PETIT MATIN
Je te reconnaîtrai aux algues de la mer
Au sel de tes cheveux aux herbes de tes mains
Je te reconnaîtrai au profond des paupières
Je fermerai les yeux tu me prendras la main
Je te reconnaîtrai quand tu viendras pieds nus
Sur les sentiers brûlants d'odeurs et de soleil
Les cheveux ruisselants sur tes épaules nues
Et les seins ombragés des palmes du sommeil
Je laisserai alors s'envoler les oiseaux
Les oiseaux longs-courriers qui traversent les mers
Les étoiles aux vents courberont leurs fuseaux
Les oiseaux très pressés fuiront dans le ciel clair
Je t'attendrai en haut de la plus haute tour
Où pleurent nuit et jour les absents dans le vent
Quand les oiseaux fuiront je saurai que le jour
Est là marqué des pas de celle que j'attends
Complices du soleil je sens mon corps mûrir
De la patience aveugle et laiteuse des fruits
Ses froides mains de sel lentement refleurir
Dans le matin léger qui jaillit de la nuit
Oublier
A force d'oubli, de patience et d'absence
en n'écoutant plus rien de ce qui vient du dehors
en fermant les yeux sans les serrer trop fort
je me suis fait caillou, galet, herbe des bords
et la cascade amie riait dans mes pensées.
L'eau fraîche murmurait dans ma nuit légère
Elle élevait la voix sur mes passages à gué
chantonnait en tournant dans les creux de ma rive
suscitait un juillet brûlant, des moucherons, une truite
La nuit dans ma main buvait l'oubli-chagrin
ET ENCORE LA MÊME CHOSE
Je dis simplement la merveille
la modestie du ciel vivant
le petit pesant d'or d'une abeille
l'éclat du sel qui est tout blanc
toi différente mais pareille
Je dis simplement la merveille
de tous les jours te retrouver.
OESTRICH
Ecoute maintenant écoute jusqu'au très plat des
Flandres
les carillons rieurs et doux ricocher dans l'après-midi
calme
Nous descendons en péniche le canal d'Oestrich
en compagnie des cloches long-courrières
dans l'odeur naïve de vase et de goudron
Nous ne disons plus rien Simplement c'est la demie
qui sonne au beffroi de Bruges
simplement rien qu'un courlis que la brume et sa
petite haleine
le long du lent chaland qui redescend sur Gand
et l'eau l'eau sage l'eau secrète l'eau qui vient d'aussi
loin
que notre silence d'aussi loin que les cloches songeuses
d'aussi loin que notre mort qui coule son eau noire
et monte à nos genoux très régulièrement.
A PEINE
A peine si le vent retrousse un peu la mer
fait mousser sur son bleu un coin de jupon blanc
à peine si le sang à ton front quand tu dors
compte tout doucement l'aller retour du temps
A peine si les cris des enfants sur la plage
se mélangent au flot qui chuchote ses plis
à peine si le blanc d'un tout petit nuage
éclabousse le bleu du ciel ourlé de gris
A peine si j'écris à peine si tu dors
à peine s'il fait chaud à peine si je vis
et je ferme les yeux croyant laisser dehors
tout ce qui n'est pas toi mon amour endormi.
Elle est venue la nuit du plus loin que la nuit
A pas de vent de loup de fougère et de menthe
Voleuse de parfum impure fausse nuit
Fille aux cheveux d'écume issus de l'eau dormante
LA NUIT
BRUIT DE LA MER
« Si tu trouves sur la plage
Un très joli coquillage
Compose le numéro
Océan, zéro, zéro,
Et l’oreille à l’appareil
La mer te racontera
Dans sa langue des merveilles
Que papa te traduira » .
LE SILENCE ET DORS
L'oreille au guet de longue absence
écoute aux portes du sommeil
Elle écoute au creux du silence
le bleu du ciel marcher pieds nus
le long tic-tac de l'espérance
l'horloge au pas triste et têtu
Elle écoute mûrir les fruits
croître les fleurs et pousser l'herbe
et le ressac que fait la nuit
en brassant sa moisson de gerbes
Elle écoute très noir grillon
chantant déjà dans notre automne
la mort cachée dans nos sillons
racler sa viole monotone
L'oreille au guet de longue absence
écoute aux portes défendues
ET ENCORE LA MEME CHOSE
Je dis simplement la merveille
la modestie du ciel vivant
le petit pesant d'or d'une abeille
l'éclat du sel qui est tout blanc
toi différente mais pareille
Je dis simplement la merveille
de tous les jours te retrouver.
« Jamais je ne pourrai »
Jamais jamais je ne pourrai dormir tranquille aussi longtemps
que d'autres n'auront pas le sommeil et l'abri
ni jamais vivre de bon cœur tant qu'il faudra que d'autres
meurent qui ne savent pas pourquoi…