Citations sur Rouge Bala (10)
Avant, elle courait jusqu'ici avec sa grande soeur Lali, et Tarun, son petit frère chéri. Ils faisaient la course, Bala gagnait souvent.
Puis Tarun construisait des palais de terre pendant que ses soeurs scrutaient la rivière. Elles se racontaient les histoires de ce prince qui viendrait les chercher, un jour, sur son bateau de turquoise et d'or. Il les emmènerait. Ensemble, ils vivraient des aventures fabuleuses tout autour du monde.
C'était avant. Avant que Lali ne quitte la maison, au début de la mousson.
Bala pétrit une boule de terre rouge plus grosse qu'une mangue.
Lali, sa grande soeur chérie, est allée vivre chez son mari.
C'était un mercredi, un jour faste, propice, le jour de naissance du Dieu Krishna. Bala s'en souvient bien... la famille avait choisi cette date pour le mariage de sa soeur Lali.
Lali ne mettrait plus de robe d'enfant, elle ne jouerait plus au cricket, elle avait treize déjà. Bala trouvait que treize ans était un âge normal pour jouer au cricket, mais la famille disait qu'à treize ans il fallait se marier.
Alors Lali avait noué un sari autour de son corps.
Assise contre un banian aux racines immenses, elle laisse ses yeux noirs courir après les reflets du soleil sur l'eau. Elle pense à Lali, qui vit en ville, et qui lui manque.
- Dada... écoute-moi. Je sais déjà compter, je t'aiderai à l'atelier. Et je te lirai les histoires de Krishna et de l'éléphant sacré. Dada, tu m'as donné la vie, laisse-moi choisir ma route, je t'en prie...
Sa mère la regarde, elle, Bala, sa fille à peine éclose, ses boutons de seins qui poussent sous sa chemise, et cette ride qui creuse déjà son front entre ses sourcils. Elle repense à ce jour où sa propre mère l'a menée à celui qui allait devenir son mari. Elle avait douze ans, elle aussi.
La femme sourit. Elle fait signe à Bala de s'asseoir près d'elle.
- Je ne vogue pas, tu sais, je fuis.
Devant les yeux écarquillés de Bala, la femme continue:
- Mes parents m'ont mariée très tôt. Ils étaient riches, j'étais jolie, ils savaient que je trouverais un époux plus riche encore. Ils ne m'ont jamais appris à lire, à écrire ou à compter, à quoi bon? Mais je sais tout du chant, de la danse et de l'art de draper un sari. Au début, mon mari était gentil. Je lui obéissais, et les jours passaient. Il voulait un fils, mais rien n'arrivait. Il a commencé à crier, il me traitait de ventre vide. Je pleurais. Je n'avais personne à qui parler, ma famille vivait si loin. Un jour, il a commencé à me battre...
Bala se gratte le nez. Si son amie le dit, ce doit être vrai. Oui, parfois, sûrement, un homme et une femme peuvent s'aimer. Pour être sûre, Bala a décidé: elle choisira elle-même son mari. Et, pour être plus sûre encore, elle le choisira quand elle saura bien lire, écrire et compter. Pas avant.
C'était un mercredi, un jour faste et propice. Le soleil s'était levé sur Lali enfant. Le soir, la racine des cheveux de Lali était teinte de vermillon.
Sur son front brillait un point, un point rouge. Un signe de protection, de dévotion, un signe de soumission.
Bala n'était pas certaine d'aimer les mercredis.
Assise sur une marche, Bala avait dénoué ses sandales trop serrées en regardant Lali se couvrir la tête d'un bout de son sari devant les hommes étrangers, comme le font les femmes. Bala avait frotté ses chevilles meurtries, elle se demandait ce qui avait changé depuis la veille.
Bala pétrit une boule de terre rouge plus grosse qu'une mangue. Lali, sa grande soeur chérie, est allée vivre chez son mari.
Bala enfonce ses doigts dans l'argile, elle façonne la boule en la faisant rouler sur l'herbe. Lali n'est plus là, et Bala ne sait pas pourquoi ceux qu'on aime doivent si vite partir.