, le destin s'acharne sur le pauvre Mendel et sa famille, depuis que ce petit être malingre à vu le jour. C'est d'abord Jonas qui s'apprête, avec plaisir, à faire son service militaire et, bientôt, à songer s'engager dans l'armée du Tsar. Pendant que l'autre frère, lui aussi jugé apte, s'y refuse et parvient à fuir son pays vers la lointaine et fascinante Amérique, où il ne tarde pas à se faire un début de situation confortable. C'est, ensuite, la jeune et virevoltante Miriam que son père surprend, sans qu'elle le sache, dans les bras de l'un de ces terribles et maléfiques cosaques... La proposition du second fils tombe bien : ce sera donc en route vers le nouveau continent, même si Mendel en conçoit les pires angoisses. Mais au moins, ces cosaques non-juifs seront-ils loin derrière. Il faudra cependant confier, pour un temps incertain, cet enfant handicapé à une famille amie à laquelle les Singer confient aussi leur modeste demeure. Malgré l'amour inconditionnel de ses parents ; malgré la crainte du jugement de Dieu ; malgré les exhortations lointaines du rabbi...
Les premiers temps de cette nouvelle vie semblent se dérouler sous les meilleurs auspices et c'est à peine si Mendel Singer se soucie de la guerre qui vient d'éclater en Europe, du renversement du régime tsariste puis de la plus que probable entrée dans la danse de la nation qui vient de les accueillir, les siens et lui-même. Les répercussions en seront désastreuses, d'autant que la famille vient d'apprendre la «disparition» de l'aîné dans l'enfer de cette première guerre mondiale dévoreuse d'hommes - nul n'est cependant capable d'assurer sa mort - et, pire peut-être, la destruction dans les flammes du village où se trouvait leur maisonnée... Pas de doute : Dieu leur fait payer au prix fort cette émigration transatlantique dont ce petit dernier était absent... Et ces malheurs n'arriveront malheureusement pas seuls, au point que notre pauvre homme finira par se détourner complètement de ce Dieu qu'il craignait tant jusqu'ici.

Jusqu'au miracle, immense, impressionnant, évident...

Le lecteur cherchant quelque chose d'éclatant, de flamboyant, la preuve lumineuse que Joseph Roth était un génie, en lisant le Poids de la grâce, en sera bien certainement pour ses frais. Au passage, signalons que ce roman connait plusieurs titres dans notre langue - histoires de droit de traduction ? - le plus courant et respectueux du titre original étant : Job. Roman d'un homme simple. Pourquoi cette précision, cependant de taille ? C'est qu'en positionnant le roman de ce pauvre juif, Mendel Singer, dans la droite ligne biblique de l'histoire de Job, il donne au lecteur l'une des principales clés pour la compréhension de ce texte, dont voici les premiers mots, si semblables à ceux de Roth : «Il y avait dans le pays d'Uts un homme qui s'appelait Job. Et cet homme était intègre et droit; il craignait Dieu, et se détournait du mal.»

Nous voilà ainsi projeté dans un texte à l'écriture si modeste, si volontairement humble, au style si puissant, non par ses excès mais au contraire par sa retenue toute de finesse, qu'il en devient fabuleux. Fabuleux encore par l'attention portée à ses personnages - si l'histoire est celle de Mendel, le portrait de la mère, Déborah, est d'une exactitude, d'une force incommensurable. Au point qu'elle vole, surtout dans la première partie du roman, la vedette à son époux, très en retrait alors, apparaissant pour ce qu'il est : un être faible, un peu inconsistant, sans grande volonté ni originalité, par cette atmosphère de fin d'un monde - que l'on retrouvera, exacerbée et terrible dans son absolu chef d'oeuvre : La Marche de Radetzky -, ce récit éprouvant de la chute d'un homme. Fabuleux enfin, au sens littéral, car c'est un genre de fable, de conte universel que Joseph Roth a inventé-là.

On pourrait s'arrêter à la "morale" de l'histoire du Job biblique - et qui est déjà terrible en soi - Souvent présenté comme une explication du mal et de la souffrance. il n'en est en fait rien car le livre n'explique pas mais il constate que le mal existe. Quand bien même un homme est vraiment juste, il ressentira la souffrance comme les autres, elle ne lui sera pas forcément épargnée. C'est ce qu'on retrouve, bien évidemment dans ce roman où, sans pouvoir décider qu'il est parfait, notre pauvre Mendel semble cependant relativement sans tâche. Et, doit-on le rappeler, il craint son Seigneur tout-puissant.
À l'instar de son avatar biblique, sa maison va s'écrouler sur ses enfants, même si ce sont ici des maisons toutes symboliques - la Russie des Tsar, Une certaine Europe du passée, une certaine morale traditionnelle, la terre de ses ancêtres - qui vont, une à une, avaler sa progéniture. Mais, plus brutalement que le Job antique, Mendel va se retourner contre son Dieu, le bannir de ses pensées et de ses habitudes, comprendre que si ses amis «prient [...], c'est parce qu'ils ont peur.» Et d'ajouter «Moi, je n'ai pas peur.» Comme dans l'histoire de Job, plusieurs de ses amis vont tâcher de le faire revenir vers ce Dieu intraitable et tout-puissant. Jusqu'à, figure sublime, la réapparition de celui que l'on croyait perdu pour jamais. Notons que ce pur être de lumière interagit sur ses semblables par l'entremise de la musique, dont il est en train de devenir un maître révéré. Notons aussi que sous ses dehors très religieux, Joseph Roth savait certainement que le livre de la Bible auquel il se réfère a une portée d'autant plus universelle qu'elle met en jeu des personnages d'une tradition orale probablement très ancienne, qui ne pratiquent pas la foi israélite, qui n'évoquent pas le Peuple de Dieu, ni l'Alliance, ni Jérusalem. Est-ce là un pied de nez de Joseph Roth ou si l'on préfère, la marque d'un éloignement, d'une mise à distance, l'auteur, de naissance juive, ayant assuré s'être converti au catholicisme, qui écrivit même à Stefan Zweig que, s'il en avait la force, il entrerait dans un ordre ! Et cependant, il n'a jamais été possible de trouver le moindre document prouvant cette conversion... Mais Roth n'était pas avare de sa propre mythologie ! Par ce biais, Roth refuserait-il cependant de ne s'adresser qu'à quelques-uns d'un seul Dieu, mais à toute humanité ?

D'une ironie sans doute moins éclatante et désespérée que dans d'autres textes - on pense, par exemple, à son ultime texte "La Légende du saint buveur" -, l'humour mordant mais plein de tendresse de Joseph Roth est pourtant bel et bien présent ici. Présent à travers les portraits de ces petits juifs, ou encore de ce paysan russe dont l'épouse Déborah use des services pour se déplacer, qu'il nous fait visiter les locaux de l'administration impériale et croque les portraits de ces petits fonctionnaires tout imbus de leurs prérogatives. Ironie encore lorsqu'il évoque l'Amérique, qu'il nous présente comme une espèce de nouvelle terre promise - ce que nombre de ses contemporains croyaient - mais à l'égard de laquelle il maintient un regard plein d'une douce et prophétique critique pleine d'ambiguïté.

Plus qu'à travers cette ironie, c'est dans son douloureux et ardent sens de l'humain qu'il faut puiser le génie de cet ouvrage difficilement classable - on évoque très souvent l'écrivain Isaac Bashevis Singer dont il pourrait être l'involontaire prédécesseur dans cette communauté d'esprit et d'âme - ce roman-fable, situé entre le conte millénariste et le roman européen classique au fortes consonances de roman russe bien que tenu par un genre de "suspense" se résolvant par un parfait "happy-end" digne des textes étasuniens. «Pourtant l'on continue d'y entendre sa voix propre, celle que l'on connaît, le Joseph Roth ressassant la nostalgie de la patrie et la mélancolie du père. Il y a quelque chose d'infiniment touchant dans ce perpétuel fil rouge, dans cette manière qu'il a de le suivre et d'y revenir sans cesse ; de sorte que l'on peut bien lire aussi le poids de la grâce comme une espèce d'allégorie de la condition humaine dans la modernité naissante» explique avec une grande justesse Marc Villemain, éditeur des éditions Sillages qui a publié nombre de textes de l'autrichien.

Roman de l'enracinement, de l'humanité dans ce qu'elle a de plus fort et fragile à la fois, roman du rapport difficile au père, autant qu'au Père (la divinité), roman de mondes qui s'écroulent, de fautes qui n'en sont pas, de ce malheur qui touche indistinctement, aveuglément jusqu'au plus doux, au plus sincèrement humble des êtres, le poids de la grâce (ou, si l'on préfère : Job. Roman d'un homme simple) touche, pour peu qu'on goûte jusqu'à la lie cette perfection de forme et d'intention voulue par ce créateur hors-pair injustement méconnu, jusqu'au plus profond, au plus digne, au plus sensiblement touchant de ce qu'humilité, dignité, amour signifient. Une leçon merveilleuse que l'on peut assurément relire sans jamais l'épuiser tout à fait.
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J'aime décidément beaucoup l'écrivain autrichien Joseph Roth. Ses livres ne se ressemblent guère si ce n'est dans le talent de l'auteur de nous narrer des histoires, qui nous emportent là où nous nous doutons bien qu'il a envie d'aller, mais qu'importe, c'est si bien écrit et raconté.

Je me suis encore laissée entraîner par l'histoire de cette famille juive pauvre sous l'empire du tsar à qui il va arriver son lot d'aventures pour ne rien dévoiler.

Vraiment, un auteur à découvrir si ce n'est déjà fait ! De la très belle littérature !
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Ce roman est paru en français dans au moins deux traductions différentes et plusieurs titres "Job. Roman d'un simple juif", "Le poids de la grâce" ou encore "Job. Roman d'un homme simple". Je crois que le titre en allemand était simplement "Hiob". C'est donc l'histoire de Job, revue et corrigée pour devenir contemporaine de son auteur. le Job du roman, c'est Mendel Singer, un maître d'école juif pieux et pauvre, habitant d'une bourgade russe (un shtetl), marié et père de quatre enfants. le dernier, Ménouhim, semble désespérément handicapé, au point qu'il ne peut apprendre à parler. C'est le premier coup du sort qui s'abat sur Mendel Singer, sort qui semble néanmoins humblement accepté par la famille. On suit au cours du roman cette famille simple dont le chef semble n'avoir d'autre ambition qu'obéir à la loi de Dieu. le fils aîné de Mendel s'enrôle dans l'armée blanche tandis que le cadet, s'exile aux États-Unis, y fait fortune et y appelle sa famille. C'est l'occasion d'un tournant dans la vie jusque là assez terne de Mendel qui voyait le doute s'installer partout jusque dans la solidité de son couple. Les parents partent avec leur fille, laissant Ménouhim sur place, non sans quelque sentiment de culpabilité. Et là les malheurs s'enchaînent. On apprend que l'aîné est tué à la guerre; l'épouse meurt; la fille perd la raison... Mendel vit alors misérablement son exil, perd la foi et finalement la retrouve dans une fin à la fois prévisible et improbable. N'était-ce cette fin qui, à mon sens, détruit tout le réalisme dont le reste du récit est pétri, le roman se hisserait au rang des chefs-d'oeuvre. Reste la plume exceptionnelle de Roth qu'on ne peut qu'admirer.
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Le poids de la grâce/Joseph Roth
Joseph Roth est né en 1894 en Galicie, sud de la Pologne à l'époque et aujourd'hui région occidentale de l'Ukraine. Il est mort à Paris en 1939.
Journaliste et écrivain, il exprime notamment dans ce roman, sa nostalgie des villages juifs de cette région que l'on a souvent appelée Yiddishland.
La famille Singer est pauvre mais très unie, avec à sa tête Mendel, un père juste et probe, très croyant, craignant Dieu, pratiquant et enseignant la Torah aux enfants du village. Nous sommes alors en Russie tsariste vers 1910.
Mais ce fort lien familial va se distendre face aux vicissitudes d'une vie difficile. D'abord la relation entre Mendel et sa femme Déborah : en effet celui-ci voue une fidèle hostilité à l'égard de sa femme après lui avoir fait quatre enfants : l'aîné Chémariah qui va partir à l'aventure en Amérique, Jonas à l'armée, Miriam qui découvre la vie dans les bras d'un cosaque, et Ménouhim le dernier né, infirme et handicapé léger.
Et puis Déborah va rêver elle aussi à l'Amérique et toute la famille va partir rejoindre Chémariah devenu Sam. Sans Ménouhim. Mais l'Amérique qui semblait s'ouvrir à eux telle un paradis va leur infliger une suite de tragédies. La seconde partie du roman est d'une grande intensité dramatique et tout le talent de l'auteur est là pour nous imprégner de ce malheur. Mendel déchiré de douleur va tenter de brûler phylactères, talith et livres de prières : « je veux brûler Dieu ! …Je ne crains pas les tortures de l'enfer, je les ai déjà toutes endurées » s'écrie-t-il. Et de penser par devers lui au sujet de ses amis : « Je sais pourquoi ils prient : c'est parce qu'ils ont peur ! Moi, je n'ai pas peur. »
Et l'on assiste au combat intérieur de Mendel entre sa foi inextinguible et sa volonté délibérée de faire la guerre aux puissances célestes en ne respectant plus la Loi.
Une pensée l'obsède, celle de Ménouhim, son fils laissé en Europe à la garde d'une famille d'accueil. Et Mendel ne croit plus au miracle depuis longtemps, jusqu'au jour où….
Un roman chargé d'émotion, prenant et bouleversant.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Il croyait dur comme fer, puisque ses enfants l'affirmaient, qu' l'Amérique était la terre du Seigneur, New-York la ville des merveilles, et l'anglais la plus belle langue du monde. Les Américains étaient des modèles de santé, les Américaines, des modèles de beauté, le sport, de première importance, et le temps, plus précieux que tout. La pauvreté était un vice, et la richesse un mérite ; la vertu menait à mi-chemin sur la route du succès, tandis que la confiance en soi vous y conduisait tout droit. Pratiquer la danse était une mesure d'hygiène, et le patin à roulette, un devoir absolu ; les œuvres de bienfaisance constituaient un placement sûr, et l'anarchisme un crime. Les grévistes étaient les ennemis de l'humanité, les émeutiers, des suppôts de Satan ; tandis que les machines modernes étaient une bénédiction du ciel et Edison, le plus grand génie de tous les temps. Bientôt les hommes seraient capables de voler comme les oiseaux, de nager comme les poissons, de prévoir l'avenir comme les prophètes, de vivre dans une paix éternelle et, unis par une parfaite entente, ils construiraient un jour des gratte-ciel qui monteraient jusqu'aux étoiles. «Ah ! oui, le monde sera bien beau, se disait Mendel. Il en a de la chance, mon petit-fils ! Il connaîtra tout cela.» Et pourtant, au milieu de son admiration pour les temps futurs, toujours venait se glisser une nuance de regret à l'adresse de sa Russie natale ; et c'était pour lui un sentiment bienfaisant que la certitude de compter déjà au nombre des morts lorsque les vivants célébreraient alors de tels triomphes.
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Ce mouvement berceur calmait bien, quelquefois, le nourrisson. Mais, dans certains cas, aucun artifice ne se montrait efficace contre son besoin de pleurer, de hurler. Ses cris discordants couvraient la récitation des douze élèves - sons profanes et choquants, peu faits pour accompagner les saints versets de la bible. Déborah montait sur un tabouret et descendait le bébé trop bruyant. D'un blanc parfait, sphérique et gigantesque, son sein s'échappait bientôt du corsage qu'elle entrouvrait. Les regards des gamins, fascinés, convergeaient vers cette rondeur. Déborah avait l'air d'allaiter toute la troupe des marmots. Ses propres enfants, les trois aînés, faisaient cercle autour d'elle, avec des yeux chargés d'envie et de convoitise. Un silence absolu se faisait dans la pièce. On n'entendait plus, désormais, que les lèvres actives du nourrisson.
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Il leva la main, et elle distingua avec une quasi certitude deux doigts maigres, destinés à transmettre la bénédiction divine. Puis la voix du rabbi lui parut soudain très proche, bien qu'il lui parlât tout bas.
«Ménouhim, fils de Mendel, guérira un jour. Le peuple d'Israël comptera peu de ses pareils. La douleur lui donnera la sagesse, la laideur, un cœur pur, et l'amertume, une âme tendre. De la maladie, il tirera sa force ; ses yeux verront loin et au fond des choses ; ses oreilles seront pleines de sons clairs et d'échos sans nombre. Sa bouche gardera le silence, mais lorsqu'il ouvrira ses lèvres, ce sera pour transmettre un message bienfaisant. Cesse de craindre et retourne à ton foyer !»
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Parfois, une grande frayeur l'envahissait à l'idée que le seul moyen dont il disposait, cette récitation des psaumes, risquait d'être sans effet devant l'immensité de la tourmente où Jonas et Ménouhim allaient trouver le trépas. «Ah ! ces canons ! songeait-il, quel bruit de tonnerre ils font ! Voilà mes enfants qui brûlent tout vifs ! C'est de ma faute, c'est de ma faute ! Et moi, je ne sais chanter que des psaumes. Ce n'est pas assez ; non, ce n'est pas assez !»
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Toutes les fêtes s'étaient transformées en torture, les jours de joie en jours de deuil. Il n'y avait plus pour elle de printemps ni d'été ; à chaque saison, c'était l'hiver pour elle. Le soleil se levait, mais ne la réchauffait pas. Seul l'espoir persistait, indéracinable.
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Vidéo de Joseph Roth
Après avoir parcouru l'Ukraine pour y exhumer les grandes mémoires enfouies de l'autre Europe, Marc Sagnol y est retourné au milieu des bombardements pour en contempler les ruines.
Les images et les mots, comme une invitation au voyage, nous plongent dans des mondes évanouis, sur les traces des grands penseurs d'autrefois. Avec lui, on arpente la terre noire de l'Est à travers villes et villages, aux côtés De Balzac, de Joseph Roth en Galicie et Bucovine, de Leopold von Sacher-Masoch à Lemberg-Lviv, de Paul Celan à Czernowitz…
C'est en connaisseur de la philosophie et de la littérature que Marc Sagnol traverse les « terres de sang » abîmées par tous les chaos. Terres qui furent celles de la plus haute civilisation et des plus grands malheurs. Quelle fut la culture juive, jadis florissante en ces lieux, et qu'en a-t-il été de sa disparition dans la Shoah ? Qu'est-il advenu de ces mondes révolus ? Comment penser la tragédie d'hier au regard du drame d'aujourd'hui ? Une plongée dans les siècles pour dire que notre destin se joue d'abord là-bas. Actuelle parce que inactuelle, une grande fresque littéraire. Un récit d'exception.
Germaniste, philosophe, Marc Sagnol est l'auteur de nombreux ouvrages dont Tragique et tristesse. Walter Benjamin, archéologue de la modernité, primé par l'Académie française, ainsi que d'un film sur Paul Celan, Les eaux du Boug.
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