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Critique de blanchenoir


"Il est très difficile de voir qui est Artaud. Il y a plusieurs Artaud. C'est une grande nuit, pleine d'éclairs. On voit une continuité dans sa pensée, dans son imagination. Il y a des pages très claires, et d'autres, pleines de fulguration, de tempête. Il est encore difficile de le voir avec exactitude. Il faut le démystifier encore et toujours. Dans la poésie de ce nouvel Hölderlin, les mots ont un autre poids, une autre gravitation ; ils ardent et brûlent, eau magnifique qui transforme en cendre ce qui n'est pas vérité nue et intense.
(...)
Artaud, qui est la négation de la littérature, n'est pas satanique, mais uniquement une plaie qui gémit, qui vocifère dans son agonie à communiquer."

Luis Cardoza, dans un entretien avec Jean-Claude Fosse et Gaston Ferdière.

Je remercie babelio et les éditions Séguier de m'avoir offert ce livre riche, très éclairant et passionnant, Artaud et l'asile. André Roumieux, ancien infirmier psychiatrique et Laurent Danchin, spécialiste international de l'art brut, nous proposent un ouvrage, qui est aussi un voyage, constitué de trois parties : d'abord, André Roumieux nous donne à lire une biographie quasiment médicale d'Artaud. le poète y est présenté avec ses souffrances, ses maladies. Sa folie ? Dans un second temps, un ensemble de lettres dont certaines inédites nous est proposé. La plupart destinées au docteur Ferdière. Enfin, les auteurs associés à Jean-Claude Fosse conduisent plusieurs entretiens dont certains sont consacrés à la question de la psychiatrie et de l'électrochoc aujourd'hui. Aussi, divers documents illustrent ce livre (photos d'hôpitaux, de la famille ou d'amis d'Artaud, cartes postales, suivis médicaux...) et ce qu'ils nous donnent à voir permet une respiration au coeur d'une lecture parfois déroutante et angoissante. En effet, lire Artaud et l'asile, c'est entrer dans un monde de l'enfermement et de la souffrance...

Souffrances infinies d'Antonin Artaud. Acteur, dessinateur, homme de théâtre, Artaud est essentiellement un poète, un écorché vif qui par le verbe, parvient douloureusement à un hors de soi libérateur. Comme Nietzsche et Jim Morisson, il y a chez Artaud une soif d'absolu déterminante. Elle le conduit au Mexique « pour retrouver une Vérité qui échappe au monde de l'Europe et que sa race avait conservée. » Aussi et surtout, ce livre aborde la maladie, la folie d'Artaud. Paranoïaque, délirant à l'extrême, il se sent constamment persécuté, se croit empoisonné et connaît d'énormes souffrances psychologiques et physiques. Les électrochocs lui font le plus grand mal ; il connaît la chronicisation qui est la mort de l'esprit. La conscience d'Artaud se meurt, et meurtrie, elle ne peut plus rien. Devant la mort de l'esprit, le génie qui renie le corps étouffe et pousse des derniers cris... Vociférations, pulsions d'une vie qui survit, mots profondément glaçants et affolants.
Ami de Robert Desnos, Artaud pourra rejoindre Rodez et être suivi par le docteur Ferdière. Aliéniste réputé, collectionneur, engagé politiquement et cherchant à montrer la capacité créatrice contenue dans la folie, il sera un exemple pour certains, un nazi pour d'autres. L'intérêt du livre est de restituer au plus près le travail et la personnalité de Ferdière sans entrer dans la polémique. du coup, beaucoup de questions se posent... Y a-t-il eu un intérêt de l'électrochoc pour Artaud ? Sans les électrochocs, l'écrivain aurait-il recommencé à traduire et à écrire ? Proche de son malade mais aussi de Desnos, de Dubuffet et d'autres amis d'Artaud, Ferdière donnera d'emblée une certaine liberté à son protégé. Une chambre à lui, plus de nourriture, du tabac à volonté, des sorties autorisées hors de l'hôpital pour des rencontres... le livre pointe également le problème de la sous-alimentation dans les asiles sous l'Occupation. En effet, grand nombre d'internés sont morts de faim. Connu et apprécié, Artaud sera sauvé. Sauvé aussi par ses amis qui feront plusieurs manifestations de solidarité afin de récolter pour lui de l'argent : Adamov, Dubuffet, Paulhan, Queneau, Bataille, Michaux, Prévert, Picabia, et beaucoup d'autres...
Pour finir, je dirai que ce texte m'a appris beaucoup concernant le monde psychiatrique et plus largement, sur une société qui enferme et fait taire ce qui lui fait peur. Dans les derniers entretiens, je me suis sentie mal à l'aise devant le fait qu'aujourd'hui encore, l'électrochoc est apprécié et pratiqué, alors que certains psychiatres privilégient l'activité et l'échange des malades. de plus, j'ai découvert Chomo et Ferdière que je ne connaissais que de nom.
Ferdière qui comme Artaud ,savait que la « folie » ou l'absence de ce qu'on appelle la normalité pouvait être intimement liée à la création et à l'art...
Folie créatrice... La folie ?


« Je suis un fanatique, je ne suis pas fou. Je ne veux plus de l'ordre moderne qui ne nous mène qu'au chaos. »

Antonin Artaud.


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