Némésis ou la colère divine, la vengeance divine... Encore n'y a-t-il pas que les dieux pour être en colère dans ce roman, Bucky l'est tout autant. Lui ne se vengera d'aucune façon, la culpabilité le ronge déjà tellement et lui semble se refléter dans tant de domaines.
1944, l'Amérique en guerre, Pearl Harbor a précipité l'engagement dans le conflit.
Bucky a vu ses deux amis s'engager, partir servir le pays, lui est resté en arrière, une vue trop mauvaise pour être incorporé. Il regrette de ne pas avoir été à leurs côtés sur les plages normandes, il regrette d'être celui qui reste, le "privilégié", d'une certaine façon.
Eugène Cantor, dit "Bucky", est professeur de sports et, puisque c'est l'été, responsable d'un terrain de jeux où se retrouvent quotidiennement les enfants du quartier.
Il met tout son esprit à les encadrer, à les faire jouer, plaçant honnêteté, dignité et respect au premier rang des qualités.
Mais 1944, cet été-là à Newark, ce sont les ravages d'une épidémie de polio... Elle se répand, parmi les enfants, si vite et si terriblement en cet été caniculaire.
Bucky essaye de montrer l'exemple, d'être partout, avec les enfants pour les rassurer, devant eux pour les protéger quand en plus de l'épidémie, l'antisémitisme s'invite sur le terrain de jeux, ou dans les rues de la ville - ne parle-t-on pas de faire un ghetto pour encercler la maladie -, aux côtés des familles accablées, des parents endeuillés, aux côtés de ce cet adolescent handicapé rendu responsable de tous les malheurs parce qu'il faut bien trouver un coupable.
Et Bucky est en colère, au point de remettre en question sa foi, d'en vouloir à ce dieu qui reprend la vie des enfants, qui détruit les existences...
Quasiment orphelin, élevé par une grand-mère aimante et un grand-père sévère, il ne doit pas être lâche, il doit affronter... tout... le danger de la contamination, les égarements des enfants, la peur, les cris et l'agressivité des parents, essayer d'apaiser les peurs de tous et de protéger celui qu'on accuse injustement... Mais bien sûr, il pourrait aussi s'éloigner de l'épidémie...
Roman de la peur, de la peur de ce qui est inconnu, roman du rejet de l'autre, de l'antisémitisme, du refus de la différence, roman de la colère qui explose comme compagne du deuil,
Némésis est un livre extrêmement riche dans ses thèmes.
Némésis, incarnant la vengeance fait se questionner Bucky sur la légitimité de son dieu, sur la réalité de la croyance. Pourquoi un dieu - par définition "bon" - inflige-t-il cela à ses enfants ? S'il savait... 1944... On ne peut s'empêcher de penser aux atrocités qui sont encore à découvrir dans les années qui vont suivre et au questionnement qui ne sera jamais résolu pour certains...
Némésis c'est aussi le roman de la culpabilité. Est-il coupable celui qui est exempté pour raison physique ? Est-il coupable celui qui songe seulement à fuir ce virus , à désirer un ailleurs plus tranquille ? Bucky le croit et cela le ronge...
C'est le questionnement incessant de celui qui veut respecter en toutes occasions, un code qui définirait "l'honneur", l'attitude parfaite à avoir devant les événements.
Roman également du temps qui fait vieillir les corps, roman de la vieillesse et de ses affres, regard porté sur les affronts des ans.
Roman d'une époque, l'atmosphère de ces années est rendue palpable, on s'immerge réellement dans la vie de ces quartiers, dans les rivalités, la solidarité parfois et cette peur qui recouvre tout...
La troisième partie du roman, en quelque sorte "griffe" de
Philip Roth puisqu'elle fait rencontrer celui qui a rédigé cette biographie de Bucky, ne répond finalement pas aux interrogations du jeune homme devenu quinquagénaire. Mais elle marque le lecteur quant à la destruction des existences, non pas tant par l'épidémie ou la guerre, en l'occurrence, mais par l'idée que cet homme s'est toujours faite de l'honneur, de l'attitude à avoir en ces moments hors temps… Et de ce qu'il a choisi d'être à cette période. Un retour pas forcément lucide de sa part sur sa conduite, un besoin de se punir, de s'accabler tout le temps, définitivement.
Philip Roth, dont c'est le dernier écrit, nous fait rencontrer un personnage qui plie sous la destinée, un de ceux que l'existence broie… Un de ceux qu'on oubliera difficilement.
Philip Roth nous captive, son écriture fabuleuse ne juge pas, nous laisse avec nos interrogations tout autant que Bucky avec les siennes et bien peu de certitudes.