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Citations sur A l'ombre des dictatures : La démocratie en Amérique latine (8)

Alfonsín va d'abord tenter de démocratiser les syndicats, afin d'assurer sinon un minimum de transparence et la compétition interne que le « verticalisme » péroniste ne permettait pas, du moins une certaine représentation des minorités. Pour les indéracinables leaders des grandes fédérations sectorielles, il s'agit d'une véritable déclaration de guerre, ou, pour le dire dans le langage syndical, d'une « agression caractérisée contre la classe ouvrière et ses conquêtes ». Par voie de conséquence, le gouvernement radical devra affronter rien moins que treize grèves générales d'une journée ou plus en moins de six ans … Et en l’occurrence, même si les problèmes salariaux ont joué un rôle certain dans la réussite de ces mobilisations, la CGT péroniste poursuivait essentiellement des buts politiques.
Le patronat industriel et agricole n'a pas tarder à s'élever contre la politique fiscale, pourtant modérée, d'un gouvernement jugé peu compréhensif à son égard. Il est vrai qu'en septembre 1983, à quelques semaines des élections, une centaine d'institutions patronales, et non des moindres, de la Société rurale à la Bourse de commerce, avaient publié un communiqué d'appui à la dictature et à la guerre antisubversive.
Quant à l’Église, elle a, aussitôt rétablie la démocratie, pris ses distances d'avec un gouvernement qui se déclarait hostile aux « vainqueurs d'une juste guerre contre le marxisme athée ». Pour ses plus tonitruants prédicateurs, ce gouvernement laïque et sans Dieu avait partie liée avec la subversion, la délinquance et la « pornographie ». D'autant qu'il se refusait obstinément à confier l’Éducation nationale à un ministre choisi par la hiérarchie, et qu'en outre il engageait des réformes destinées à moderniser la patriarcale société argentine. La loi sur la divorce, le projet de loi sur le partage de l'autorité parentale seront condamnés sans appel par une Église qui était pourtant restée silencieuse face aux crimes contre l'humanité commis par la dévote dictature.
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Les missions très larges assignées aux forces armées dans le cadre de la réorientation interne issue des années soixante, théorisée plus tard en « doctrine de la sécurité nationale », ont suscité la majorité des dictatures sud-américaines. Or, il faut bien reconnaître que rares ont été les États où des législations post-autoritaires qui ont dessaisi les militaires de cette mission de sécurité intérieure qui aura tout fait pour légitimer l'usurpation politique. Seul le Salvador, après douze ans de guerre civile sans vainqueurs, et l'Argentine, qui a connu sept ans de terrorisme d'état et cinquante ans de domination prétorienne, sont allés très loin dans ce domaine.
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Les dictatures n'ont pas seulement laissé des traces dans la vie politique ou dans l'organisation de l'économie. Elles ont aussi profondément marqué le tissu social dans la mesure où elles ont durablement affecté la vie quotidienne. C'est ainsi que les régimes « anti subversifs » des années 70 et 80 ont innové en pratiquant « l'invasion du public dans la sphère privée ». Dans la lutte « totale » (et donc totalitaire) contre l'ennemi révolutionnaire, tout alors est politique : les livres, bien sûr, mais aussi la musique, les vêtements, le corps. L'existence personnelle se politise aussi quand un regard, un salut, peuvent être mortels. En septembre 1973, à Santiago du Chili, un jeune architecte est arrêté et exécuté pour port de barbe suspecte. Il n'a pas été le seul. Les militants du Mouvement pour la gauche révolutionnaire (MIR), au même moment, pour échapper aux rafles, "militarisaient leur tenue ". Ils arboraient cheveux courts, joues rasées et complet veston.
Mais le corps n'est pas seulement objet d'autodiscipline. Il est victime d'un autre trait de politisation, terrible et inavouable celui-là, la torture. Comme le signale un psychanalyste, lorsque l’État touche au corps, il dévient illégitime, car il anéantit la loi et partant abolit sa nature d'agent de réalisation du droit. Cette violation d'un interdit qui définit aussi la « civilisation », c'est-à-dire l’auto-contrainte, est donc inavouée. C'est pourquoi le tortionnaire nie représenter l’État. C'est pourquoi aussi la torture est décentralisée, clandestine, quasi-privatisée. C'est pourquoi enfin les corps victimes de la terreur d’État ne sauraient réapparaître – d'où le sinistre phénomène des « disparus ».
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L'Argentine, comme toujours, se singularise en donnant en même temps une impression désespérante de déjà-vu. Les militaires du Proceso de « réorganisation nationale » vont, comme leurs prédécesseurs, quitter le pouvoir en catastrophe. Mais cette fois, le bégaiement de l'histoire a de quoi surprendre. Jamais, en effet, un régime fort, caractérisé par son extrême violence, n'aura aussi bien réussi à se mettre en déroute : le sombre bilan de sept années d'omnipotence et la discorde au sein du pouvoir martial ont rendu inévitable la retraite peu glorieuse des sauveurs en uniforme. Les « réorganisateurs » ont cumulé la débâcle économique et la déroute militaire dans l'Atlantique Sud, les règlements de comptes interarmes et le terrorisme d’État. Le coup d’État purificateur de 1976 a finalement sombré dans la criminalité décentralisée … Le projet de construire une société hiérarchique et sûre, régulée par le marché, a en outre conduit le pays à la banqueroute. L'inflation, en 1982, a dépassé 300%, le PIB a reculé de 10% entre 1980 et 1983. Le revenu par tête a baissé de 15% par rapport à 1975, la production industrielle de 25%. Le tissu économique s'est appauvri, les structures sociales se sont « tiers-mondisées ». Grâce à un dollar bon marché et à l'ouverture économique, la dette extérieure a bondi de 7 milliards de dollars à 40 milliards et n'a alimenté que la spéculation et l'achat d'armes. Une économie sale a accompagné la « guerre sale ».
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D'un côté se place l'origine légale et majoritaire du pouvoir, conforme aux règles constitutionnelles. En face - on pourrait presque dire au-dessus parce qu'il s'agit d'une légitimité supérieure en terme de rapports de force, ou au-dessous tant elle est implicite et sous-jacente, parfois même souterraine -, s'érige une légitimité élitiste de nature socio-économique dont la forme de justification fait appel à l'histoire ou à la tradition. Les partisans du pouvoir aux plus capables dénoncent ceux du pouvoir aux plus nombreux. L'élite ne reconnait le principe de majorité que lorsqu'il répond à ses intérêts. Toute politique qui pourrait à terme mettre en cause les relations de domination entraine l'illégitimité, quel que soit le niveau de soutien électoral de l'exécutif constitutionnellement en place.
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La démocratie représentative est une création culturelle continue caractérisée, selon Samuel Huntington, par un « haut degré de créativité et d'élaboration dans l'institutionnalisation des pratiques et des procédures politiques ». Les régimes constitutionnels pluralistes reposent sur la stylisation et la codification des luttes politiques. Les campagnes électorales, les rites parlementaires sont l'expression symbolique de rivalités qui pourraient tout aussi bien être violentes. Mais le jeu politique démocratique est justement marqué par « l'imposition de règles strictes, le maintien d'un cadre spatial et temporel à l'intérieur duquel les acteurs doivent se tenir », signalait Raymond Aron. Car, ajoutait-il, « la tentation est forte pour ceux qui sont au pouvoir de ne pas s'exposer au risque de le perdre et pour ceux qui en sont exclus d'utiliser les moyens légalement interdits pour s'en emparer ». Et cette tentation constitue l'horizon maudit du mystère démocratique, qui porte les acteurs à s'affranchir des butoirs institutionnels. Car le pouvoir absolu est absolument naturel et la démocratie un fragile miracle culturel.
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Le gouvernement représentatif successeur peut choisir soit d'affronter les bénéficiaires et les soutiens du régime autoritaire, soit tenter de les séduire ou d'obtenir leur neutralité. Au Chili, après la crise économique de 1982-1984, les entreprises retrouvèrent le chemin de la prospérité. Le retrait de l’État, la mise en œuvre des politiques financières et sociales favorables au marché ne manquèrent pas de rapprocher de la dictature un patronat violemment hostile à l'Unité Populaire. C'est ainsi qu'au retour de la démocratie, en 1990, deux des plus grandes associations patronales décorèrent Pinochet « pour services rendus au pays ». Il est vrai qu'un chilien sur quatre pense alors que la dictature de Pinochet aura assuré le meilleur gouvernement du Chili au XXe siècle.
La proximité et la connivence entretenue par les responsables économiques avec la dictature ont pesé sur tous les gouvernements de la Concertation : si l'on veut assurer la stabilité, il faut prendre garde à ce que le patronat, sceptique à l'égard de la démocratie et farouchement opposé à la gauche, ne soit pas mécontenté. Le modèle économique mis en place par la dictature ne sera donc pas remis en question. On ne touchera en rien aux grandes orientations du régime antérieur. Les privatisations seront maintenues, et même poursuivies dans les infrastructures. La fiscalité restera parmi les plus légères du continent. Le nouveau système de retraite par capitalisation individuelle, qui laisse sans couverture une importante partie de la population dans un pays de fortes inégalités, reste en vigueur, de même que la législation du travail qui limite le droit de grève et la syndicalisation.
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De l'autorité sociale démesurée, inscrite dans les configurations traditionnelles, à la privatisation du pouvoir, il n'y a qu'un pas. Au début du XXe siècle, on mettait aux fers les ouvriers turbulents dans les mines chiliennes et les prisons particulières n'ont pas disparu sur tous les grands domaines archaïques ou modernes. On a découvert en 2001, au Brésil, des « travailleurs esclaves » gardés par des milices armées sur certaines fazendas, certes isolées mais appartenant à des hommes d'affaires en tout point modernes. Le secrétariat d’État fédéral aux Droits de l'homme s'est évidemment donné pour priorité l'éradication de ces situations de non-droit. Mais plus fréquemment, en Amérique Latine, ce sont les dettes inextinguibles contractées à la boutique patronale, ou la monopolisation des terres vouées à l'agriculture vivrière qui imposent une telle variété de « travail forcé » et permettent d'obtenir une main d’œuvre nombreuse et stable sur les plantations. Ainsi des entreprises produisant pour le marché national ou international peuvent fonctionner, au XXIe siècle, sans recourir au marché libre du travail.
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