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Critique de sMalandrin


« Je voudrais signaler ici une curieuse crise que j'eus à l'âge de dix-neuf ans, alors que j'écrivais La Doublure. Pendant quelques mois j'éprouvai une sensation de gloire universelle d'une intensité extraordinaire. le docteur Pierre Janet, qui m'a soigné pendant de longues années, a fait une description de cette crise dans le premier volume de son ouvrage, de l'Angoisse à l'Extase (page 132 et suivantes) ; il m'y désigne sous le nom de Martial, choisi à cause du Martial Canterel de Locus Solus ».



Voici le texte qu'on trouve dans le livre du docteur Pierre Janet qui soigna Roussel :

« On sent à quelque chose de particulier que l'on fait un chef-d'oeuvre, que l'on est un prodige : il y a des enfants prodiges qui se sont révélés à huit ans, moi je me révélais à dix-neuf ans. J'étais l'égal de Dante et de Shakespeare, je sentais ce que Victor Hugo vieilli a senti à soixante-dix ans, ce que Napoléon a senti en 1811, ce que Tannhauser rêvait au Venusberg : je sentais la gloire... Non, la gloire n'est pas une idée, une notion que l'on acquiert en constatant que votre nom voltige sur les lèvres des hommes. Non, il ne s'agit pas du sentiment de sa valeur, du sentiment que l'on mérite la gloire ; non je n'éprouvais pas le besoin, le désir de la gloire puisque je n'y pensais pas du tout auparavant. Cette gloire était un fait, une constatation, une sensation, j'avais la gloire... Ce que j'écrivais était entouré de rayonnements, je fermais les rideaux car j'avais peur de la moindre fissure qui eut laissé passer au dehors les rayons lumineux qui sortaient de ma plume, je voulais retirer l'écran tout d'un coup et illuminer le monde. Laisser traîner ces papiers, cela aurait fait des rayons de lumière qui auraient été jusqu'à la Chine et la foule éperdue se serait abattue sur la maison. Mais j'avais beau prendre des précautions, des rais de lumières s'échappaient de moi et traversaient les murs, je portais le soleil en moi et je ne pouvais empêcher cette formidable fulguration de moi-même. Chaque ligne était répétée en des milliers d'exemplaires et j'écrivais avec des milliers de becs de plume qui flamboyaient. Sans doute, à l'apparition du volume, ce foyer éblouissant se serait dévoilé davantage et aurait illuminé l'univers, mais il n'aurait pas été créé, je le portais déjà en moi... J'étais à ce moment dans un état de bonheur inouï, un coup de pioche m'avait fait découvrir un filon merveilleux, j'avais gagné le gros lot le plus étourdissant. J'ai plus vécu à ce moment-là que dans toute mon existence. »

Janet poursuit :« Cet enthousiasme et ces sentiments avec des oscillations se prolongèrent tant qu'il composa ses vers, pendant cinq ou six mois ; ils diminuèrent beaucoup pendant l'impression du volume. Quand le volume parut, quand le jeune homme, avec une grande émotion sortit dans la rue et s'aperçut qu'on ne se retournait pas sur son passage, le sentiment de gloire et la luminosité s'éteignirent brusquement. Alors com- mença une véritable crise de dépression mélancolique avec une forme bizarre de délire de persécution, prenant la forme de l'obsession et de l'idée délirante du dénigrement universel des hommes les uns par les autres. Nous reverrons plus tard ce sentiment à propos de nos recherches sur les actes et les sentiments de valorisation sociale. Cette dépression fut très longue et guérit très lentement en laissant des traces encore aujourd'hui. Mais de cette crise de gloire et de lumière Martial a conservé la conviction iné- branlable qu'il a eu la gloire, qu'il possède la gloire, que les hommes le reconnaissent ou ne le reconnaissent pas, peu importe. Il aime à citer à ce propos un passage du livre de M. Bergson sur « l'énergie spirituelle » : « On tient à l'éloge et aux honneurs dans l'exacte mesure où l'on n'est pas sûr d'avoir réussi. Il y a de la modestie au fond de la vanité. C'est pour se rassurer que l'on cherche l'approbation et c'est pour soutenir la vitalité peut-être insuffisante de son oeuvre qu'on voudrait l'entourer de la chaude admiration des hommes, comme on met dans du coton l'enfant né avant terme. Mais celui qui est sûr, absolument sûr d'avoir produit une oeuvre viable et durable, celui-là n'a plus que faire de l'éloge et se sent au-dessus de la gloire, parce qu'il sait qu'il l'a et parce que la joie qu'il éprouve est une joie divine. » Martial écrit d'autres volumes, il est vrai, mais ce n'est pas pour faire quelque chose de supérieur au premier ouvrage, il n'y a pas de progrès dans l'absolu et il a eu du premier coup l'absolu de la gloire. Tout au plus ces nouveaux volumes aideront-ils le public ignorant et retardataire à lire et à voir le rayonnement du premier. Il a en effet conservé un second sentiment, c'est le désir intense, la passion folle de retrouver, ne fut-ce que cinq minutes, les sentiments qui ont inondé son coeur pendant ces quelques mois à dix-neuf ans. « Ah ! cette sensation du soleil moral, je n'ai jamais pu la retrouver, je la cherche et je la chercherai toujours. Je donnerais toutes les années qui me restent à vivre pour revivre un instant cette gloire. Je suis Tannhauser regrettant le Venusberg. » Il espère qu'un certain succès effectif au dehors pourrait raviver cette sensation interne de gloire et c'est pour cela qu'il essaye de nouveaux livres et qu'il se livre quelquefois à des manifestations retentissantes. « Mais peu importe leur succès ou leur échec, cela retarde la constatation externe de la gloire par les autres, cela n'entame pas sa réalité ».



Roussel écrit dans Comment… à propos de sa pièce de théâtre tiré des Impressions d'Afrique : « Ce fut plus qu'un insuccès, ce fut un tollé. On me traitait de fou, on « emboîtait » les acteurs, on jetait des sous sur la scène, des lettres de protestation étaient adressées au directeur ».
Lien : http://classiques.uqac.ca/cl..
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