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Critique de LesMotsPourRever


Difficile de résumer ce livre parce qu'il se déroule sur trois temps qui s'entrecroisent, en faisant presque un récit à trois voix. Presque, parce que même si l'époque change, le narrateur reste le même.

Il y a d'abord Andrew à neuf ans, quand il prend le racisme de son père, Cédric, en pleine figure. Alors qu'il est venu chercher son fils après son entraînement de hand, Cédric renverse Ernest, le gardien du stade, et poursuit sa route sans s'arrêter, sans même se soucier de savoir si la victime respire encore. Andrew a honte des actes de son père mais que peut faire un gamin de neuf ans ? Il ne parvient pas à oublier, à surmonter ce traumatisme et va jusqu'à arrêter le hand pour ne plus avoir à croiser Ernest, au grand dam de son père. Ce père qui ne le comprend pas, qui ne supporte pas que son fils soit fétiche, malingre, mais surtout bien plus intelligent que lui. En quête de reconnaissance paternelle même s'il y a pas mal d'incompréhension entre eux, Andrew va jusqu'à rendre volontairement de mauvais devoirs afin d'être sûr de décrocher de mauvaises notes.

Il y a ensuite Andrew a dix-sept ans, qui se fait désormais appeler Drew. Fan de métal, joueur de guitare et amateur de jeux vidéos, le fossé entre son père et lui est plus immense que jamais. Heureusement qu'il peut compter sur le soutien de sa mère Cindy, même si l'adolescence les a un peu éloignés. Il y a aussi Mariji, cette grand-mère trop jeune qui accepte mal les responsabilités. Mais il y a surtout Sky, belle et douce Sky qu'il a rencontré l'été de ses treize ans et qui est devenue par miracle sa meilleure amie. Comme lui Sky cherche l'attention de son père et comme lui elle ne parvient pas à l'obtenir.

Et puis il y a ces quelques pensées de Drew, qui semble perdu en pleine hallucination et qui nous laisse entrevoir quelque chose d'horrible, quelque chose qui sonne presque comme un cauchemar. J'ai été un peu déstabilisée par ces passages à la première personne alors que tout le reste se déroule à la troisième. Les propos sont décousus parce qu'il stresse, parce qu'il panique, et les descriptions, les métaphores qu'il fait nous embrouillent, nous agacent et nous donnent envie de lui crier d'arrêter de délirer et d'être plus clair. Je les trouve presque trop courtes mais surtout trop ponctuelles, trop éparses.

Les trois récits s'entremêlent pour mieux nous dépeindre la vie d'Andrew, pour mieux nous faire comprendre comment il en est arrivé là. Ce découpage peu classique m'a d'abord agacé. Je ne voulais pas laisser le petit Andrew pour suivre le quotidien de Drew, je ne voulais pas partir en plein milieu un épisode qui me semblait inachevé. On finit néanmoins par s'y faire, par prendre le rythme. Au fil des pages les moments que nous offre l'auteur sont suffisant pour nous brosser la façon dont Andrew a été élevé et surtout le milieu dans lequel il a grandi. La frustration s'en va et laisse place à une attente, une appréhension qui ne fait que grandir à chaque fois que reviennent ces lignes en italiques.

La collection Exprim est connue pour ses romans forts et nous offre ici un récit amer, bourré de regrets et de non-dits, d'incompréhension, où deux générations ont du mal à communiquer. Les fragiles n'est pas et ça ne sera jamais un coup de coeur pour moi, sans doute parce qu'il sonne atrocement juste. La narration est fluide, les dialogues crédibles, mais il y a surtout ces tensions dans les interactions, ces mots que les personnages ne disent pas mais qu'ils meurent d'envie de crier. Il y a cette incompréhension entre eux, ce silence qui en devient presque assourdissant. Que ce soit Sky, Drew, Cédric ou Cindy, ils sont tous incapables d'exprimer leurs sentiments, de communiquer réellement. Si Cindy parvient à sortir de sa coquille et à prendre son envol, Drew et Sky se retranchent derrière ces murs qu'ils ont dressés depuis bien longtemps, qui les protègent du reste du monde mais surtout qui les isolent.

Ce qui me plaît dans Les fragiles c'est qu'il n'y a pas de véritable méchant, pas d'ennemi. Il n'y a que la haine de Cédric, cet homme qui a été élevé comme ça, dont l'esprit a été façonné par ses propres parents et par ses fréquentations. Un esprit étriqué où la différence est synonyme de rejet. On parle peu en littérature jeunesse de cette haine quotidienne, de ce racisme, de ce sexisme qui ne s'explique pas, qui est juste là, ancré profondément dans un être. Un être qui pense avoir raison parce que ses parents étaient déjà comme ça. Pour lui c'est ça la normalité. Je n'ai cependant pas réussi à lui pardonner sa façon d'être, je n'ai pas réussi à tolérer son racisme, sa violence, son machisme, ce qui m'a rendu totalement imperméable à ce personnage. L'auteur nous donne toutes les explications, toutes les clés pour que l'on comprenne le point de vue de Cédric, et ça marche. A défaut d'accepter son racisme, on le comprend. Mais ça n'a pas suffi pour que je m'attache à lui. Il ne me répugne plus, il m'indiffère.

Je n'ai pas été déçue par ce livre mais en le refermant j'avais dans la bouche l'amertume des regrets. Je n'ai pas pu m'empêcher de me dire « et si Cédric avait accepté d'écouter ? Et si Andrew avait trouvé le courage de parler ? ». Il y a tellement d'incompréhension entre ces personnages ! J'ai même, à un moment, espéré que Sky change la donne, qu'elle devienne pour Drew une raison de se battre, de se lever contre ce père à l'esprit étroit, qu'elle lui donne sinon l'espoir au moins la foi. Malheureusement les sentiments ne se commandent pas et si Drew se voit bien passer sa vie aux côtés de Sky, elle n'a que son amitié à lui offrir. Impossible donc de ne pas se prendre d'affection pour Drew, de ne pas se demander quand est-ce qu'on lui accordera enfin le bonheur.

Les fragiles est un roman qui ne cherche pas à enjoliver le monde et cela peut déplaire à certains. N'attendez pas une fin rose bonbon entrecoupée d'arc-en-ciel. La vie d'Andrew a mal commencé et malheureusement ça ne s'arrangera pas. Un récit intelligent et fort mais à ne pas lire si vous avez déjà le vague à l'âme.
Lien : http://lesmotspourrever.com/..
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