N'oublie pas (que tu vas mourir)
Mon rapport particulier à
Philip Roth guide ce retour : je ne suis pas un grand fan. Mais je le lis, convaincu que c'est un écrivain important et toujours, en somme, à la recherche du livre qui lèverait mes retenues. En conséquence, je préfère ses romans courts car il finit hélas par me fatiguer. Me fatigue, sa propension à en rajouter en digressions techniques et à charger la structure de ses phrases, quand bien même parvient-il souvent à m'emporter et à m'éblouir.
Patrimoine est assez court et plutôt bien « tenu » (j'ose ce jugement, mesurant cependant ce qu'il a de ridicule de ma part !) parce qu'il suit assez strictement et presque chronologiquement les dernières années de la vie du père de l'auteur, depuis la découverte de la tumeur au cerveau qui accélère le processus du vieillissement, de la décrépitude, jusqu'au dernier souffle.
Écrit à la première personne, le roman présente un caractère plus intime. Mais est-ce un roman ? le narrateur porte en effet le nom de l'auteur et il n'est pas douteux que Roth parle de son père. Patrimoine a pour sous-titre « Une histoire vraie ». Je pense cependant que la vérité oscille entre le nom commun (histoire) et l'adjectif qualificatif (vraie), dans son acception littéraire plutôt que factuelle.
— Ah oui ? Tu y crois à ces trucs, toi ? Tu crois à toutes ces choses qu'il raconte ?
— Pas toi ?
— Qui sait ? Peut-être est-il tout simplement en train d'écrire un livre.
À l'issue d'une puissante scène de récurage, le narrateur écrit, en écho avec le titre : « Tel était mon patrimoine : non pas l'argent, non pas les téphillim, non pas le bol à raser, mais la merde. »
La jaquette promet au demeurant « une élégie de l'horreur ». Mais ce n'est pas ça. L'expérience du vieillissement accéléré d'un proche est une épreuve cruelle, possiblement sordide, mais ce combat est ici assez vite gagné quand la situation sanitaire se corse : « Du jour où l'on passe outre à son dégoût, où l'on ignore son écoeurement et où l'on se jette à l'eau pour échapper à des phobies aussi fortement ancrées que des tabous, la vie offre énormément à chérir. »
Nonobstant la tendresse du regard, le livre n'est pas non plus « un tombeau pour le père » qui reste — ou devient — un personnage de roman, progressivement construit comme alter-ego du narrateur qu'il renvoie à ses vanités, à sa mort certaine et peut-être pas si lointaine…
« On ne doit rien oublier. »
Le patrimoine, c'est la mémoire transmise et dont hérite
Philip Roth, dont il a fait son univers romanesque, le monde de son père, des Juifs de Newark, que l'auteur préserve de l'oubli. En cela, on est pleinement dans un roman de
Philip Roth. Et celui-ci m'a plu.