J'ai pris aussi la décision de me défaire en chacun de ces jours d'objets significatifs, symboliques de moi. Je n'ai jamais oublié ce dessin sur l'un des murs d'un couvent où je faisais une retraite. Un homme poussait dans le ravin une pleine brouette de biens. "Désencombrez-vous !" disait l'image.
Car c'est à la nudité qu'invitent ces jours courts de la nuit hivernale. Quand le temps est si serré qu'il est crépusculaire, quand les aubes sont de givre et les soirs de glace dès que le soleil a chu, quand les arbres sont graciles, les jardins déserts, les champs labourés, les haies presque effacées, on va droit au centre. Au centre des buissons, au centre de la maison, au centre de soi. (p.11)
J’ai compris que seule la mémoire est mémoire. Ce qui a besoin d’un vestige pour être fixé et rappelé est sans importance. L’important, rien ne pourra le balayer.
J 'ai pensé à ma mère, celle des derniers jours se regardant dans la glace au moment de sa toilette et disant : quelle horreur ! Jeter le miroir ou le garder précieusement c'était tout comme, c'était refuser aussi bien la course perdue d'avance après le miracle que la panique maternelle. Avoir le courage de se regarder dans le miroir et de faire face aux dégâts, sereinement. Sans tenter de les réparer. Un miroir ou une absence de miroir de sagesse. Ne plus songer à cette apparence qui préoccupe, trouble et occupe un temps précieux.
Toutefois le petit miroir ovale n'est pas le seul où se voir. Il y a ce regard des autres où nous cherchons une image flatteuse, où nous craignons de ne pas la trouver, où nous désirons si fort nous voir beaux et bons que nous multiplions les séductions.
Le dénuement final commence avec la simplification du vêtement. On supprime les collants que parfois aux toilettes on n'a pas le temps de baisser assez vite. On porte alors des chaussettes. On supprime les gaines, le talon des souliers, certaines coiffures trop compliquées, toute l'élégance incommode.
Et c 'est le corps qui le premier, avant le vouloir, impose le changement. Le corps dans ce qu'il a de plus trivial, les excréments, lance un appel. Et l'appel vient d'en bas. Il est trop tard souvent pour opérer soi-même la mise en ordre.
En voyant ces résidus de vie ― les vêtements salis des scories de la vie ―, en songeant au contenu de ces armoires qui après ma mort révèlera son côté superflu, qui racontera le rapport à moi-même et l'attachement à ma propre apparence, je me demandai quelle dose d'égoïsme, d'avidité, d'orgueil imbécile proclameraient, après moi, mes vêtements.
Se désencombrer c’est aussi alléger les autres de notre poids. Du poids de notre amour, du poids de nos dons, de nos inquiétudes mais aussi de nos jugements. … Jusqu’à aujourd’hui, je n’avais songé qu’à m’alléger moi-même du superflu mais jamais à soulager les autres de moi. Je le sais, il y a d’insidieuses manières de peser, d’essayer d’infléchir des décisions et la plus malhonnête peut-être est de peser de toute sa vertu.
se désencombrer c'est aussi alléger les autres de notre poids. Du poids de notre amour, du poids de nos dons, de nos inquiétudes mais aussi de nos jugements.
Car c'est à la nudité qu'invitent ces jours de la nui hivernale. Quand le temps est si serré qu'il est crépusculaire, quand les aubes sont de givre et les soirs de glace dès que le soleil a chu, quand les arbres sont graciles, les jardins déserts, les champs labourés , les haies presque effacées, on va droit au centre. Au centre des buissons, au centre de la maison, au centre de soi.
En déménageant, dans le double allégement d'une maison et d'une mémoire, j'ai avancé dans une nouveauté venue de l'absence d'habitudes, j'ai avancé dans l'insécurité et la clarté.
En tirant derrière moi cette porte, j'étais habitée d'une grande paix.