C'est dans les ateliers d'artistes que l'on entend certainement les opinions les plus diverses et les plus contradictoires; chacun juge selon son tempérament, et avec une égale énergie de conviction; celui-ci donnerait tout ce qu'il possède pour acquérir telle oeuvre qu'un autre ne juge même pas valoir la dépense d'un cadre; mais devant Vélazquez toutes les controverses sont oubliées; comme Bach, comme Beethoven, il est honoré, même par ceux qui ne le comprennent pas; aucune discussion ne s'élève, il trône à la première place, il n'a pas de rival.
Il est curieux de constater que l'Espagne, à son époque de déclin, a exercé sur le monde une influence égale à qu'elle celle avait au moment de sa plus grande prospérité. Cervantès comme écrivain et Vélazquez comme peintre, apportent à leur pays natal une immortalité qui rejette dans l'ombre la mémoire de personnages tels que Charles Quint, Philippe II, etc.
Les travaux de l'artiste à la cour, pendant cette période, nous ont été relatés par Pacheco, mais des détails manquent; pour les Grands d'Espagne, un peintre de portraits n'était pas une personnalité d'importance, on l'assimilait aux bouffons et aux nains chargés d'amuser, l'art devant se consacrer entièrement à l'Eglise; des documents nous montrent que Vélazquez reçut huit livres pour trois portraits dont l'un est perdu, dont les deux autres sont en Espagne: Philippe, et le comte Olivarès.
En 1625 il fut gratifié d'un présent de trois cents ducats, d'une pension de même valeur, et d'un logement; en plus de ces récompenses officielles, Vélazquez jouissait de l'estime particulière du souverain qui se rendait souvent à son atelier par les couloirs secrets du Palais.
Fonctionnaire de la cour, il avait peu de temps à lui, ne pouvait s'adonner complètement à son art, et lorsqu'à la fin de sa vie, il fut nommé grand maréchal du Palais, chargé d'organiser les missions à l'étranger, on ne se souciait pas de sa carrière artistique, son atelier lui était un refuge où il pouvait rarement oublier ses fonctions; s'il n'avait pas été obligé de sacrifier ainsi la meilleure partie de ses quarante années, le monde posséderait une vingtaine de tableaux de plus, dignes de figurer à côté des Meninas et du Portrait du Pape Innocent X; il aurait certainement trouvé ailleurs des sujets plus propices à son inspiration que ceux qui lui étaient imposés.
Du reste, c'est là une vérité qu'il parait puéril d'affirmer; une nation vaut par ses artistes, par ses penseurs, par ses écrivains, par ses hommes de génie; cette épithète s'applique peu communément à des gouvernants ou à des militaires! une bataille, victoire pour les uns, défaite pour les autres, est une date dans la chronologie historique, tandis qu'une oeuvre d'art ne fait pas qu'illustrer un jour, un mois, une année, elle se continue dans la gloire, elle va d'un siècle à l'autre, patrimoine de l'humanité.