Laurine Roux a un talent fou pour installer une ambiance sous la forme d'un récit initiatique qui revêt les atours d'un roman postapocalyptique. Une famille retiré du monde dans une nature sauvage après une pandémie aviaire qui a décimé une grande partie de l'humanité. Deux soeurs à la relation fusionnelle, dont Gemma, l'enfant-chasseresse née au Sanctuaire, la seule qui n'a pas connu le monde d'avant. Un père intransigeant qui a érigé la survie en religion implacable. Tout oiseau est un ennemi, tout oiseau doit être tué pour éviter une contagion fatale.
Si je me suis facilement fondue dans le décor, j'ai été toutefois freiné dans mon avancée littéraire par les échos d'autres lectures ou d'autres images, un peu incommode pour s'approprier la première partie du roman, la présentation des lieux et des personnages. J'ai eu du mal à me défaire d'un sentiment de déjà-lu ( My absolute darling, Dans la forêt entre autres ), de déjà-vu ( Captain Fantastic, Mosquito coast notamment ). Gemma m'a tellement fait penser à Turtle ...
Mais cela ne m'a pas empêché de savourer la plume éclatante de
Laurine Roux. le phrasé est rythmé, parfois chaloupé, parfois plus saccadé, toujours très musical. Et les mots savent se faire poésie, ils nous emplissent de sensations très charnelles et organiques qui décrivent à merveille la nature du Sanctuaire.
A sa mitan, le récit mue et se fait fable. Plus que d'un récit postapocalyptique, il s'agit d'un roman d'initiation, celui de l'émancipation de Gemma. Pour sortir de l'enfance et découvrir le monde avec ses propres lunettes, elle doit se rebeller contre tout ce que son père a construit, matériellement et psychiquement, faisant valser les certitudes apprises. Elle doit sortir de la cellule familiale autarcique. Ici, l'élément perturbateur et déclencheur qui fait exploser le huis-clos est un vieillard entouré d'oiseaux, notamment un fabuleux aigle qui plane au-dessus du Sanctuaire.
Même si je comprends bien que la sortie de l'enfance passe par la confrontation à l'autre et notamment à l'homme qui peut être prédateur face à une jeune fille, qu'elle doit s'extraire de toute domination masculine présente ( le père ) ou future ( les hommes hors du Sanctuaire ), j'ai été gênée par son caractère libidineux très outré. le personnage était suffisamment fort, vivant dans sa caverne platonicienne, subversif avec ses oiseaux compagnons, pour ne pas surcharger le propos.
Lu dans le cadre du collectif Les 68 Premières fois