Un mauvais maître

Rouvillois Frédéric – "Un mauvais maître" – Nouvelle librairie, 2020 (ISBN 978-2-491446-32-1) – format 19x12cm, 276p.

Les textes littéraires centrés sur les moeurs du milieu universitaire franchouillard ne sont pas légion. Sans prétendre à l'exhaustivité, je citerai par exemple les deux romans de
- Pierre Christin "Petits crimes contre les humanités : roman universitaire" (publié en 2006, cf recension)
- suivi de "Légers arrangements avec la vérité" (publié en 2006, cf recension)
ainsi que la bande dessinée incontournable de
- Thifaine Rivière intitulée "Carnets de thèse" (publiée en 2015, cf recension)
sans oublier l'impitoyable
- «Soumission» de Houellebecq (publié en 2015, cf recension).

Frédéric Rouvillois prend ici pour cadre le petit monde très spécifique des facultés de droit.
C'est là incontestablement une tribu, une sous-branche encore plus totémique au sein de la noble université gauloise, s'identifiant principalement par son mode de recrutement unique en son genre, la fameuse et fumeuse "leçon de vingt-quatre heures" intervenant après la soutenance de thèse et donnant directement accès au statut – ô combien envié – de professeur des universités.
L'auteur l'explique fort bien dans son roman, mais il faut vraiment l'avoir vécu de près pour se rendre compte de la subjectivité, de l'iniquité, de l'arbitraire qui règne là, sans que quiconque ne s'en émeuve (et surtout pas les juristes ! qui savent combien le droit n'est qu'une entreprise ô combien humaine donc faillible).
Comme me le disait un membre éminent de cette corporation : "finalement, quelques soient nos opinions politiques, nous nous identifions toutes et tous par ce "concours" requérant une personnalité particulière" (c'est un doux euphémisme).

Ceci étant, l'auteur – lui-même membre du sérail, et même au coeur de ce monde puisque Professeur dans l'un des cénacles parisiens – n'en tire pas vraiment un récit original ni bien palpitant. Son roman reste fort convenable, très loin de la qualité des mises en scène (illustrant les us et coutumes du petit monde nombriliste des sciences dites humaines) d'un Houellebecq ou de Thifaine Rivière.

Déception.

Frédéric Rouvillois met en scène le meurtre d'un prof de droit afin d'explorer les coulisses des facultés, dépeignant les professeurs d'université dans leurs moeurs, caractères, habitudes... Une multitude de portraits souvent peu flatteurs de personnages complexes et ambigus fait face aux enquêteurs Lohmann et Morin, démêlant ce noeud gordien d'individus hauts en couleurs.
Ce qui frappe ? le cynisme, l'entre-soi, voire le sectarisme d'un tel milieu ! (Bon d'accord, c'est sûrement partout pareil, mais la cruauté de certains, ahurissante, en dit long sur les défenseurs de la justice dans notre pays). Il est aberrant de constater la froideur du système universitaire, ici bien mise en lumière.

Si on ne peut rien reprocher à Rouvillois concernant la connaissance du milieu, on peut en revanche dire quelques mots sur le style, à commencer par les tirades excessivement longues s'étendant sur plusieurs pages (!), mais aussi par les zones d'ombre qui demeurent au cours du récit. Un récapitulatif global aurait fait du bien à tout le monde.
Un mauvais maître pêche surtout par une certaine absence de vivacité, les dialogues manquant de piquant, principalement entre Lohmann et Morin. Espérons que ces défauts seront corrigés dans les volumes suivants, notamment le doigt de Dieu qui semble déjà plus prometteur.