« La puanteur des soirs de peur. Quand on existe malgré tout. Quand la mort rode, de cellule en cellule, invisible sur les coursives, invisible aux yeux des détenus. Comme les autres, je tremble, humilié comme les autres par la défaite féroce des misérables. »
Le ton est donné.
« Paul des Epinettes et moi » est comme l'indique le sous titre, un livre sur la maladie et la mort en prison.
Un témoignage de Jean Marc Rouillan, ancien membre d'action directe (groupe activiste d'extrême gauche du début des années 80) sur les conditions d'incarcération ou comment un état de droits est prêt à tout pour faire taire quelqu'un qui dérange.
Il n'est pas question par ce livre de justifier les états de service des groupes armés des années 80 (A.D. brigades rouges ou autres CCC et bande à Bader) car rien ne justifie les armes, mais juste de nous mettre face à nos faiblesses, à nos lâchetés. Face à nos responsabilités.
Faiblesse devant la médecine. le doc, c'est dieu.
Rouillan est atteint de la maladie de Chester-Erdheim (je ne connaissais pas non plus) une maladie rare. de diagnostics en diagnostics, de tumeurs en tumeurs, dieu et ses apôtres finissent par triompher :
« Restée seule, l'infirmière s'assit au pied de mon lit, à l'opposé de ma jambe opérée.
-Une maladie aussi rare, il faut le faire. A l'hôpital, tout le monde en parle. Ce midi à la cafétéria, deux médecins chantaient presque On a une Chester ! On a une Chester !... Vous vous rendez compte ? »
Un cas, un cobaye qui attend que dieu décide du temps qu'il lui reste…
Lâcheté de penser que l'état veille sur le bien être de son peuple et qu'il le protège en condamnant, en enfermant, en bâillonnant tout ce qui remet en cause le système dans lequel nous vivons alors qu'aujourd'hui encore nous avons un ministre « responsable mais pas coupable » qui a participé au fameux épisode du sang contaminé.
Lâcheté de fermer les yeux devant ces guerres économiques qui font bien plus de victimes que la plupart des conflits armés. Là, c'est vrai qu'en apparence les champs de bataille sont propres…
Faiblesse encore devant l'autorité, autorité bien souvent autoproclamée et acceptée de bonne grâce.
Le maton persécuté et harcelé par son supérieur devient à son tour tortionnaire pour le prisonnier. La faiblesse est humaine, c'est déjà ça…
C'est un livre qui parle de la condition de prisonnier politique en France. Une longueur de peine jamais égalée par le pire des criminels, juste dix mois de semi liberté avant réincarcération à temps complet pour ne pas avoir voulu renier ses idées publiquement . Pas un auteur de crimes contre l'humanité, pas un assassin d'enfant, pas un animal n'a juridiquement été traité comme lui.
Ah la sureté de l'état…
Même si l'espoir est loin on trouve quelques bouffées d'air frais et de poésie, le temps d'une semi liberté et de quelques pages.
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Il avait plu. Une pluie d'ici, brutale et sans ambition de combler la terre. Un bras à la taille de Maryam, je racontais les pluies de mon enfance, lourdes des courants atlantiques; et aussi le crachin machinal qui assombrit quotidiennement les toits de zinc de Paris.
Aux feux rouges, les rangées de piétons équipés de lunettes noires paraissaient contempler une éclipse. L’accès au silence serait-il un luxe de solitaire ? Rejoint par le volontarisme désespéré des rêveurs ?
Dehors, l’ordre règne par le renoncement. Des milliers de petits renoncements à être vraiment libre.