Les jours de notre mort

L'enfer concentrationnaire


Cet ouvrage est présenté comme un roman. C'est, en fait, une succession de témoignages de déportés et prisonniers de guerre, que l'auteur développe en parfois courts chapitres, sans ordre chronologique apparent.
Le "coté roman" lui permet, sûrement, de ne pas dévoiler les véritables identités et de pouvoir raconter l'indicible en toute honnêteté et en toute indépendance.

Les nombreux récits permettent d'appréhender de très nombreux camps de concentration - les principaux protagonistes ayant souvent connu plusieurs déportations successives. Les conditions de vie – survie -, l'horreur sont décrites sans filtres, sans concessions mais les courts chapitres qui se succèdent de façon anarchique, quitte à se perdre dans les différents personnages, permettent sûrement de continuer la lecture, d'aller au bout de cette narration éprouvante.

La partie la plus importante de ce livre est consacrée à la résistance qui s'est organisée au camp de Buchenwald et dans ses camps de travail, les fameux Kommandos extérieurs comme Dora, véritable camp d'extermination par le travail.

Cette résistance va s'élaborer aux dépens des droits communs, véritable bras armé des SS, qui éliminaient les prisonniers par pur sadisme. A partir de 1942, les communistes allemands, souvent emprisonnés depuis 1933, vont prendre progressivement le contrôle des postes stratégiques du camp - jusque là tenus par ces mêmes droits communs -, et vont ainsi permettre de sauver des milliers de vie.
Nous sommes chaque jour avec eux, avec leurs doutes, leurs questionnements comme lorsqu'il leur faut décider de qui doit vivre, mourir ou partir en transport (les camps de travail) sachant que certains de ces transports étaient sans retour…
Pour cela, à cause de leurs choix, ils savaient, qu'à la Libération, des comptes leur seraient demandés...

Nous assistons à toutes les luttes entre les différents groupes de résistants, communistes ou autres, entre les différentes nationalités de déportés pour prendre le pouvoir dans le camp. Pas de gloire, personne n'est irréprochable, l'auteur ne donne la part belle à aucun mouvement en particulier. Tous ces groupes finiront finalement par coopérer et s'entendre lorsque la fin de la guerre semble arriver.

Tous ces décideurs ont cherché à imaginer les différents scénarios de leur libération. Par les Russes, les Américains, en se révoltant ou pas, mais la solution envisagée qui leur semblait la pire pour eux , qui les terrifiait littéralement, était que la paix soit conclue alors qu'ils seraient encore prisonniers. Que feraient les SS ? Laisseraient-ils des témoins ? Comme le dit un des protagonistes : "Les Alliés, dans ce cas, vont intervenir avec des parachutistes, ils ne nous laisseront pas massacrer" . La réponse ne se fit pas attendre d'un autre : "Les Alliés ne font pas la guerre pour libérer les camps, ils s'en foutent complètement".
Lorsque l'on sait, aujourd'hui, que les Alliés "savaient" au moins depuis 1942…

Il y a aussi , un très beau passage, sur ces hommes, communistes ou homosexuels allemands, emprisonnés très jeunes, depuis plus de 12 ans et qui, à l'image de l'un d'entre eux qui se suicide, ont peur de la liberté qui pourrait s'offrir bientôt : quelle sera leur place dans cette société à reconstruire ?

Enfin, nous assistons à la libération des camps principalement celui de Buchenwald dont le récit de la révolte est beaucoup moins héroïque que ce que j'ai pu lire dans d'autres ouvrages - mais là encore, l'auteur l'explique et l'argumente.

Pour finir, David Rousset évoque ce que les résistants responsables n'avaient jamais envisagé : les marches de la mort.
Il n'y a ici pas de mots....


Un ouvrage essentiel, malheureusement oublié, âpre, dur mais indispensable pour qui s'intéresse à ce sujet. Beaucoup d'autres livres , études sont parus sur le monde concentrationnaire mais celui-ci, daté de 1947, contient déjà tout ce qui a constitué l'univers des camps.