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Critique de Patsales


Bonne idée que cette édition des deux premiers livres seulement d'  « Émile ». Non seulement on évite bien des prescriptions largement dépassées (pour rester poli) telles que l'éducation de Sophie mais on reste au coeur du projet de Rousseau pour qui « le plus dangereux intervalle de la vie humaine » se situe entre 0 et 12 ans.
Alors, coupons court aux objections habituelles. Rousseau serait disqualifié pour avoir abandonné ses enfants. Mais l'idée s'impose dès les premières pages: éduquer est une mission impossible. C'est une mission à plein temps (on n'éduque qu'un enfant dans sa vie), pour laquelle il est hors de question d'être rémunéré, et qui nécessite d'être à peine plus âgé que son élève. Rousseau tente d'ailleurs de faire d'Emile un orphelin (parfois il oublie et un père s'immisce sporadiquement), bref, ce n'est pas le problème. Émile et son précepteur sont des êtres chimiquement purs, hors de toute réalité. Et pourtant, ça fonctionne, et on se surprend à frénétiquement souligner des lignes à peu près à chaque page.
Rousseau a une vision très juste de l'enfance. S'il convient, avec Descartes, qu'elle est le sommeil de la raison, il est le premier à comprendre sa nécessité : pour être homme, il faut être enfant, aussi longtemps que nécessaire, aussi heureux et turbulent que possible. Seul le polisson saura devenir sage.
Les leçons de Rousseau tiennent finalement en peu de maximes.
Un enfant ne doit être ni l'esclave des adultes, soumis à des injonctions pour lui incompréhensibles, ni un tyran à qui on offrirait le monde sur un plateau. Certes l'enfant a besoin des plus grands et il en est dépendant. Mais la mission de l'éducateur est justement de circonscrire cette dépendance aux choses, car elle n'est pas une sujétion. Donc d'apprendre à l'enfant à n'avoir aucun désir qu'il ne puisse réaliser sans aide. Et inversement de ne jamais l'empêcher de réaliser ce qui lui tient à coeur. Veut-il patauger dans la neige? Il apprendra par lui-même que le plaisir peut se payer par 5 jours au lit. Préfère-t-il casser des carreaux? On lui donnera une chambre sans fenêtre.
Deuxième précepte : ne pas chercher à le rendre raisonnable, ne rien lui apprendre que ce qu'il désire savoir au moment où cela lui est nécessaire. Il faut avoir faim pour apprendre comment rentrer chez soi en s'orientant par rapport au soleil. Chaque enfant est un Robinson qui réapprend le monde pour subvenir à ses besoins en toute indépendance.
Rousseau lui-même a eu une enfance compliquée et rebelle et c'est sans doute d'avoir totalement occulté la part du hasard dans la formation de l'individu qui peut surprendre aujourd'hui. Comme si Rousseau reniait Jean-Jacques, comme s'il déniait à sa vie d'avoir été telle parce que sa mère était morte, que son chemin avait croisé telle ou telle personne à tel moment. Émile et son précepteur ont fait disparaître toute contingence et l'enfant grandit sous la seule autorité de la nature, premier homme d'une nouvelle humanité triomphale débarrassée des aspérités de l'Histoire.
Ah, c'est sûr que le gamin du XXI° siècle n'a pas du tout été élevé dans une perspective rousseauiste. Nul d'entre nous n'est capable d'atteindre l'absolu dévouement du précepteur idéal. Au moins nos enfants auront-ils échappé au poids de la perfection parentale, c'est déjà ca.
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