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EAN : 9782080800916
352 pages
Flammarion (03/09/2004)
3.67/5   6 notes
Résumé :
De l'Eldorado convoité par les conquistadors aux laboratoires high-tech de la Silicon Valley, la saga de l'Ouest américain dure cinq siècles - il fallut des millénaires au Vieux Continent pour mener à bien une telle évolution. On en connaît les fruits mythique : cow-boys et hippies, Texans richissimes et producteurs hollywoodiens, sirènes s'ébattant sur les plages dorées peuplent notre imaginaire. En réalité, c'est là que s'est forgé le destin des Etats-Unis, dans l... >Voir plus
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Destinée Manifeste, Frontière, western ... Autant de mots ou expressions qui convoquent l'imaginaire d'une Amérique fantasmée. Derrière les geysers du Yellowstone ou les mesas de Monument Valley apparaît cependant une histoire riche, bien que récente, et la dynamique d'un territoire immense qui, aujourd'hui encore, et pour l'avenir sûrement, conditionne et modèle notre quotidien. La réflexion des deux auteurs suit un chemin chronologique linéaire que jalonnent de grandes thématiques, telles que l'annexion des territoires de l'Ouest au milieu du 19ème siècle ou l'influence de la contre-culture des années 1960. le livre de Daniel Royot et de Philippe Jacquin est une somme, qui propose un panorama complet de l'histoire de l'ouest américain depuis l'arrivée des Européens. Une remarque, toutefois, s'impose. le livre ressemble fort à une collection de faits et de chiffres, lesquels fondent, bien entendu, l'étude historique et sociologique ; mais il aurait été peut-être, ne serait-ce que formellement, intéressant de concevoir cette étude à l'amérindienne, et non à l'européenne, c'est-à-dire envisager l'histoire de l'Ouest de manière cyclique où les événements, d'une certaine manière, se répètent. Partant, cette étude manque, semble t-il, d'un peu de hauteur et, face au développement factuel, un peu de réflexion conceptuelle aurait probablement allégé le livre. Concernant le style, enfin, celui-ci se fait volontiers littéraire, ce qui, en soi, est un avantage, comparativement à certains ouvrages d'histoire au style froid. Les envolées littéraires, certes, parfois, perdent quelque peu le lecteur, mais sans doute faut-il voir ici une influence des écrivains largement cités à travers les quelques 330 pages. de cette histoire de l'Ouest américain, on remarquera qu'elle est écrite sous trois signes à la fois distincts et semblables : la violence, les identités et l'imaginaire. En préambule, on pourrait d'ailleurs signaler que s'il y a un Ouest imaginaire, il y a bien plusieurs Ouest réels. Cet Ouest américain unique serait la troisième partie de cet Etat-continent que sont les États-Unis, à côté de l'Est anglicisé des grandes villes et des industries et du Sud esclavagiste des plantations. En réalité, ne serait-ce que par sa géographie, l'Ouest regroupe des territoires très divers, des Grandes Plaines centrales à la côte du Pacifique en passant par les Montagnes Rocheuses et les déserts du Sud-Ouest. le livre est aussi un voyage : historique, géographique et artistique.

L'histoire de l'Ouest est d'abord placé sous le signe de la violence. Cette violence s'exprime de plusieurs manières et contre plusieurs objets. C'est d'abord une violence contre la nature. L'arrivée des Européens puis la conquête de l'Ouest par les Américains est synonyme de désastres écologiques telles que l'extermination des bisons ou la destruction des milieux naturels (comme lors de la ruée vers l'or ou avec l'exploitation pétrolière, ou encore avec les essais nucléaires dans le désert du Nevada). Peu à peu, les grands espaces hostiles, marqués par l'aridité ou par la déclivité (les Rocheuses) sont maîtrisés et exploités par l'homme, à travers l'irrigation massive de zones progressivement cultivables, et par la construction d'infrastructures de transport. La grande aventure du train transcontinental marque la maîtrise du continent par le pouvoir fédéral. Autre forme de la maîtrise du territoire et du contrôle de la nature par l'homme : les fils barbelés qui délimitent les terrains des ranchs du Texas ou du Nebraska. Cette problématique dure jusqu'à aujourd'hui avec la question des parcs nationaux (question politique entre les mandats d'Obama et de Trump) et qui ne doit pas être négligée, tant la nature définit l'imaginaire de l'Ouest américain.

Évidemment, la violence s'exerce aussi contre les hommes, et d'abord contre les Indiens. Après le choc microbien des premiers temps, les guerres indiennes du 19ème que suivent les déportations dans les réserves déciment les populations natives. Cela est couplé à une dévalorisation culturelle qui ne prend fin qu'à la faveur du développement de la contre-culture des années 1960.

La violence touche les Américains dans toute leur diversité. Les migrants européens sont mal vus (les Irlandais sont considérés comme alcooliques) et, sous prétexte de religion catholique, certains subiront les foudres des protestants. D'autres migrants, comme les Noirs ou les populations asiatiques, subissent le racisme et la ségrégation. le cas des Issei et des Nisei, des Américains d'origine japonaise, internés dans des camps pendant la Seconde guerre mondiale, est particulièrement symbolique. Enfin, au-delà des cadres sociologiques traditionnels, la violence s'exerce contre tous les civils américains. Ils sont les victimes collatérales des guerres indiennes (massacres de fermiers), des attaques des brigands du Far West, des considérations purement économiques des patrons de ranch (ainsi les cow boys soumis à une vie très rude) ou de mines (grèves brisées). On voit aussi la violence émerger de groupes de défense (les vigilantes) qui veulent pallier aux manques des autorités locales, ou de la contre-culture pacifique (ainsi la Manson Family en 1969). de quelque manière que l'on considère l'histoire de l'Ouest américain, la violence semble en être une part intégrante fondamentale.

La deuxième thématique essentielle de l'Ouest américain tient à la question des identités. Celles-ci sont à la fois multiples, menacées et recherchées pour être assumées. Identités multiples : les Indiens des plaines et ceux des déserts, les Indiens sédentaires et les nomades constituent une myriade de peuples déjà animés par une géopolitique que vient encore complexifier l'arrivée des Européens, très divers là aussi : Espagnols et Français d'abord, Britanniques, Russes puis, bien-sûr, Américains, représentent un patchwork de cultures constitutifs pour chacun d'une part de l'identité américaine. Les migrations européennes - des Slaves, Scandinaves, Allemands et Irlandais, entre autres - puis asiatiques - Chinois d'abord, puis Japonais, Coréens et Vietnamiens - et pour finir mondiales - Arméniens, Arabes, Mexicains, etc - donnent à l'ouest des allures de melting-pot dont il faudrait toutefois se méfier. Les identités sont conservées malgré l'acceptation de l'anglicisation et, in fine, de l'acculturation.

Il y a bien, pourtant, une identité de l'Ouest qui finit par englober l'identité américaine dans son ensemble. La langue et, surtout, la religion, sont les premiers piliers de ces identités. L'expression de Destinée manifeste, appliquée d'abord à la conquête du territoire américain, est éminemment religieuse : l'Ouest se rêve en nouvel Eden et le peuple qui s'y trouve y est naturellement élu. Toutefois, au fur et à mesure des migrations, de la réussite individuelle et collective de telle ou telle communauté, s'affirment certaines identités. L'indianité, par exemple, est peu à peu revendiquée, autour des années 1960, par les descendants de ceux que l'on a parqués dans les réserves. L'identité chicano s'affirme, elle aussi, à mesure que le nombre de Latinos croît dans l'Ouest, jusqu'à atteindre un tiers de la population californienne. La question de l'identité latino, d'ailleurs, semble l'une des plus prégnantes en ce début de 21ème siècle, tant la démographie des Hispaniques est dynamique. Par ailleurs, des groupes, souvent violents, se créent justement pour défendre des identités menacées : gangs asiatiques ou afro-américains, sans oublier le Ku Klux Klan importé du Sud des États-Unis. Parfois, ce sont des flambées de violence sans organisation sociale ou ethnique qui jaillissent soudainement dans le paysage, comme celles de Los Angeles en 1992 après la mort de Rodney King. Toutefois, en dehors des identités ethniques, des identités transcendantes se font jour. C'est d'abord, symbolisée par un cow-boy héroïsé loin de la réalité du terrain, celle de l'homme de l'Ouest qui fascine l'Est et l'Europe. En témoigne le succès du cirque de Buffalo Bill qui présente une vision idéalisée et manichéenne de l'Ouest américain. C'est aussi la contre-culture des années 1960, entre hippies, hipsters et beatniks, qui prône la révolution sexuelle et les consommations de drogue comme portes de nouveaux horizons. Parallèlement, l'Ouest se scinde culturellement en deux parties, entre le Pacifique qui devient peu à peu progressiste et le Midwest qui demeure conservateur. Cadres hipstérisés contre rednecks : la dichotomie agite encore les grandes élections contemporaines.

La troisième thématique est à la fois au commencement et au débouché de ce qu'est l'Ouest américain : l'imaginaire. Dès le temps des pérégrinations espagnoles (Cabeza de Vaca), l'Ouest immense est fantasmé comme une terre de richesses. La ruée vers l'or, vers 1848-1850, accentue ce fantasme. Terre de richesses, terre de possibles : les migrants sont attirés par l'idée de s'accomplir par eux-mêmes et, peut-être, de faire fortune. La possibilité de s'installer et de cultiver son pré carré anime nombre de migrants, et le rêve est rendu possible par le Homestead Act. Sans être l'Eldorado, l'Ouest est d'abord une terre d'une autonomie financière possible, donc de liberté. L'Ouest apparaît aussi comme une Frontière à repousser. Ce thème de la Frontière, c'est-à-dire de la Marche, en termes médiévaux, est d'abord une obsession géographique - atteindre le Pacifique - avant de devenir un idéal abstrait. Kennedy, en lançant le thème de la Nouvelle Frontière, désigne la conquête de l'espace et les avancées technologiques. Les entreprises high-tech de la Silicon Valley répondent à ce même idéal. Enfin, l'imaginaire de l'Ouest se développe à travers des objets. Physiques, d'abord, comme la diligence ou le colt, qui permettent de transbahuter une vie entière ou de sauver la sienne propre. Intellectuels ensuite, avec la littérature, le cinéma et la musique qui véhiculent les valeurs traditionnelles de l'Ouest. le western, notamment, fera jaillir sur les écrans les beautés des paysages de l'Ouest, tout en démontrant la bravoure et l'audace des westerners, lui opposant parfois la fourberie supposée des Indiens.

Toutefois, cet imaginaire a un revers. Dès les années 1930, les hommes de l'Ouest eux-mêmes portent un regard critique sur leurs propres valeurs, ou plutôt sur leurs déviances. Dans le contexte de la crise économique de 1929, John Steinbeck met en scène le destin pénible des Okies, de l'Oklahoma à la Californie, dans Les raisins de la colère. Au cinéma, les westerns de Sam Peckinpah mettent en scène une violence exacerbée, qui est le fait des propres hommes de l'Ouest. Easy rider va plus loin encore, en faisant du rêve américain un cauchemar. La critique n'est pas seulement intellectuelle. Elle est aussi le fait de communautés tenues à l'écart, comme les Afro-américains, les Indiens ou les Asiatiques. La critique porte enfin sur la gestion de la nature, à l'image de John Muir, qui dénonce l'usage irraisonné de la nature par l'Homme ; mais cette critique est aussi critiquable, car Muir exclut de sa nature idéalisée jusqu'aux Indiens. Quoiqu'il en soit, le mythe de la wilderness perd peu à peu de sa superbe. L'éden revendiqué est désormais aux mains des hommes, qui, en le vidant de sa substance, en ont fait un simple décor de cinéma.

En conclusion, il est évident que les questions de la violence, de l'identité et de l'imaginaire se rejoignent. L'identité de l'Ouest est nourrie de violence et d'un imaginaire où le courage est une valeur cardinale, la réussite individuelle un mantra, la nature une divinité à adorer et à maîtriser. Terre de contrastes géographiques, l'Ouest est aussi une terre de contradictions humaines. A travers l'Ouest, c'est tout un paradoxe qui anime l'esprit américain : l'Ouest, terre sauvage, est peu à peu conquis et domestiqué par la civilisation ; ce faisant, celle-ci détruit une liberté absolue qu'elle chérit pourtant. Car, au final, c'est bien la liberté individuelle qui semble être le principe absolu de ces terres autrefois vierges. L'homme, qu'il soit le pionnier, le rancher ou le migrant, s'affranchit des antiques conditions sociales pour s'affirmer en tant qu'individu. Évidemment, la réussite individuelle, au sens pécuniaire du terme, n'est pas au rendez-vous pour tout le monde. Cela ne semble toujours pas, en 2021, arrêter les candidats au rêve américain.
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