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EAN : 9782825146156
236 pages
L'Age d'Homme (01/09/2016)
3.5/5   5 notes
Résumé :
Au Bureau des Lettres Anonymes où il travaille, Aymeric se lie d’amitié avec Sébastien, un de ses clients. Au coeur de leurs échanges, la lassitude des vies moyennes, d’une époque hystérique et inconséquente où - ni victimes, ni héros - ils essaient de trouver leur place. Deux balles perdues au milieu d’une galerie de portraits, qui choisissent de danser sur les ruines avec un désespoir hilare.
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Je suis une putain de dure à cuire ouais, en littérature tout du moins. J'ai lu Houellebecq qui donne la gerbe aux néoféministes fans de Britney Spears, j'ai lu Pasolini scatophile en manque de merde, j'ai lu Bukowski ce moine zen qui ne sourit pas et j'ai même lu des bouquins de développement personnel, c'est dire. Je ne pensais pas pouvoir rajouter Arnaud à ce palmarès (sans doute parce qu'il faut plus d'un opus pour se faire une idée réaliste d'une oeuvre) mais je dois reconnaître que la déprime qu'il m'a transmise au long de la lecture, et que j'ai d'abord interprétée comme du désaccord, résulte d'un travail d'analyse glacial, terriblement terne et malsain. Et je vous ai dit que je suis pourtant aussi solide qu'un morceau de viande trop cuit (dans la littérature seulement), pas du genre à me laisser émouvoir pour deux ou trois phrases, trouvant toujours refuge dans l'humour amer qui caractérise la vie des gens à côté de leurs pompes. Mais si Buko et Houellebecq parlent à ceux qui se sont toujours sentis différents, Roustan parle surtout à ceux qui ne se sont jamais posé ce genre de question. Pas possible alors de trouver refuge dans l'illusion rassurante selon laquelle, si on est un raté, c'est parce qu'on a quelque chose de plus que les autres n'ont pas. C'est la violence du moyen, cette violence qui fait débander Sébastien lorsqu'il s'offre enfin le corps si longtemps désiré de sa voisine Carole.


« Il étrangla Carole doucement, en la menaçant de serrer plus fort si elle ne se déshabillait pas. Elle enleva donc son pantalon et son string, que Sébastien regarda avec déception. Un string argenté avec des strass en plastique un peu décollés. Il y avait quelque chose de vraiment minable à voir ce string vulgaire glisser doucement, s'écraser sur la moquette avec l'étiquette Made in Turkey fièrement dressée… Sébastien s'étonnait de remarquer tout ça, précisément dans cette situation, lui qui s'était toujours demandé ce qu'il pouvait se passer dans la tête des violeurs, des tueurs, des fous. Pour un détail, tout pouvait s'écrouler et le crépi jaune, les coussins à l'imprimé « Cocooning » et une affiche de « La Môme » gueulaient maintenant toute la tristesse piteuse d'un quotidien middle-class. »


Si Sébastien a pu en arriver là, c'est un peu à cause d'Aymeric Corbot, employé au Bureau des Lettres Anonymes. Est-ce que ça existe vraiment ce genre de truc ? Ce serait pas surprenant, faut dire que là où je travaille, on partage nos bureaux avec des gens qui sont spécialisés dans la vente de croquettes sur Internet. Sébastien a requis l'aide du BLA pour déclarer sa flamme à Carole, sa voisine d'immeuble. Malheureusement, elle n'en avait rien à foutre même si elle a flippé un peu quand même en découvrant des lettres pleines de fougue, pleines d'amour il faut le dire. Cette indifférence à la beauté des lettres, aux passions fortes et dévorantes, à cette radicalité qui n'a rien de moderne, c'est encore une violence du moyen. Après son petit viol à la demi-molle, Sébastien finit aussitôt en prison, ce qui est à moitié drôle et à moitié grotesque. Et la vie continue. Une correspondance s'établit entre Sébastien et Aymeric, un peu dépressive mais venant quand même égayer le quotidien du rédacteur du BLA. D'ailleurs, celui-ci s'éprend vaguement de sa collègue Marine, moins pour son gros cul et ses mollets flasques que pour sa tendance à faire des recherches sur la vente d'armes au boulot. Et c'est assez formidable de voir comment Arnaud parvient à nous guider d'un personnage à l'autre par le menu fil des détails.


La violence du moyen est assez terrible. Elle est platitude, confinement, moiteur et passivité. Ainsi l'éprouvais-je tandis que je lisais dans le tram, entourée de violents moyens, moi-même violente moyenne, nous tous aussi pathétiques que ces personnages sans teinte qui se distinguent uniquement par la culture de la petite différence narcissique. Se prendre des vacances, boire un capuccino, donner un prénom original à son fils ou à son caniche, prendre un mari ou une femme, se mettre du fard à paupière vert… je vais pas vous faire la liste, vous voyez très bien le genre. Ces colifichets ne valent rien devant le surgissement de la Chose –un surgissement qui peut être négatif et qui ne se laisse sentir qu'à travers son voile. Arnaud est très fort pour décrire ce genre de scène.


« le matin, c'est de 4 heures à 9 heures. Après, c'est rien qu'une sorte de midi filasse. Après 9 heures, ça ne ressemble à rien. Les gens sont déjà lavés, maquillés, habillés. On ne trouve plus rien qui concerne l'authenticité ni le jus des corps. Alors que la concierge qui sort les poubelles à 6 heures, encore en robe de chambre, voilà un moment de vérité ! »


Ou :


« Devant le peu de réactivité de Marine, Fabienne finit par se taire dans un soupir mi-gêné, mi-j'ai-tout-dit. Puis, elle se dirigea vers la machine à café en marchant sur la pointe des pieds (le bruit de ses talons la gênait) et s'offrit un cappuccino dont elle conserva longtemps le sourcil de mousse au-dessus de la bouche.
« Quelle misère », pensa Aymeric. Il suffisait d'aussi peu pour le mettre dans des états d'abattement total. Dès lors, tout lui paraissait insupportable, jusqu'aux bruits du clavier et du ventilateur de l'ordinateur. Tout devenait vulgaire, sans âme (ou trop), sans harmonie ni délicatesse. du reste, il n'aimait pas la délicatesse non plus et préférait les francs éclats ; du sang et de la fureur plutôt que cette existence calfeutrée à supporter les sourdines. »


Aymeric finit par lâcher son boulot, un peu enivré par les bouquins qu'il a trop poncés, un peu galvanisé par l'idée bohème de vivre au jour le jour (dans le temps présent, comme nous incitent à le faire les profs de méditation qui font des vidéos sur youtube). Mais ce n'est pas aussi facile que ça. Je me souviens, lorsque j'étais au chômage, je trouvais que ma journée était déjà bien chargée lorsque j'avais pour mission d'aller mettre une lettre à la Poste, ou lorsque j'allais rendre mes bouquins en retard de deux semaines à la bibliothèque. Je déclinais souvent des rendez-vous à cause de ces missions d'une envergure totale. Pourtant, le temps ne passe pas plus rapidement lorsqu'on n'est pas salarié et le gain d'énergie amassé à ne pas travailler devient vite embarrassant. « Aymeric décida de faire quelques tours du périphérique en R5, jusqu'à tomber de fatigue ». Pourquoi pas, ce n'est pas encore la vie de bohème mais on y vient.


Vous n'avez pas remarqué qu'on tombe plus vite amoureux quand on s'emmerde ? Quand la vie est dépeuplée ? Quand on aimerait partager sa passion pour le sudoku avec quelqu'un, n'importe qui, plutôt que personne ? Dans son désoeuvrement, Aymeric finit par croire qu'il tient vraiment à Marine, il bâtit même le projet d'acheter un appartement en face du sien, l'auteur ne nous disant pas explicitement si c'est pour l'espionner derrière les rideaux pendant qu'elle se déshabille ou si c'est pour l'inviter à boire le thé par balcons interposés. Moi-même, dès l'école primaire je décidai plus ou moins consciemment de tomber amoureuse pour égayer mes journées. Ça me donnait envie de me lever le matin, ça faisait naître des histoires, dans ma tête plus souvent que dans la réalité car, à l'instar d'Aymeric, je préférais « les non-dits et les occasions manquées ». Dès que l'année scolaire se terminait, j'oubliais l'élu de mon coeur. Je n'ai donc pas fait un CP, ni un CE1 mais un « Lucas », un « Julien » et ainsi de suite jusqu'à entrer dans la réalité. Mais épisodiquement, il est encore nécessaire de se faire des films pour se rendre la réalité moins médiocre, pour se donner l'impression que le tracé de l'électroencéphalogramme n'est pas totalement plat. C'est d'ailleurs de ce genre de revendication (vivre une vie palpitante) que peuvent naître les pires choses.


Au milieu de cette masse fade de violence moyenne, de violence pure quand même, une illuminée surgit de la plume de Sébastien, enfermé en prison depuis quelques semaines, remarquant à peine la différence entre sa vie d'avant et celle de maintenant, une illuminée digne d'un sermon de Krishnamurti : « Si votre vie vous pèse, changez-la. Si vous la changez, assumez-la. Si vous n'avez le courage de rien, faites-en un art de vivre. Il n'y a rien de plus à savoir ».
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Il me souvient d'un voyage en TGV au cours duquel, mon fils, alors très jeune, possiblement mu par une réelle curiosité mais plus vraisemblablement par pure malice, se plu à me questionner sur la signification des mots, espoir, paradoxe, noblesse... Je m'efforçais plus ou moins adroitement d'étancher sa soif de connaissance au moyen d'historiettes bancales de mon cru sous le regard amusé de mon vis à vis qui semblait guetter avidement le moment où ma verve pédagogique serait mise en défaut.

Cette tranche de vie m'est revenue en lisant "Violence du moyen", illustration parfaite et glaçante du mot vacuité.

Vacuité de nos vies.

Bien vu Arnaud Roustan.

A lire.

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Je suis désolé si l'auteur venait à lire cette critique...mais je n'ai pas pu poursuivre au-delà de la moitié du livre.

Malgré un style fluide qui permet une lecture relativement rapide et une idée pour le moins originale (le Bureau des Lettres anonymes et l'alternance entre ces lettres et un récit suivi, ce qui me fait mettre deux étoiles au lieu d'une), la succession d'horreurs dans le livre tels que le viol, les idées de meurtres, les idées peu ragoutantes sur le plan sexuel...et j'en passe, m'ont fait fermer le livre aux environs de la moitié. Malgré plusieurs tentations de fermer le livre avant, je me suis dit qu'en poursuivant, ce serait peut-être mieux, mais c'était de pire en pire, et je n'ai pas pu aller plus loin que la moitié...
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J'ai eu du mal à rentrer dans ce roman. D'abord la situation : un homme nommé "Corbot" travaille dans une société de rédaction de lettres anonymes. Ensuite par le tempo (volontairement) lentissime.
C'est qu'on parle de vies de tous les jours, de banalité, de vies sans grands heurts.
Il suffit de mettre deux secondes en abîmes sa propre vie avec celles décrites dans le roman pour s'apercevoir que... Que nous ne sommes jamais bien loin du terrible constat mou dressé.

Bon, ce n'est pas non plus, à mon sens, le roman du siécle, mais il y a une écriture et des fulgurances ainsi qu'un joli sens de l'observation. Bref, ce roman qui parle de "ventre mou" de la vie est dans le milieu de ma pile de livre. Une place qui devrait lui convenir.
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Belle écriture, idée originale, personnellement certains passages très "crus" ne m'ont pas dérangée, habituée à lire des romans très noirs. Houellebeck ou Grangé ne font pas dans la dentelle dans certaines parties de leurs livres où se mêlent horreur, tortures et sexe.
L'ensemble m'a bien plu. On sort des sentiers battus.
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Il étrangla Carole doucement, en la menaçant de serrer plus fort si elle ne se déshabillait pas. Elle enleva donc son pantalon et son string, que Sébastien regarda avec déception. Un string argenté avec des strass en plastique un peu décollés. Il y avait quelque chose de vraiment minable à voir ce string vulgaire glisser doucement, s’écraser sur la moquette avec l’étiquette Made in Turkey fièrement dressée… Sébastien s’étonnait de remarquer tout ça, précisément dans cette situation, lui qui s’était toujours demandé ce qu’il pouvait se passer dans la tête des violeurs, des tueurs, des fous. Pour un détail, tout pouvait s’écrouler et le crépi jaune, les coussins à l’imprimé « Cocooning » et une affiche de « La Môme » gueulaient maintenant toute la tristesse piteuse d’un quotidien middle-class.
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Devant le peu de réactivité de Marine, Fabienne finit par se taire dans un soupir mi-gêné, mi-j’ai-tout-dit. Puis, elle se dirigea vers la machine à café en marchant sur la pointe des pieds (le bruit de ses talons la gênait) et s’offrit un cappuccino dont elle conserva longtemps le sourcil de mousse au-dessus de la bouche.
« Quelle misère », pensa Aymeric. Il suffisait d’aussi peu pour le mettre dans des états d’abattement total. Dès lors, tout lui paraissait insupportable, jusqu’aux bruits du clavier et du ventilateur de l’ordinateur. Tout devenait vulgaire, sans âme (ou trop), sans harmonie ni délicatesse. Du reste, il n’aimait pas la délicatesse non plus et préférait les francs éclats ; du sang et de la fureur plutôt que cette existence calfeutrée à supporter les sourdines.
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La photo de Nala, au Bénin, attira un moment sa curiosité. Un texte de présentation assez sommaire tâchait d’en donner une rapide description : « Nala est une petite fille de 9 ans qui aime jouer à la corde à sauter. Elle vit au Bénin avec ses parents. »
Il s’imagina alors parrainer cet enfant, lui envoyer chaque mois de quoi se nourrir le corps et l’esprit… Il la verrait grandir, irait peut-être même la voir sur place, le jour de ses 14 ans. Il serait accueilli comme un bienfaiteur par tout le village et Nala lui montrerait ses plus beaux dessins, dont des allégories naïves et délicieuses du « gentil Français ». Fans ce monde idéal, il serait polémiste de droite et écrirait in-situ un vibrant article sur la solidarité Nord-Sud, les bienfaits du libre-échange et notre devoir de civilisateur, tandis que Nala lui suçoterait docilement la bite.
Puis il pensa à autre chose.
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Au fond, Carole, je suis chrétien. Au moins d’une certaine façon. Le soir, je me signe au moment du coucher. Pas de prière, juste un haut/bas/droite/gauche. Plus jeune (= petit con), je trouvais que cela ressemblait aux codes à suivre sur le pad de la Playstation pour débloquer des bonus. (haut/bas/droite/gauche XXX) pour jouer avec plus d’argent, l’invincibilité, des vies illimitées ou ce genre de choses…
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Comme au théâtre, et comme au cinéma, l’haleine renfermée des spectacles. Une très mauvaise idée de rencard : la salive se tarit, on traîne encore les jus de son dernier repas et le « t’as trouvé ça bien ? » en sortant de la salle sent toujours le périmé…
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