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Marie-Hélène Lafon (Autre)
EAN : 9782889070077
192 pages
Editions Zoé (05/05/2022)
3.89/5   9 notes
Résumé :
Dans "Air de la solitude", publié en 1945, Gustave Roud (1897-1976), rassemble des textes parus en revue à partir de la fin des années 1920. Soigneusement sélectionnés et arrangés, ponctués de photos paysannes au charme suranné, ils forment une suite au long des saisons, d’un automne au suivant. Livre de la maturité, c’est l’un des recueils les plus importants du poète, qui y formule « d’inquiètes questions sans cesse reprises », selon le mot de Philippe Jaccottet. ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
« Soyons inexplicablement heureux ».

Voilà un livre profondément aimé, aimé que j'aimerais pouvoir écrire ici en italique, aimé prononcé avec non pas le ton d'un lecteur curieux de n'importe quel texte un tantinet différent, un tantinet poétique, aimé dans le sens d'une vraie rencontre, d'un échange, de mots qui transforment, quelque chose à la limite de l'indicible, de l'informulé, pourtant bien présent en filigrane. Un air lancinant qui habite tout homme et toute femme, même entouré, un air de la solitude, une fatalité. Cet absolu de la solitude qui « n'est pas dans ces hauts lieux déserts, il est parmi les hommes ».

Un livre écrit en 1945 par le poète Gustave Roud, rassemblant des textes parus à partir de la fin des années 1920, un livre au charme suranné d'un doux sépia vert-de-gris, qui, en chantant la campagne, les paysages suisses du Jorat vaudois entourant le village de Carouge où il vécut, le dur labeur, les saisons, la maladie et l'amitié, nous parle de l'universel. Réédité en 2022 aux éditions Zoé Poche, préfacé par Marie-Hélène Lafon, regroupant pensées et observations, extraits de correspondances, journal, photos de la paysannerie suisse, ce petit livre me suit et me nourrit partout, n'importe quand, depuis quelques semaines maintenant.

Émerveillée par certaines scènes, j'ai du mal à trouver les mots pour qualifier les sensations qui pourtant éclatent en moi de façon indubitable. Comme un art de savoir associer le labeur, les douleurs, l'âpreté, la fugacité aux beautés éternelles. Marie-Hélène Lafon le dit bien mieux que moi : « je Lis Air de la solitude comme on remonterait à la source du brouillard, je lis à tâtons, je flaire des relents de vieilles douleurs et de fastes embellies ». Il réunit la temporalité à l'immortalité, le fini à l'infini, Gustave Roud joint la beauté au monde paysan auquel il est attaché et reconnaissant. Voyez ce bucheron blessé, affaibli, alité, sentez ce qui se passe dans cette chambre :

« le bûcheron en s'éveillant de son premier sommeil depuis des nuits ose enfin tourner la tête vers la petite fenêtre au fond de sa chambre. Il voit un morceau de colline lavé par les pluies, d'un vert doux un peu jaune, et sur le gris du ciel la fine gerbe de ramures d'un pommier solitaire. Une molle vague de vent tiède roule au long des murs jusqu'à son visage. Il rêve. Mars ? Avril ? Demain il rouvrira les yeux avec surprise, baigné d'une lumière pâle et froide comme la craie ; son fils, tout noir contre la fenêtre aveuglante, les lèvres aux carreaux, fera périr de sa seule haleine tout un jardin de givre qui renait sans cesse. Il fait triste et il fait bon dans cette chambre étroite ».

Ce n'est pas une poésie faite d'élans enflammés, de circonvolutions, d'excès passionnés, oh non, c'est une poésie simple, sérieuse, austère même, très singulière. Une poésie aux pâles couleurs douces. Une poésie qui sait se rendre essentielle pour rendre compte du primordial, de la plénitude du monde et de son harmonie paradisiaque. Une poésie sans excès mais au lyrisme contenu, à l'image des hommes et des femmes sur lesquels il porte le regard, ces hommes et ces femmes aux vies ouvertes comme des fleurs qu'il « cueille une à une du coeur ou du regard ».

Un recueil sur la signification même de la poésie, sa façon de la ressentir, de l'atteindre, cet « instant suprême où la communion avec le monde nous est donnée, où l'univers cesse d'être un spectacle parfaitement lisible, entièrement inane, pour devenir une immense gerbe de messages, un concert sans cesse recommencé de cris, de chants, de gestes, où tout être, toute chose est à la fois signe et porteur de signe ».

Vivre les saisons, adopter le rythme de la nature, faire l'éloge du labeur paysan, tel est le contenu des propos de Gustave Roud. En apparence, ou disons pas seulement…« le Paradis est dispersé sur toute la terre, c'est pourquoi on ne le reconnaît plus. Il faut réunir ses traits épars. » Voilà le vrai rôle du poète, la mission de Gustave Roud.

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Une rencontre étonnante le premier jour des vacances : Gustave Roud, le poète suisse du Jorat, au milieu des livres d'une librairie auvergnate ("Dans la forêt", à La Chaise-Dieu, un lieu que je ne peux que vous recommander 😉). Je me suis senti obligé de l'acheter !
Je ne connais que de loin Gustave Roud dont Jacques Chessex écrivait, quelque temps après sa mort : "C'était LE poète (...) Ce paysan avait écrit quelques-uns des plus beaux poèmes du XXe siècle. Il avait fait naître à la poésie les plus intenses de nos contemporains, les très connus et tous les autres."
Avant même de lire les textes, j'ai découvert que Gustave Roud était aussi un photographe puisque ce livre présente une vingtaine de ses clichés, qu'il avait lui-même choisis pour accompagner ce choix de textes. Et photos et textes sont vraiment en résonance.
Cette poésie de Gustave Roud demande du temps pour qu'on y pénètre. Elle nous invite à chercher des signes dans la nature pour comprendre ce que le monde VEUT nous dire. Dans la contemplation de la nature, au coeur des fêtes villageoises, dans ce qui fait vivre ce pays de semailles et de cloches, dans la description des travaux des hommes, dans les "constellations humaines" des villages, Gustave Roud décèle une présence poétique forte. Dans ses échanges avec des amis ou des écrivains, dans ses souvenirs de l'armée, dans ses lectures, et même dans la présence des absents, il trouve le sel de l'existence, ce qui nous lie les uns aux autres. Une phrase résume assez bien cela : "Ce qu'on appelle plénitude n'est pas tant peut-être une abondance qu'un accord : c'est un échange de réponses, un CONCERT où chacun ne chante que soi, mais l'oreille nourrie du chant des autres."
Et comme en écho, Jacques Chessex écrivait : "Par quels miracles l'homme en proie à la mort devient-il par un retournement paradoxal et magique plus riche de sens et de don qu'aucun vivant ? (...) Une réponse peut-être de Novalis, du fond du romantisme allemand que Gustave Roud aimait traduire : 'La poésie est le réel absolu'."


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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Je crois que seuls certains états extrêmes de l'âme et du corps : fatigue (au bord de l'anéantissement), maladie, invasion du cœur par une subite souffrance maintenue à son paroxysme, peuvent rendre à l'homme sa vraie puissance d'ouïe et de regard. Nulle allusion, ici, à la parole de Plotin : "Ferme les yeux, afin que s'ouvre l’œil intérieur". Il s'agit de l'instant suprême où la communion avec le monde nous est donnée, où l'univers cesse d'être un spectacle parfaitement lisible, entièrement inane, pour devenir une immense gerbe de messages, un concert sans cesse renouvelé de cris, de chants, de gestes, où tout être, toute chose est la fois signe et porteur de signe. L'instant suprême aussi où l'homme sent crouler sa risible royauté intérieure et tremble et cède aux appels venus d'un ailleurs indubitable.
De ces messages, la poésie seule (est-il besoin de le dire?) est digne de suggérer quelque écho.
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Qu'il est donc rapide, le glissement d'une saison moribonde vers la saison future ! Hier encore (il semble que c'était hier), ce grand pays sous le soleil sec de septembre s'abandonnait aux charrues. Elles ouvraient dans l'herbe rase des prairies de longues blessures roses d'heure en heure élargies. A la pointe du dernier sillon, Fernand, l'épaule nue et dorée comme au plein de l'été, une main sur le soc éblouissant, portait de l'autre à ses lèvres une pomme si rouge que le ciel autour d'elle avivait son bleu trop doux. Les chevaux las s'endormaient au repos et leurs crinières, en se penchant vers le sommeil, démasquaient par à-coups le ruban d'horizon, ses pans de collines, ses villages minuscules délicatement dessinés, avec le compte exact de toitures et des arbres, leurs couleurs posées côte à côte sans une bavure, à peine amorties au fond de l'air mûri comme un vin d'or.
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Le vent traîne sur le perron de ciment, avec le bruit de journaux qu'on froisse, de grosses feuilles d'aristoloches desséchées. Puis il se jette dans les rideaux bombés comme des voiles et tire de leurs plis la triste odeur des cigares éteints. Le lait fume sur la grosse nappe grise, près du pain gris et du beurre couleur d'orange. Une cuiller de plomb est fichée de biais dans un verre à côtes plein d'une gelée de fruits trouble comme un vin mort. Je reste seul dans cette salle avec le matin de novembre qui commence, comme lui sans force, inexplicablement heureux.
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J'ai traversé les campagnes de septembre, salué les semeurs de seigle, les premiers semeurs de blé. Un laboureur bâillait dans le soleil, étirant contre les collines d'énormes bras fauves, un village à chaque poing.
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J'ai cru longtemps à la toute-puissance de cette mémoire oblique par qui notre nuit intérieure, sourde et close à nos appels, soudain s'illumine et nous appelle, quand le biais d'or du rayon magique allume dans le noir le monceau miroitant des minutes ensevelies ou le seul feu parfois d'un instant d'extrême enfance. (Et même, si toute cette ombre s'obstine à demeurer ombre, un parfum aveugle, une voix sans voix s'y raniment et remontent jusqu'à nous.) Tout ce que le Temps nous a donné etn'a pu, croyais-je, nous reprendre. Nos seuls trésors.
Est-ce qu'ils nous seront peu à peu repris? Cela aussi, comme tout le reste ?
Pourtant une mémoire d'homme est quelque chose d'unique ! Cette chose qui n'est qu'à moi, qui m'assure de mon identité la plus profonde ! Le sel très pur lentement déposé par la houle temporelle... A qui recourir, s'il commence à perdre sa saveur ?
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Videos de Gustave Roud (12) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Gustave Roud
À l'occasion de la parution des oeuvres complètes de Gustave Roud aux éditions Zoé, découvrez la vie, l'oeuvre et le pays de ce grand poète suisse.
Avec Daniel Maggetti, co-directeur des oeuvres complètes de Gustave Roud, Bruno Pellegrino Ecrivain, chercheur en littérature de langue française, Claire Jaquier, co-directrice des oeuvres complètes de Gustave Roud
Retrouvez la collection : https://www.mollat.com/livres/2653451/gustave-roud-oeuvres-completes
Note de musique : © mollat [Winterreise] 7. Auf dem Flusse (On the River) © Youtue Audio Library Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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